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Notes :
Des soucis d'informatique font que ce texte, achevé fin novembre, n'ait été posté qu'aujourd'hui.
Que dire, sinon? C'est en cours de littérature que cette histoire m'est venu. Alors que je m'ennuyais profondément (la fin de journée, c'est terrible...), la prof a parlé d'un auteur réputé (je ne dirais pas son nom étant donné que cela date de septembre et que je ne m'en souviens pas) et du texte fantastique qu'il avait écrit. Cela m'a inspiré et deux mois plus tard est né cette histoire. J'espère qu'elle vous plaira. Si c'est le cas, ou si c'est pas le cas aussi, n'hésitez pas à me le dire ^^.

Là dessus, je vous souhaite une bonne lecture à tous.
Notes d'auteur :
Merci à mes correctrices pour leur travail remarquable.
Leurgat Nap


I

La forêt des prusts


Réveil sirupeux


Je ne savais pas trop comment j’étais arrivé ici, ni même ce qu’était ce ici ; tout ce dont je me souvenais, c’était d’avoir perdu connaissance et de m’être réveillé, non pas à cause de la chaleur huileuse du sol ou du contact mou des arbres, mais à cause de l’odeur pestilentielle qui émanait de mes vêtements, de ma peau et de mes cheveux.

Mon réveil ne fut donc pas des plus agréables. L’absence de souvenirs contribuait à ce mal-être gluant dans lequel j’étais plongé. Je ne me souvenais ni de mon nom, ni de la nature de ce lieu étrange qui me semblait pourtant si familier. Je ne savais même pas comment j’étais arrivé ici, je savais seulement qu’il fallait que je m’en échappe, que cet endroit, quel qu’il soit, était un piège et qu’il fallait que je m’en évade si je ne voulais pas finir comme nombre de mes semblables, déchiquetés, acidifiés ou broyés.

Je me frottai les yeux. Comment pouvais-je savoir tout ça alors que je ne savais rien de moi ? Je me regardais, je me détaillais et je ne percevais qu’un homme entre-deux âge, aux vêtements quelconques recouverts d’une substance luisante et malodorante. Les vêtements n’étaient pas à moi, de cela, j’en étais sûr, bien que j’aurais été incapable de vous dire d’où ils provenaient. A la seconde, c’était bien le cadet de mes soucis. Car il y avait l’odeur. Ma gorge se noua. L’odeur était soudain devenue suffocante et j’avais l’impression d’avoir les dents du fond qui baignaient. Cette odeur de bile chaude… Après une bonne minute à me concentrer pour ne pas aggraver la situation, je me redressai en m’appuyant sur les arbres gélatineux et malgré mon état de fatigue avancé, j’écarquillai les yeux devant le spectacle qui s’offrait à moi.

Mon dieu… Mais où étais-je tombé ?

Je n’avais jamais vu une forêt pareille. Malgré ma mémoire esquintée, je me rappelais encore à quoi ressemblait une forêt, ayant vécu la majorité de mon enfance à la campagne et parce que tout enfant de deux ans sait que plusieurs arbres rassemblés en un même endroit forment une forêt. Mais ça ! Ça n’avait rien à voir avec une forêt. Les arbres n’étaient pas marron avec une écorce granuleuse et une touffe de feuilles verts au sommet ; ici, ils étaient roses, dépourvus de branches et de végétation, sorte de gros bulbes étranglés à la base, ne faisant qu’un avec le sol rosâtre et spongieux, là où un arbre classique trancherait avec un sol sec, moussu ou herbeux. Ici, arbres et sol ne faisaient qu’un, comme si de grosses tumeurs avaient soudain germé d’un terreau bien lisse, formant un dédale inextricable de bubons couleur chair.

Le spectacle défiait l’imagination. Appuyé contre l’une de ces choses dont le contact était répugnant, j’essayais de percevoir une limite au loin, mais rien ne semblait arrêter cette profusion aberrante. Et je n’avais aucun espoir à regarder le ciel. Uniformément noir, il n’y avait qu’une lueur au loin, tellement faiblarde qu’il aurait été mesquin de la qualifier de lumière. Etait-ce la nuit ? J’en doutais. J’aurais vu les étoiles dans ce cas. Mais là, rien. Pour un peu, je me serais cru dans une caverne. Une gigantesque caverne, puante, visqueuse et rose.

Pendant un moment, je restais immobile puis, lentement, j’essayais de faire quelque pas. Le sol était instable et donnait une horrible impression de succion à chaque mouvement. M’efforçant de garder mon sang froid, j’allais jusqu’à l’autre « arbre » sur lequel je m’appuyai de tout mon poids. Je pensais avoir récupéré mais les vertiges continuaient de me tourmenter. Tandis que je me redressais difficilement, une chose me frappa de plein fouet. Je m’en rendais compte maintenant, ou plutôt, j’aurais dû m’en rendre compte bien avant. Dans une forêt classique, il y a toujours du bruit. Que se soit une branche qui craque ou un petit animal qui farfouille, une forêt est toujours bruyante. Mais là, le silence en était presque assourdissant. Mon souffle rauque et les battements de mon cœur étaient parfaitement audibles. Rien, pas même le vent, ne venait troubler la quiétude des lieux.

J’étais seul.

Définitivement seul.

Une terreur sourde me broya la poitrine et m’empêcha de parler. Dieu seul savait par quel miracle je parvins à courir mais je m’élançai, marchant et sautant en même temps, à travers les appendices géants en quête d’un son autre que celui de mes pieds désordonnés, de mon souffle court et des battements furieux de mon cœur sur mes côtes. Mais en vain. Je finis par me vautrer lamentablement par terre et là, à ma grande honte, je me mis à hurler. De longues suppliques pitoyables qui m’auraient fait gerber si je ne m’étais pas habitué à l’odeur. Je restais là un long moment, chialant comme un gamin, l’esprit dévasté par une peur inexplicable.

Allongé là, je me disais que jamais je ne sortirais d’ici. Que cet endroit serait ma tombe.

Ce que j’ignorais à ce moment-là, c’était que le pire était devant moi, que je n’étais pas seul et que ce qui m’attendait au bout de ce périple allait mettre ma santé mentale à rude épreuve.

*


Souvenirs mortifères


Je ne saurais dire combien de temps je suis resté assis là, à me lamenter sur mon sort, vautré dans ma détresse, comme un porc dans sa boue, comme un cadavre dans son sang. La profusion rosâtre autour de moi avait une immobilité de pierre. Les bulbes ressemblaient à des gardes en attente, de grosses masses froides prêtes à fondre sur moi. Même celui sur lequel je m’étais adossé ne ployait pas sous mon poids. Tout semblait figé, mort. Pour un peu, c’était moi, le petit être vivant, l’erreur dans ce monde surnaturel.

Une main plaquée sur mon visage, j’essayais en vain de me souvenir. L’odeur était maintenant supportable et malgré quelques élancements dans les jambes, j’allais mieux. Du moins, je pouvais bouger sans problème. Mais question mémoire, c’était le vide absolu. Mes plus vieux souvenirs remontaient à loin, trop loin, pour m’être utiles. Ma tête me faisait l’effet d’être une machine dont tous les rouages, excepté les plus anciens, les plus rouillés, étaient tombés d’un coup. Seule une petite portion tournait à vide, me ramenant loin. Un monde de lumière, de longues plaines verdoyantes cerclées de montagnes noires. Un monde en déliquescence, perdu sous un ciel brisé. De vagues sensations me revenaient. Chaud, froid, humide… La chaleur humide des pluies d’été, le froid glacial des vents du nord, la douce moiteur de ces moments près du feu, après un bain brûlant dans les sources chaudes, avec…

Je suis là, mon amour. Je serai toujours là.

Un visage me revint. Le seul. Un visage de femme. Un air doux, un peu triste, encadré par de longues mèches châtain ; un visage qui me regarde avec tendresse, avec amour. Elle s’approche de moi, un sourire un peu grivois sur les lèvres. Nous sommes nus, nous sortons à peine du bain quotidien. Mon regard la détaille, la jauge, la dévore. Sa beauté stupéfiante me cloue sur place, m’intimide, moi, le commun à côté d’une déesse incarnée. Malgré sa fragilité apparente, elle m’entraine avec force devant le feu où se trouve étendue une peau d’animal dont j’ai oublié la nature. Je me rends compte à peine des deux mètres parcourus entre l’entrée de la pièce et le foyer, tout entier que je suis à mon admiration. La courbe de ses hanches, l’opulence de ses seins, l’aspect luisant de sa peau et la douceur de son regard font naître en moi un désir que je peux difficilement cacher. Loin de s’en offusquer d’ailleurs, elle m’entraine vers elle avec un petit sourire, et ensemble, seuls pour la première fois depuis des mois, nous nous unissons. Pour la première fois, pour toujours.

Et allongé dans cette forêt irréelle, je me souvins qu’elle fut ma femme, mon seul amour, mon seul avenir dans un monde qui se meurt. Je n’avais aucun souvenir précis, juste des impressions, des sentiments. Je n’avais que deux images claires : la première était celle de la femme dont j’ignorais le nom, la seconde était celle de l’ombre…

Implacable, impitoyable, elle dévore. C’est l’ombre. Tu n’as rien pu faire.

Une terreur étouffante me saisit alors que l’image de l’ombre s’ancrait en moi. Dernier souvenir vivace avant mon réveil parmi les bulbes, je savais que l’ombre était la mort, un prédateur sournois qui avait donné le coup de grâce à notre civilisation moribonde. Et dieu sait comment, je savais avec certitude que l’ombre était la raison qui faisait que cet endroit était un piège mortel.

Il me fallait fuir.

Maintenant.

Je me levais d’un bond, l’esprit clair et apaisé. Ma femme était à mes côtés, elle me souriait, me rassurait. Je ne devais plus avoir peur, non. Je devais surmonter ma crainte et mon dégout et je devais avancer.

Oui, je devais avancer pour la retrouver.

Rasséréné, je commençai alors ma longue marche.

*


Cadavre exquis


Il n’y avait pas que les « arbres » de figés, le temps l’était aussi. J’avais l’impression de marcher durant des heures dans ce dédale répétitif. Privé de sentier digne de ce nom, je devais sauter de pédoncule en pédoncule et très vite, je sentis une lourde torpeur s’emparer de mes jambes et de mes cuisses. Je n’avais rien pour me repérer. Ou plutôt, si, j’avais bien un point de repérage, mais tellement flou que je me demandais si ma vision ne me jouait pas des tours. La lueur. Plus les heures passaient et plus j’avais l’impression qu’elle disparaissait. Elle fluctuait sans jamais briller, ni s’éteindre. J’essayais d’aller vers elle, mais elle était tellement étendue que c’en était ridicule. Essayez de suivre la lumière du soleil et vous comprendrez l’absurdité de ma situation. Je ne me décourageais pas pourtant, je sautais sans relâche et je n’abandonnerais que lorsque mes jambes auraient déclaré forfait.

Essoufflé, je m’arrêtai. J’avais dû parcourir un bon kilomètre, à vue de nez, et pourtant, cette forêt ne semblait pas avoir de limites. Je portais mon regard au loin et vis une chose qui me stupéfia. Au loin, une silhouette était allongée sur le ventre. Une silhouette indubitablement humaine.

« Hé, Hé ! Vous m’entendez ? »

Pas de réponse. Il devait dormir, il devait sûrement dormir. M’élançant entre les bulbes boing, boing, j’arrivais en deux enjambées près de mon dormeur. Enfin, je n’étais plus seul.

« Hé, réveillez-vous, je… »

Je me figeais dans un mouvement d’horreur. L’homme était bien allongé, sauf qu’il ne dormait pas. Ou plutôt, si, mais dans son cas, c’était le genre de sommeil dont on ne se réveillait jamais.

« Ah ! Mon dieu… »

Je n’aurais su lui donner un âge. Peut-être aussi vieux que moi. Des habits sombres, une veste fragmentaire, enveloppés autour d’un cadavre desséché, momifié. L’absence d’air et d’humidité avait fortement ralenti la décomposition et il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’un homme. Sa grosse barbe grise mangeait à moitié son visage émacié et jaunâtre, ses yeux profondément enfoncés semblaient regarder le ciel, si l’on pouvait l’appeler ainsi, avec reproche, presque avec moquerie. Je restais hébété devant ce tableau sordide. Ce ne serait que plus tard que je verrais l’entaille grossière à la base de l’un des bulbes et le liquide grumeleux qui avait séché. Et ce serait encore plus tard que j’apprendrais que cet homme, assoiffé et affamé, avait tenté de se sustenter en perforant ces pédoncules d’un autre monde et qu’il en était mort. Mais à cette seconde, je ne pus me retenir et je vidai le contenu de mon estomac sur le sol rose, un long jet de bile brûlante qui me fit monter les larmes aux yeux. Lorsqu’enfin j’en eus assez de me vider, je me redressai et repris ma marche. A cette seconde, mon souhait, mon seul souhait, était de mettre le plus de distance entre moi et cette momie asséchée, laissée là pour l’éternité.

C’est ainsi que j’appris que d’autres étaient venus là avant moi. C’était également là que je vis le sort que ce monde me réservait.

*


Falaise bondissante


La nuit était tombée.

C’était du moins l’impression que j’avais eue alors que je me tenais au bord de ce précipice vertigineux. Je vous l’ai dit, dans cet endroit étrange, le temps n’avait pas d’emprise, néanmoins, je pouvais avoir quelques repères temporels en me basant sur la lueur lointaine. Et en ce moment, elle n’était plus qu’un souvenir. Mais je savais qu’elle allait revenir. Elle revenait toujours. C’était la quatrième fois qu’elle disparaissait complètement, plongeant mon monde cauchemardesque dans une obscurité opaque qui me contraignait à l’immobilité et à l’attente. Je ne souhaitais pas finir comme cet homme desséché. Je m’étais fixé un but, il me fallait maintenant m’y tenir. Mais je vous le dis, trouver le sommeil, allongé sur cette matière poisseuse, presque organique, tenait de l’exploit ; un exploit que je n’avais ni l’envie, ni la volonté d’accomplir. Vous comprendriez, si vous vous étiez trouvé à ma place.

Cette méthode m’avait permis de calculer la durée de mon séjour ici-bas. Trois jours. Si j’avais raison et si ces périodes d’obscurité correspondaient à la nuit, alors cela faisait trois jours que j’étais là, à errer dans les bulbes roses, une soif de plus en intense me serrant la gorge et engourdissant mes membres. Je savais que je ne tiendrais pas longtemps à ce régime et seule la perspective de mourir de faim ou –plus vraisemblablement – de soif, une mort affreuse, il fallait en convenir, me retenait de m’étendre et d’abandonner cette marche insensée. Le deuxième jour, l’idée de perforer l’un des arbres et de boire sa sève m’avait traversé l’esprit, puis l’image du cadavre poussiéreux m’était apparue et je m’étais retenu de faire la même erreur grossière… Pourtant, ce soir-là, alors que je m’appuyais contre un bulbe pour entamer ma quatrième « nuit », je me demandai si l’erreur n’était pas de se retenir, que, peut-être, ce type était mort de faim et non de soif. J’y ai cru, j’ai même failli m’exécuter quelques « heures » plus tard, alors que la soif me faisait délirer. Seule la perspective d’arriver au bout de ce cauchemar retint ma main. J’ai donc continué. Jusque là.

La falaise.

Je n’aurais jamais pensé qu’il puisse y en avoir une. Exceptées les multiples bosses formées par les bulbes et le sol, le terrain était relativement plat. Aucun dénivelé, aucune faille. Et puis, brusquement, le sol s’affaissa légèrement. Petite pente au début, c’était devenu une falaise abrupte au bout d’une « journée ». Le spectacle qui se livra à moi dépassait alors toute imagination. Je voyais enfin autre chose que les sommets de ces excroissances rosâtres et je ne fus pas déçu. La falaise devait faire une bonne centaine de mètres et aussi loin que portait mon regard, je ne voyais qu’une vaste plaine, rouge-grise, qui s’étendait de la falaise jusqu’au pied d’une chaine de montagnes blanches-jaunes, soudées entre elles à tel point que le résultat ressemblait plus à une ceinture qu’à un massif.

Je ne saurais vous dire le soulagement qui me traversa lorsque je vis ce magnifique spectacle. Naturellement, je savais que je n’étais pas sorti d’affaire, mais je savais également que cette forêt horrible avait une fin. Très bientôt, j’en aurais terminé avec elle. Et c’était avec une très légère lueur d’espoir que je m’endormis contre le pédoncule, certain de quitter ce monde le lendemain.

Il ne me restait plus qu’un obstacle.

Je me tins à cet instant au bord du précipice. Le « jour » s’était levé. Une lumière diffuse était visible de l’autre côté des montagnes. Je savais quelle était ma destination, pour peu que j’arrivasse à descendre. Une main fermement serrée sur un « arbre » (les vertiges dus à la soif étaient imprévisibles), je regardai en contrebas. Les bulbes continuaient de pousser contre tout bon sens le long de la paroi, formant une multitude de prises grossières et rebondies. En théorie, je n’aurais pas dû avoir trop de mal à descendre. Il m’était quasiment impossible de louper les excroissances, mais en même temps, je me tâtais. J’avais déjà pu observer que les arbres de ce lieu étaient huileux. Imaginons que je glisse… La chute serait mortelle. Même si, je le devinais au loin, il semblait y avoir une masse d’eau au pied du précipice, je doutais qu’il y ait assez de profondeur et de toute façon, même s’il y avait assez de tirant d’eau, la chute aurait été suffisante pour me broyer les os. Que faire ? Je ne pouvais pas rester ici, j’aurais été mort avant la nuit. Il fallait que je me lance. Il fallait que j’atteigne cette eau en bas.

Précautionneusement, je m’accroupis et je tendis la jambe dans le vide. Je sentis sous moi une prise dure, probablement la base de l’un des bulbes. Je me lâchai alors et me laissai tomber sur le « végétal » en le serrant de toutes mes forces. Malgré ma répugnance vis-à-vis de cette chose, j’étais soulagé de pouvoir la sentir sous moi. Tout plutôt que le vide. Le souffle court, je m’accordai une minute pour récupérer puis je me penchai pour repérer un autre bulbe. J’en vis un à moins de deux mètres et me fis violence pour accélérer le mouvement. Si la falaise faisait bien une centaine de mètres, j’avais intérêt à m’activer si je ne voulais pas me faire surprendre par la nuit. Les dents serrées, je sautai.
C’était terrifiant. A chaque saut, je craignais de voir ma dernière heure arrivée. A chaque fois, je croyais glisser, déraper, riper, et l’image de moi gisant comme un pantin désarticulé me hantait à chaque fois. D’autant que plus je descendais et plus je me rendais compte que les bulbes se faisaient rares. Epars, je n’en comptais que trois ou quatre par moment, ils laissaient de plus en plus place à une surface souple, lisse et brillante, d’un rouge foncé, qui tombait à pic sur une vingtaine de mètres avant de s’incurver vers l’avant et de plonger dans la mare en contrebas. La peur me saisit. Je ne pouvais pas revenir en arrière, une bonne soixantaine de mètre me séparait du sommet. Et je ne pouvais pas descendre sous peine de glisser et me rompre les os. Inquiet, je me redressai sur un coude et recherchai une solution. C’est alors que je fus pris de vertiges. En équilibre précaire, je me sentis choir et perdu dans une gangue brumeuse proche de l’inconscience, je me vis tomber du bulbe.

Je ne saurais vous décrire la descente. J’étais alors à mi-chemin de l’évanouissement. Je me rappelais avoir rebondi sur un bulbe solitaire, avoir senti le vide autour de moi pendant de longues secondes. Et puis, le choc, brutal, mais pas mortel, qui me perfora la poitrine et le bras. La glissade ensuite, longue, visqueuse, interminable. Et enfin, ce que je n’aurais jamais cru sentir, le contact froid et légèrement pâteux de l’eau. Contre toute attente, contre tout pronostic, j’avais survécu à la descente. Et plus que tout, j’avais survécu à la forêt.

Le sourire aux lèvres, je me laissai couler, enfin libre.

II

Les plaines du Moir


Errance chuintante


Etait-ce la mort ?

Ca ressemblait à ça, la mort ?

Une gangue froide, un linceul collant, une tombe spongieuse, c’était apparemment tout ce qu’on avait bien voulu me donner. J’avais des souvenirs épars de ma chute, de ma noyade. Bienheureux sont ceux qui ne voient pas leur mort, malheureux sont ceux qui connaissent la douleur de la noyade, l’étouffement, la compression, l’écrasement. Pourtant… Etait-ce bien moi qui avais subi tout cela ? Si c’était le cas, comment pouvais-je…

Debout, mon chéri.

J’ouvris brusquement les yeux. En définitive, je n’étais pas mort. Ou alors la mort était beaucoup plus douloureuse que ce que l’on m’avait raconté. J’avais mal partout. Les bras, les jambes, le torse, le dos, rien n’était épargné. Je gisais sur la grève de la mare. J’ignorais comment j’étais arrivé là, je m’étais pourtant vu couler, j’avais même accueilli la mort avec le sourire, trop heureux d’avoir enfin quitté la forêt des bulbes. Dieu, si tant est qu’il existe, devait avoir d’autres projets pour moi. Il n’y a pas à dire, Dieu est un grand farceur.

Je me redressai avec un grognement. J’étais tout poisseux, chacun de mes mouvements étaient englués par cette eau qui, en définitive, n’était pas de l’eau. Trop solide, trop gluante pour être un liquide, elle avait néanmoins le mérite d’être rafraichissante. Je me penchai sur le bord et je pris sur moi pour avaler trois gorgés. Les deux premières passèrent malgré le goût prononcé de bave chaude mais la troisième me releva le cœur. Ma soif avait beau être intense, je ne pouvais physiquement en faire plus.

Désormais nauséeux, je me tournai vers la plaine. D’en haut, j’avais estimé à quatre kilomètres la distance entre la mare et les montagnes. D’en bas, j’avais l’impression que la distance avait doublé. Un effet d’optique, surement. Du moins, je l’espérais. Aussi loin que portait mon regard, il n’y avait rien. Une longue et large platitude grisâtre émaillée de rouge, légèrement gonflée sur ma gauche, un peu comme une colline étirée qui semblait partir de sous la forêt pour finir contre les contreforts du massif montagneux. Au moins, je ne risquais pas de me perdre. Si je suivais la colline, je parviendrais sans problème aux montagnes. Et même, sans la colline, je n’aurais eu aucun problème pour retrouver ma route. Les montagnes nous écrasaient littéralement. Je n’avais pas d’autre choix. Si je voulais vivre, si je voulais m’en sortir, il me fallait marcher.

Je ne vous ferai pas le détail de cette interminable et monotone marche forcée. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce fut long. Très long. En temps normal, j’aurais parcouru ces quatre kilomètres sans problèmes. Une heure à peine m’aurait suffi. Mais, dans mon état, j’eus toutes les peines du monde à parcourir deux cents mètres. La lueur croissait et décroissait au-dessus de moi, le temps filait plus vite que prévu et tout ce que j’avais devant moi, c’était ce sol spongieux, huileux, organique. Chacun de mes pas émettait un bruit chuintant et mon errance fut rythmée par ce bruit révulsant.

Spoutch, spoutch, spoutch…

Vous êtes-vous senti une seule fois seul au monde ? Je ne parle pas de ces moments de déprime où l’on croit que tout est contre nous, non, je vous parle d’un vrai moment de solitude où vous avez l’impression d’être écrasé par ce qui vous entoure. Ce sentiment suffocant qui vous prive de toute envie, de toute volonté. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je l’ai éprouvé là-bas. Au terme des deux premières journées de marche, j’avais dû parcourir un kilomètre et demi et pourtant, j’avais l’impression de faire du surplace. A quoi bon continuer ? A quoi bon s’acharner ? Un sentiment diffus d’irréalité, d’inutilité, m’étouffait. Je prenais conscience de la futilité de ma quête. J’étais seul, je souffrais le martyr, pourquoi ? Par peur ? Non, j’avais atteint le stade où même la peur paraissait dérisoire. Par volonté de vivre ? Il y avait longtemps que je l’avais perdue. Pour elle, cette nymphe de l’ancien monde dont le nom m’était toujours inconnu ? Non, cela ne se pouvait pas. Même elle m’avait abandonné, je ne la sentais plus à mes côtés. Sa présence qui avait été ma force dans la forêt et à mon réveil brillait maintenant par son absence. J’étais seul, la soif et la faim me rongeaient à petit feu, mes veines charriaient un magma brulant de fièvre, mon cerveau n’était plus qu’une éponge sèche. A quoi bon continuer alors que plus rien, ni personne ne nous attend ? A quoi bon continuer alors que la vie elle-même était devenue une mauvaise blague ? A quoi bon continuer si l’existence n’avait plus aucun sens ?

Spoutch, spoutch, spoutch…

Le jour se leva, troisième depuis que j’étais dans la plaine, sixième depuis mon réveil dans la forêt. Avec la lueur venait son lot de désolation et d’hallucinations. Cela faisait maintenant deux jours que j’avais du mal à discerner la réalité du fantasmagorique. Mon cerveau n’en était plus capable. Sans cesse, je croyais percevoir au loin de grosses silhouettes bondissantes, montées sur une patte et émettant un petit bruit clinquant. D’autres fois encore, mais plus rarement, j’avais l’impression d’entendre une voix humaine qui s’égosillait dans un langage que la distance rendait impossible à discerner. Des rêves désespérés. Ce jour-là, j’ai parcouru un kilomètre tout au plus. Les montagnes se rapprochaient, je ne m’en rendais pas compte. Je n’étais plus qu’une plaie vive. Plus morte que vivante.

Spoutch, spoutch, spoutch…

La nuit s’était étendue sur moi comme un couvercle sur une tombe. Je savais que ma route prendrait fin ici. Mes dernières certitudes –mes derniers mensonges- n’étaient plus, il était temps enfin de m’allonger et d’accueillir la Faucheuse comme une amie. Tout a une fin. Et j’étais content d’avoir trouvé la mienne. Enfin, le repos…

Spoutch, spoutch…

Je m’étais écroulé. Face contre terre, le nez contre la matière gélatineuse, je me laissai emporter dans les flots enivrants de l’inconscience, le sourire aux lèvres, enfin en paix avec moi-même.

*


Souvenirs mortuaires


Lorsqu’arrive la fin, il est commun de revivre sa vie. Réflexe neuronal pour ne pas disparaitre ou réminiscence nostalgique des temps perdus ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je m’en moque. Je me laisse faire, je me laisse emporter sur les flots apaisés de ma mémoire. De nouveau, j’oublie les limites de mon corps, je renie ma souffrance, je laisse de côté ma peine et je retourne auprès d’elle. Ma nymphe, ma déesse, mon amour. Là, avec moi. Maintenant et pour toujours.

Tu ne devrais pas y retourner. Tu te fais du mal.

Laisse-moi.

Le monde gélatineux n’est plus. Je suis de nouveau chez moi. Une maison modeste de bois et de pierre, une atmosphère rassurante, confortable, heureuse. De larges baies vitrées laissent couler un flot de lumière intarissable. La chaleur muette est percée ça et là, comme des petites notes aigrelettes et blessantes, par les piaillements des oiseaux et le remugle de la mer. Je suis heureux. En paix. C’est l’un de ces moments que l’on voudrait étirer indéfiniment. Un moment de plénitude où rien ne peut nous atteindre. J’en profite, connaissant le caractère éphémère du moment.

Elle est là, assise en tailleur sur un tapis épais de crins vert. Simplement vêtue d’une robe blanche, elle tient avec tendresse un nourrisson de quelques semaines à peine. Son visage à demi caché par de longues mèches claires reflète un amour difficilement descriptible. Je n’ose l’interrompre. Mon regard les englobe, les dévore presque, le cœur alourdi d’un amour presque douloureux. Le monde extérieur n’existe plus, n’a jamais existé, il n’y a que moi, elle et lui. Mon fils, ma descendance disparue. Dans peu de temps, il y aura l’ombre, l’oublie, le vide. J’ai brusquement envie de pleurer.

« Ah, tu es rentré… »

Elle me parle. Ma gorge se serre un peu plus.

« Oui, dis-je, le gibier se fait rare en ce moment… »

Avec un sourire éclatant, elle me tend l’enfant. Ce dernier semble dormir.

« Prend-le, mon amour. Viens prendre ton fils. »

D’un pas lent, je m’approche. Avec délicatesse, presque comme si je manipulais une œuvre cristalline, je prends mon enfant et le serre contre ma poitrine. Il bouge un peu, il entrouvre ses paupières et me regarde. Un amour immense me bouleverse. Je caresse son petit visage, il gémit un peu, de cette manière unique qu’ont les bébés. Elle s’est levée pendant ce temps et a enroulé ses bras entre nous deux. Unis pour la première fois depuis des siècles, mon envie de pleurer n’a jamais été aussi intense. Je me penche vers elle, un désir brulant me traverse, je tends les lèvres pour l’embrasser mais à la même seconde, la lumière se fait plus ténue. L’obscurité envahit peu à peu la pièce devenue lugubre. Je l’entends, elle l’entend, il l’entend. Le grondement assourdissant. Les ténèbres opaques. Le tremblement disloqué. L’ombre, la terreur, elle approche, ils m’échappent. J’essaye de les serrer contre moi, pour ne pas les perdre, pas encore, mais inévitablement, je les perds. Les ténèbres m’ont envahi, la maison se désagrège ; elle m’est enlevée, elle hurle mon nom, je ne l’entends pas, mon fils hurle à son tour, je ne l’entends pas plus. Il m’échappe à son tour, je hurle. Et je m’entends. Cri de bête apeuré. Feulement éructé dans un maelstrom d’ombres mouvantes. Hurlement de désespoir que nul mot ne peut traduire. Je me laisse prendre. Je veux mourir.

N’abandonne pas. Je suis là… Mais plus pour longtemps…

« M’a pas l’air de toute première fraicheur, c’bestiau-ci. »

Je ne savais plus. Je ne savais pas. Plus rien à voir, plus rien à sentir. Rien que le vide. Le doux vide. Un peu froid quand même. Un peu huileux aussi. Et collant. Mes membres avaient un peu de mal à s’en décoller. Le dos, les bras et les jambes étaient alourdis par cette gangue gelée. Le torse, le menton, le front et les joues, au contraire, étaient irrités par d’espèce de grands poils. Le vide me semblait bien peuplé.

« Avale-moi ça, mon gars. T’as l’air d’en avoir besoin. »

On pressa quelque chose sur mes lèvres. Quelque chose de solide et de frais, un peu comme de la roche. Du liquide commença à m’envahir le palais. Le même que celui de la mare. Tellement consistant qu’il eut un mal fou à passer, à tel point que j’en ouvris les yeux. La plénitude de mon délire s’évapora, ne me laissant que les limites de mon corps souffreteux. Je ne restai pas longtemps conscient. Je replongeai rapidement, le temps pour moi de voir deux petites pupilles d’un bleu intense perdues dans un fouillis de poils grisâtres.

« Eh ben, tu r’prends des couleurs, l’jeunot. Viens ici, toi. (Il gronda auprès d’une chose que je ne pus voir) On va le ramener. Une bonne paillasse, rien de mieux. »

On me transporta. Ou plutôt, on me jucha sur quelque chose.

« Et puis, ça fait un bail que j’ai pas eu de compagnie. Ca me changera, t’a. »

*


Chevauchée bondissante


Je ne garde qu’un souvenir flou de mon arrivée dans la masure du vieil ermite (à défaut d’un autre nom). Peu de temps après avoir trouvé ce qu’il restait de moi sur la plaine –c’était très relatif-, il chercha à me réanimer, une chance pour moi, sinon, me dit-il, il m’aurait récupéré pour me dépecer, me débiter en morceau et me cuire à petit feu. « Dans c’te coin, gamin, il ne faut cracher sur rien », s’était-il défendu. J’avais quand même eu vachement chaud. Quoi qu’il en soit, il était descendu de sa monture, une de ces étranges créatures que je voyais bondir au loin et que j’assimilais, à tort, à des délires pré-mortem, et il m’avait vidé le contenu d’une gourde pleine de ce liquide imbuvable, de plus en plus difficile à dénicher, d’après le vieux. « Bientôt, j’vais en être réduit à boire le sang d’mes chéris. Pas de chance. Il pleut jamais dans c’patelin » avait-il affirmé. Apparemment, c’était la seule source du coin et par la suite, je fis moins le difficile. Pour en revenir, après avoir réussi à me faire boire, il m’avait agrippé au col et m’avait hissé sur sa monture comme un gros sac de farine. Et là-dessus, après s’être hissé à son tour avec une agilité surprenante, nous étions partis.

Je n’avais encore que de très vagues réminiscences de mon passé, mais je ne croyais pas avoir jamais chevauché une telle créature. Le monopode – c’était ainsi que l’ermite le surnommait – ne courrait pas, il sautait. Comme son nom l’indique, il n’était muni que d’une patte musculeuse dont il se servait pour faire des bonds prodigieusement longs. La monture semblait avaler littéralement la plaine. Les montagnes au loin se rapprochaient très rapidement. Moi qui croyais ne jamais pouvoir les atteindre, voilà que je m’en approchais à une vitesse ahurissante. Par contre, si question vitesse, le monopode, c’était l’idéal, question confort, c’était un cauchemar. Déjà nauséeux, je sentais mes tripes jouer au yo-yo avec ma glotte, juché ainsi sur l’échine de la bestiole. L’ermite ne semblait nullement incommodé par sa monture (qui montait parfois à plus de dix mètres) et gueulait à plein poumon un air incompréhensible et parfaitement irritant. J’avais hâte d’arriver, de cela je m’en souviens parfaitement. Mon ventre n’était plus qu’une poche de plomb fondu, ma gorge encombrée m’étouffait à moitié et ma vessie me brûlait. Les images se succédaient à un rythme trépidant, mes yeux n’en enregistrèrent pas la moitié. Il n’y avait rien à voir de toute façon. La forêt des bulbes sur la droite, les montagnes blanches sur la gauche et devant, et entre tout cela, les étendues infinies des plaines rouges. J’avais vraiment hâte que ça se termine.

Le monopode stoppa enfin. Je pouvais à peine bouger. L’ermite, quant à lui, sauta joyeusement de sa monture, me chopa à la ceinture et me jeta à terre d’une torsion du bras. Je m’affalai sur le sol, n’essayant même pas de me retenir. La sensation d’être chauffé à blanc ne m’avait pas quitté. Mais de cela, l’ermite s’en contrefoutait.

« V’la ma crèche, l’jeunot. Pas bien chic, mais on s’y fait. »

Au terme d’un effort colossal, je parvins à lever les yeux et à « admirer » la demeure de l’ermite. Nous étions arrivés au pied des montagnes et ce que j’avais en face de moi était creusé à même l’intérieur. Cloisonnée entre deux collines (la plaine se boursoufflait en s’approchant des montagnes), une petite excroissance se faisait remarquer. Percée ça et là de trous – des fenêtres à tous les coups – ça ne ressemblait pas à grand-chose. Une grosse poche. Une petite tumeur sur la perfection lisse des montagnes qui la surplombaient. Appeler cela une maison serait un peu prétentieux. Au moins, l’ermite en avait conscience et ne recherchait pas plus. A cet instant toutefois, je n’eus pas la force de lui dire.

« Alors, t’en dit quoi ? »

Je ne lui ai jamais donné ma réponse. Je m’étais évanoui.

III

Genves Hill


Ermite Qui Fêle


« Alors, alors, comme ça, tu viens du Trou, hein… »

Je me frottai la tête, encore groggy de mon long voyage. L’ermite se tenait penché au-dessus de moi, un vague plissement dans son agglomérat de poils m’indiquait qu’il souriait. Une lueur un peu dangereuse luisait au fond de ses yeux.

« Alors, alors, alors ?!! »

Je me redressai lentement et regardai autour de moi sans répondre. Je me trouvai dans la masure de l’ermite, allongé sur une paillasse rustique faites de poils grossiers et gonflée de grosses poches translucides pleines à craquer (j’appris plus tard qu’il s’agissait de vessie de monopodes qu’il avait renforcé avec de petites cordelettes qu’il avait lui-même confectionnées avec ses poils ; ce n’était pas désagréable, il fallait l’avouer). Le reste de la bicoque ne semblait pas construite mais plutôt creusé dans la montagne. Un travail assez conséquent, étant donné que l’ermite était seul et pas vraiment de première fraîcheur. La pièce unique devait faire dans les dix mètres de large, il était parvenu à y caser un lit (une fosse comblé par une douzaine de vessie et un monceau de poils tressés), une table, des étagères (toutes creusées à même la paroi) et une chaise (un socle qui sortait du sol comme une grosse pustule). Des étagères pendaient d’autres vessies pleines d’eau, ainsi que de gros quartiers de viande. Pendant un instant, je crus qu’il s’agissait là de morceaux humains (l’ermite ne semblait pas très regardant sur la provenance de sa nourriture) mais vraisemblablement, ce n’était pas le cas.

« Dis, l’jeunot, t’as bouffé ta langue ou quoi ? »

Je me rendis compte alors de mon mutisme prolongé et fixai mon regard sur l’ermite. J’allais passer cinq jours ici et pourtant, je n’ai jamais réussi à me faire à cet étrange bonhomme. Petit, très petit (véridique, il ne devait pas dépasser le mètre vingt), il avait une barbe tellement fournie et des cheveux si longs qu’en cinq jours, je n’ai pas réussi à déterminer s’il portait des vêtements ou non. De gros bras et des jambes épaisses émergeaient de ce fouillis capillaire d’une blancheur sale. Pour lui, l’eau ne servait qu’à se sustenter car il puait littéralement. Un mélange de sueur, d’urine et de sang. Dans l’atmosphère confinée de la masure, c’était à la limite du supportable. Mais je n’étais pas en mesure de faire la fine bouche. Je me focalisai sur la partie supérieure de l’ensemble, cette petite portion très mobile percée de deux petits globes brillants que l’on pouvait presque qualifier de tête.

« Pardon, je… Je n’écoutais pas…
- Pas grave, pas grave, assura l’ermite d’une voix tonitruante en secouant sa grosse paluche, je sais c’que ça fait, ‘sais. Moi aussi, j’y suis passé par le Trou, ça. Mais dans mon cas, ça remonte à de belles lurettes… Toi, l’jeunot…
- Excusez-moi, mais, c’est quoi, le Trou ?
- Le Trou ?
- Le Trou.
- Le Trou, tu dis.
- Le Trou, je dis.
- Le Trou, c’est le Trou. »

Je me demandais pendant deux secondes s’il ne se foutait pas de moi. Mais il semblait parfaitement sérieux et ne comprenait vraiment pas pourquoi je ne saisissais pas le concept du Trou, qui se trouvait être une évidence.

Après m’avoir regardé pendant de longues secondes, il m’agrippa au col et me traina de force à l’entrée de sa grotte. D’un geste large du bras, il me montra le lointain, vers les collines de la forêt des bulbes. Il tourna ses yeux vers moi :

« Loin, loin, tout là-bas, au-delà de la forêt des prusts, ça être le Trou…
- Pardon, la forêt des prusts ?
- La forêt des prusts, oui.
- La forêt des prusts ?
- Ben oui, la forêt des prusts.
- Et c’est…
- La forêt des prusts, c’est la forêt des prusts. »

Je me promis alors mentalement de ne plus rien lui demander.

« Donc, le Trou, vous disiez.
- Oui, le Trou, reprit-il avec entrain. Tout là bas, il y a le Trou, gros, puant, poisseux, splashant (je n’osais pas lui demander ce que ça voulait dire). C’est le Trou. »

Ok…

« Vous ne vous rap’lez de rin ?
- Pas vraiment, non.
- Pas de Trou.
- Non, pas de Trou.
- Alors quoi ? Dites-moi, dites-moi ! »

Il m’entraina à l’intérieur et me lança d’autorité sur la paillasse. Il chopa ensuite une vessie et me la tendit.

« Soif peut-être ?
- Non, merci.
- Faim, alors. (Il entreprit de détacher l’un des gigots)
- Non, vraiment, je ne veux rien.
- Alors, dites-moi, dites, dis, dis, dis… »

Cet homme était fou. J’en eus la conviction. Son regard me dérangeait. Il était de ceux que la solitude transforme en monstre. Simple processus de survie. Il avait simplement cherché à repousser la mort, même si cela impliquait de sombrer dans la folie. Bien qu’il ne m’en ait pas encore parlé, je savais par avance qu’il serait sérieux lorsqu’il évoquerait son idée de me becqueter. Tous les moyens sont bons pour ne pas mourir. Pour lui, je n’étais rien de plus qu’un jouet, un divertissement qu’il savait fugace, ce qui expliquait son engouement et son entrain. J’allais devoir la jouer finement. Tout fou qu’il était, il avait vraisemblablement vécu un temps assez considérable dans cet univers étrange, il avait donc des informations. Si je voulais savoir ce qu’il savait – et si je voulais lui survivre, aussi -, j’allais devoir satisfaire sa curiosité.

« Je ne sais pas trop où commencer. Mon dernier souvenir remonte à mon réveil dans la forêt des prusts… »

Je lui racontai tout. Mon réveil, mon errance dans le dédale de bulbes, ma trouvaille macabre, ma chute le long de la falaise, ma longue marche à travers la plaine jusqu’à mon arrivée ici. Un récit de cinq minutes qui s’était éternisé sur quinze tellement l’ermite m’assommait de question. Mais soucieux de ne pas déplaire à mon hôte, je m’acharnais à répondre à toutes, même les plus insignifiantes, même les plus stupides, tant et si bien qu’à la fin de cette épouvantable corvée, je n’eus qu’une envie, me jeter du haut des montagnes.

L’ermite, lui, ne semblait pas s’en rendre compte. Tout en babillant, il prit l’une des vessies et s’en vida la moitié dans le gosier.

« Et tu t’rappelles de rin de rin ?
- Rien du tout. Pas même mon propre nom.
- Normal, ça, normal.
- Ah bon. »

Il rota comme un bienheureux et me tendit la vessie que je refusai une fois de plus.

« J’vais t’dire, ça va bien faire sept mille clair-obscur que j’suis là et pas moyen d’me rappeler qui j’suis. C’est dire. Un type m’a dit un jour qu’c’était à cause du rejet, du choc, ou des gaz, c’te genre de chose, tu vois ce que j’veux dire, lorsqu’le Trou nous… Spaff (il fit un grand geste de la main qui me fit sursauter) dans la forêt des prusts. J’te dis, c’est tout juste si j’savais comment fonctionnaient mes guiboles.
- Mais, ça revient par la suite, pas vrai ? demandai-je avec angoisse.
- Ah, peut pas te dire, peut pas te dire.
- Ah…
- Mais oui.
- Ah bon. (L’espoir revenait)
- Des choses, sensations, c’te connerie là. Mais j’te dis, pas sûr que tu r’trouves grand-chose. Les gaz, j’te dis, les gaz. »

Je n’aimais pas ça. La crainte de ne jamais pouvoir me rappeler qui j’étais n’avait cessé de me hanter depuis mon réveil dans la forêt. J’espérais que ce que venait d’affirmer l’ermite était à mettre sur le compte de sa folie. Si j’avais bien compris, un clair-obscur devait être une journée pour lui et si ce qu’il venait de dire était juste, alors cela faisait à peu près vingt ans qu’il était là. Vingt ans et pas de passé. Mon dieu, j’espère que c’est un délire.

« Dites-moi, commençais-je prudemment, vous rappelez-vous… Vous rappelez-vous comment vous êtes arrivé jusqu’ici ? »

J’insistais mais cette histoire de mémoire m’obsédait. Pendant un instant, je crus qu’il n’allait pas me répondre. Puis son regard se fit brillant et sous la touffe de poils grisâtre s’ouvrit une cavité béante suivit d’un rire tonitruant. Il était visiblement ravi.

« Pour sûr que j’m’en rappelle, t’a. Si j’ai la cervelle en gruyère à propos d’avant le Trou, j’ai la caboche en béton d’puis. J’m’y vois encore, la tronche dans la g’lé rose de ses s’leté de prust. Y avait les autres, pour sûr. Etions huit. Non, neuf, j’oublie t’jours le gros. Y chialait la plupart. Z’étaient jeunes, tu piges. Des gosses même. Le plus vieux, c’t’était moi, j’étais le boss, responsable. Y m’ont donc suivi, tout les sept, non huit, j’oublie encore le gros, c’est dingue ; v’là qu’on marche. Longue marche. Très soif. Pas d’eau dans la forêt des prusts, plus tard mais pas dans forêt. Les gosses ont pas t’nus, pauvres petits. Plus qu’quatre, non cinq – c’t’te de gros- . Mauvais, très mauvais. Très soif, y en a qu’on tenté de boire un prust. Idée de con, sale, poison, pfou (il cracha un mollard qui s’écrasa sur ma chaussure), tout raide, coiyé, à plus…
- C’est vrai, l’interrompis-je, quand j’étais dans la forêt, j’ai vu un cadavre près d’un bulbe lacéré. Il était tout sec, ça devait faire un bail qu’il était là.
- Vrai ? Est-ce qu’il avait une montre dorée ?
- Euh… J’ai pas fait attention.
- D’mage. Avait de chouettes pompes. »

Il secoua la tête avec un air sincère, en plus. Je me raclai la gorge.

« Ensuite…
- Ouais, ensuite. Donc plus que trois –j’me suis pas gouré, c’coup-ci, le gros s’était tiré ailleurs, plus r’vu – quand on est arrivé à la falaise. Tout raide. Descendre, pas facile, pas facile. Comme danser un slow avec monopode, pas facile, pas facile. Sauter, choper, glisser. Et là, crac badaboum. Grosse chute. J’me souviens, elle s’plaignait tout le temps d’avoir mal au crâne. Avait plus mal après, la cervelle toute étalée à nos pieds. Une vraie chiasse. Plus que trois en tout, maintenant. Moi et les deux autres. Y en a un qu’a bu trop d’eau. Tout bleu d’abord et tout froid ensuite. On l’a laissé à coté de Miss Bobo-tête et on a taillé. Y a grande route entre la forêt des prust et les Mails Mountains. Et la plaine du Moir est vaste, vaste… »
Je ne pris pas la peine de lui demander ce que signifiait « plaine du Moir » et « Mails Mountains ». Je savais à quoi il faisait allusion et je n’avais pas envie de l’entendre dire que « Moir, c’est Moir » ou « Mails, c’est Mails ».
« A pas tenu longtemps, non plus. Car en plus de la soif, il y avait la faim. Grosse faim. Morte au bout de deux clair-obscur. Avais très faim moi aussi, très faible, j’ai pas résisté. Je l’ai croqué.
- Vous l’avez… » J’étais horrifié.
« Ben oui, fallait pas qu’ça se perde. Pensez bien. Ca ou clamser. Pas le choix. D’ailleurs, si vous étiez froid dans la plaine, j’vous aurai croqué. La viande de monopode, ça va bien deux minutes. »

Je dus vraiment avoir l’air terrifié car il s’empressa d’ajouter :

« Mais pas problème, pas problème. Vous vivant, pas mort donc pas vous manger. Cool.
- Cool. » Je gardais quand même mes distances.
« Tout ça pour dire qu’j’suis arrivé ici tout faible et tout malade. Pas eu la force de franchir les Mails Mountains. Je me suis donc installé ici. Pas mal, non. Bon, c’est pas un palais, mais c’est d’jà ça. M’a fallu vingt deux clair-obscur pour creuser la roche avec les bouts d’os que j’ai pu récupérer sur la ch’tite (j’avalai difficilement ma salive) puis j’me suis posé. V’là toute l’histoire de ma vie, l’jeunot. »

Une histoire macabre. J’allais devoir rester sur mes gardes avec lui.

« Ok, mais, vous vivez de quoi ici ? Il n’y a rien aux alentours, comment avez-vous survécu aussi longtemps, ici, tout seul ?
- Facile, facile, debout, m’en vais te montrer. »

Et là-dessus, il me releva et m’entraina derrière lui pour me montrer ce qu’allait être mon quotidien pour les cinq prochains jours.

*


Elevage monopodien


Le jour se levait. Cela faisait un clair-obscur de plus que j’étais prisonnier de cet endroit. J’ignorai si j’allais le quitter un jour, ou si j’allais passer le reste de mes jours dans une grotte, allongé sur un matelas de vessie, à bouffer de la viande douteuse et à me curer les dents avec des restes d’ossements humains. Il n’y a qu’un pas entre la raison et la folie. Il n’y avait qu’à voir l’ermite qui m’entraina sur le côté de sa baraque, comme une simple poupée de chiffon.

Les abords des montagnes blanches - ou Mails Mountains, comme il les appelait - étaient chaotiques. La plaine du Moir, lisse la majeure partie du temps, se gonflait de plus en plus en s’approchant des montagnes, à tel point qu’elle formait un entrelacs de collines escarpées, presque raide. Des sentiers étroits permettaient d’atteindre le sommet, enfin, sentier était un bien grand mot, disons de petites ravines suffisamment régulières pour ne pas se perdre. L’ermite les appelait Genves Hill (mais où allait-il chercher ces noms ?). C’était à se demander comment il avait réussi à grimper jusque-là. Puis je vis l’enclos et je compris.

Sur la gauche de la masure, juché sur un petit promontoire, l’ermite avait aménagé un petit enclos dans lequel il avait enfermé une demi-douzaine de monopodes. Le bois étant inexistant dans cet univers, l’ermite avait taillé en pointe une trentaine d’épieux d’un mètre vingt de haut dans la roche et il les avait plantés à intervalle régulier et reliés entre eux avec une grosse corde qui avait dû lui demander des années de poils pour la confectionner. A l’intérieur, les monopodes étaient paisibles, sereins. Aucun d’entre eux ne semblait vouloir prendre la poudre d’escampette alors qu’il aurait été facile pour eux de sauter ce ridicule ouvrage avec leur patte puissante.

« Vous faites de l’élevage de monopode. »

L’ermite eu de nouveau son gros rire.

« Tout juste, l’jeunot. C’sont ces bestiaux qui m’permettent de vivre. »

Prudemment, je m’approchai de la barrière. C’était la première fois que je voyais un monopode en étant tout à fait lucide et leur aspect n’était pas des plus engageants. Haut de deux mètres, on aurait dit un croisement entre un insecte et un reptile. La patte musculeuse qui leur valait leur nom devait bien faire leur taille en pleine action. Repliée sous leur abdomen, elle était couverte d’un poil noir et dru, percée au bout par trois doigts munis de griffes. Leur corps était disproportionné. Un abdomen gonflé à outrance, un torse presque anémique, une tête tout juste rattachée au corps, ils faisaient presque peur. L’abdomen était recouvert d’une carapace noire qui contrastait furieusement avec le marron terreux de la peau et le gris clair des longs poils effilés du torse. Deux petites pattes avaient percé cette poitrine maigrichonne. Très mobiles, le monopode s’en servait pour gratter sa tête oblongue et écailleuse. Terne, poilue, étranglée dans sa partie supérieur, la tête était l’erreur de trop sur ce corps disharmonieux. Réellement repoussante, elle avait un front exagérément bombé, d’énormes yeux de mouche et une minuscule bouche baveuse de laquelle jaillissaient une douzaine de mandibules cliquetantes. Le bruit qu’il faisait en continue était répugnant. L’un d’eux se tourna vers moi, et bien qu’il n’eut aucune expression visible sur sa face repoussante, je reculai d’un pas, pris d’angoisse. Je sentis l’ermite me pousser dans le creux des reins.

« Allons, y t’dit bonjour.
- Ouais, bonjour, fis-je sans bouger d’un pouce.
- Sont pas méchant, t’sais. Vin, on va en approcher un.
- Euh… Vous en êtes…
- Pas dplèm. Y mordent pas l’matin. »

Pas rassuré du tout, je m’approchai néanmoins de l’une de ces choses. L’ermite était parfaitement sûr de lui. A sa place, je me serais quand même méfié, surtout que l’intégralité des monopodes se focalisait désormais sur nous.

« R’garde si y sont pas gentils. »

D’un geste affectueux, il caressa le crâne du plus proche, lequel en cliqueta de bonheur. Un filet de bave grumeleux s’écoula de sa mâchoire jusqu’à la barbe de l’ermite, lequel n’y prêta absolument pas attention. Je restai en retrait, c’était plus prudent. Néanmoins, la chose ne semblait pas animée de sentiments belliqueux, elle semblait réellement apprécier le vieux fou. Une chance. En regardant de plus près, je remarquai un détail étrange. En fait, les monopodes avaient deux pattes. Un grosse qui leur servait à se déplacer et une petite toute atrophiée qui pendait misérablement sur le coté. Ce que j’avais pris à tort pour le sexe de ces monstres n’était en fait qu’une erreur génétique, une évolution hasardeuse, un triste reliquat. Malgré tout, le monopode gardait une certaine harmonie, une mesure dans la démesure. Au fond, il aurait presque été attachant, pour peu qu’on fasse fi de son apparence, de son odeur, de ses cliquetis, de tout, quoi.

« Caresse-le.
- Quoi ? (J’étais sûr d’avoir mal entendu)
- Caresse-le t’dis-je. Tu vas le vexer. »

Plus soucieux de ne pas me faire tuer par l’ermite que de vexer la bestiole, je tendis la main et caressai brièvement la partie entre les deux yeux privée de poils. Curieusement, ce n’était pas désagréable. Doux, un peu tiède, lisse, c’était à voir. Néanmoins, je ne m’attardais pas et l’ermite, comprenant mon envie de passer de l’autre coté de la barrière, fit preuve de lucidité pour la première fois depuis notre rencontre et commença à s’en aller. Je lui emboitai le pas.

« Alors, k’est-ce t’en dis ? Sympa, non ?
- Sympa, ouais.
- Bons bestiaux, ça, bons bestiaux.
- Mais vous en faites quoi, en fait ? A part vous déplacer avec, je veux dire.
- Ca, l’jeunot, ça sert à plein d’chose. Ca a pas l’air comme ça, mais t’peux en faire avec un monopode. Y se déplace rapido. Avec l’un d’eux, je fais aller retour ici forêt prusts en un dixième de clair-obscur. Et pis, ils me fournissent de la viande. Cuisseau très savoureux cuit dans le jus et le sang tout un clair-obscur avec un feu de poils. Fondant même. J’te ferai gouter. Leurs poils, tin, font de supers cordes. En plus des miens, ‘sûr. Et pis, leurs vessies sont vachement résistantes. Et très souples aussi. J’en ai fait mon mat’las avec une douzaine d’entre elles, confortable, hein. Plein d’eau et saucissonné avec une cordelette, c’est incassable. Rien ne se perd. J’repère même les femelles et j’arrive à prendre leur lait. Dégueulasse mais ça change. J’te ferai gouter, tu verras.
- Oui, fis-je, pas très emballé. Mais comment vous les nourri… Je n’ai rien dis. »

L’un des monopodes venait d’arracher d’un coup sec un morceau de sol qu’il avala goulument. Je me rendis compte alors que le terrain à l’intérieur de l’enclos était très abimé.

« Bon bestiaux, ça, répéta l’ermite fier de lui.
- Mais comment les avez-vous trouvés ? J’en ai pas vu des masses sur la plaine.
- En a toujours, mais sont pas là depuis longtemps.
- Ah bon ?
- Ouaich, ça fait cinq mille clair-obscurs qu’j’ai chopé mon premier. Après, y’en a eu partout. Doivent v’nir de derrière les Mails. »

Quinze ans à peu près. Je n’osai pas lui demander avec quoi il s’était sustenté avant.

Et puis…

Derrière les montagnes…

« Dites-moi…
- J’vais t’dire un secret, l’jeunot. »

Je m’apprêtai à lui demander s’il connaissait un passage à travers les montagnes mais son ton grave me stoppa net.

« Un secret.
- Ouaich. Un secret vachement important. Approche. »

Je m’approchai un peu. Il m’agrippa au col.

« Ce monde-là, l’jeunot, y est en train de crever.
- Hein ?
- J’l’ai compris lorsque j’ai vu les monopodes s’pointer. Des charognards, v’la ce que c’est. Des bouffeurs de merde. Veut dire qu’y plus rin ici. Que tout tombe en splash.
- Splash ?
- Splash, c’est splash.
- Ok.
- Bientôt, on va y passer nous aussi. C’est ben vrai.
- Dans ce cas, commençai-je lentement, il vaudrait mieux partir maintenant. Escalader les Mails Mountains.
- Escalader les Mails Mountains ? » Il éclata de rire. « T’a, t’es trop faible encore, l’jeunot. Et moi, j’suis trop vieux. T’as qu’à rester m’aider pour mes corvées. Et quand tu s’ra en forme, tu pourras t’tirer… »

Il murmura si bas que je n’étais pas sûr de l’avoir bien entendu.

« … Comme les autres. »

Je fronçai les sourcils.

« Quoi ?
- Rin. Allez, au taf, l’jeunot. Direction ton premier boulot.
- Et c’est quoi ? »

Il me tendit alors un saut, ou plutôt une grosse pierre creusée, tout en m’indiquant de la tête le troupeau de monopodes avec une lueur moqueuse. Je soupirai.

Ainsi commençaient mes cinq jours chez le vieil ermite.

Je ne vous ferai pas le détail de tout ce que j’ai eu à faire. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le vieil ermite avait une notion bien personnelle de la convalescence. C’était une pile électrique montée sur ressort et il me trainait de force derrière lui. Nettoyage des monopodes, manucure des monopodes, promenade des monopodes… Ca n’arrêtait pas. L’ermite semblait prendre un malin plaisir à me faire suer. Je vous passerai les détails sur la façon dont il s’y était pris pour récupérer une vessie sur une dépouille ou la manière de traire un monopode (le lait était imbuvable, d’ailleurs). L’ermite semblait rire de tout ça, comme si me voir reprendre des couleurs le mettait en joie. Je n’aimais pas ça. L’ermite semblait préparer un sale coup et quelque chose me disait que ça n’allait vraiment pas me plaire.

Un détail à noter quand même. L’ermite semblait tolérant, bien qu’un peu brusque, néanmoins, il y avait certaines choses qui le mettaient inexplicablement en rogne. Durant ces cinq jours, je me languis de partir et en prévision de mon futur départ, j’avais cherché un sentier, un passage, un trou, à travers cette muraille épaisse qu’étaient les Mails Mountains. Je ne trouvai rien. Bien opaque, la chaine semblait ne pas vouloir me montrer une lumière qui n’était pas qu’une ombre. Toutefois, je gardais espoir et j’accélérai mes recherches. C’est alors que je trouvai un gouffre étroit entre deux montagnes qui serait propice à l’escalade. Mais alors que j’allais m’en approcher, l’ermite me tomba dessus et faillit bien m’étriper. Je ne compris à cet accès de rage, lui-même avança comme excuse que « j’n’vais rien à foutre là dedans, qu’c’est interdit, qu’il l’avait décidé, et qu’la prochaine fois qu’il m’y verrait, il me boufferait les jambes. » Encore faiblard, je ne cherchai pas à argumenter et je fis demi-tour. J’ignorais ce qu’il ne fallait pas que je voie. Mais j’étais bien décidé à lui désobéir. Idem pour sa cache dans la masure. Le vieux fou s’était creusé une cave dans sa bicoque, dont l’entrée était dissimulée derrière une plaque de calcaire. Lorsqu’il l’avait ouverte le premier soir, je lui avais demandé ce qu’il y avait derrière. Il me saisit alors au collet et menaça d’une voix grondante du pire des maux si jamais j’osais ne serait-ce que jeter un coup d’œil là dedans. Je ne lui ai pas désobéi mais dès lors, je ne dormais plus que d’un œil et je gardais en permanence un pieu rocheux à portée de main. Ce fou ne m’aurait pas et plus tôt je partirais, mieux ça vaudrait.

D’autant que, inexplicablement, la voix de ma femme s’était tue depuis mon arrivé et cela ne me plaisait pas du tout.

Arriva enfin le cinquième jour.

Une grosse journée m’attendait. Il était temps de partir et de clore définitivement le chapitre de l’ermite.

En bref, il était temps d’en finir.

IV

Mails Mountains


Vérité anthropophagique sur des flancs immaculés


Comment ai-je pu en arriver là en si peu de temps ?

Les choses ont commencé à se gâter dès le moment où j’ai fait mine de m’en aller. L’idée était d’aller dans le canyon, histoire de voir ce qu’il s’y trouvait. Simple, en théorie. Il m’aurait suffit d’attendre que l’ermite aille s’occuper de ses épouvantails unijambistes pour prendre la tangente. Malheureusement, la curiosité me perdit. Alors que je m’apprêtais à sortir, mon regard se posa sur la plaque de calcaire. L’entrée interdite. Je l’avais cependant bravé. Je ne l’ai jamais autant regretté. Cela a failli mal finir. Très mal finir.

A présent, j’étais accolé à flanc de montagne, à plus de trente mètres du sol. Ce que j’avais trouvé dans le gouffre dépassait toutes mes espérances. Caché dans l’ombre se trouvait un véritable chemin de promenade. D’autres survivants avaient creusé la roche et confectionné un véritable escalier entre les deux monts. Une corde épaisse le suivait en garde-fou de fortune. Je n’en croyais pas mes yeux. Une sortie. Une sortie toute tracée pour partir de ce cauchemar. Mais pourquoi l’ermite ne m’en avait-il jamais parlé auparavant ? Les premiers jours, cette question m’aurait paru pertinente mais après la cave et le soliloque suffoqué de l’ermite, je me rendis compte à quel point elle était stupide. C’était ma faute. J’aurais dû voir clair dans son jeu depuis longtemps. J’étais trop aveugle. Trop seul.

Avec un grognement sourd, je me hissai sur une nouvelle marche. Mes bras s’étaient crispés. Les forces que j’avais accumulées durant ces cinq jours fondaient comme neige au soleil. Levant la tête, je me rendis compte du chemin qui me restait à parcourir et cela me désespéra. Une bonne soixantaine de mètres me séparait encore du sommet. Soixante mètres sur un escalier de plus en plus abrupt et de plus en plus raide, cela tenait du miracle. Mais je ne devais pas désespérer. Je devais tenir. Descendre était exclu. Car en bas, il y avait lui.

Je m’étais arrêté sur une petite excroissance pour souffler un peu lorsque j’entendis un grognement rauque en contrebas. Un grognement de plus en plus audible. C’était lui. Il était en train de gravir l’escalier à toutes vitesses. Sa barbe sale était poisseuse de sang, de l’œil gauche suintait un pus blanchâtre et il manquait bien deux doigts à sa main droite. Mais cela ne l’empêchait pas de grimper à toute blinde sur la paroi à-pic, un épieu dans la bouche et une lueur meurtrière dans son œil restant. Il refusait de passer les montagnes, parait-il, mais cela ne le retenait pas lorsqu’il s’agissait de rattraper sa proie en train de filer.

« Merde… »

Je croyais m’être débarrassé de lui quinze mètres plus bas. Manifestement, il avait la peau dure.

Dans ma fuite de la masure jusqu’au gouffre, je ne m’étais retourné qu’une fois, lorsqu’un cri de bête enragé avait retenti. J’avais alors vu un monopode faire un bond monstrueux dans ma direction, une tache grise sur le dos. L’ermite avait abandonné toute raison et venait en finir avec moi définitivement. Heureusement que le gouffre était à dix mètres à peine. Je ne m’étais pas attardé devant l’escalier. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre de quoi il s’agissait (après tout, l’ermite m’avait tout expliqué) et je m’étais élancé dessus avec toute l’énergie du désespoir. J’avais gravi dix mètres lorsque l’autre fêlé me rattrapa.

Il m’avait surpris, il fallait le dire. Je pensais avoir une avance confortable sur lui mais grâce à son monopode, il la réduisit à néant. Il avait élancé sa monture contre la paroi et avait quasiment atteint ma hauteur. Le monopode n’était pas resté deux secondes sur la paroi. Ses griffes ripèrent et il fit une longue chute cliquetante qui s’acheva tragiquement. L’ermite avait quitté son dos depuis longtemps. D’un bond prodigieux, il avait atterri sur un petit promontoire sur ma gauche et d’un cri sauvage, il lança son épieu qui me frappa en plein sur l’épaule.

Il n’y aurait pas eu la corde, je serais mort. Projeté en arrière, je battis des bras, essayant vainement de m’agripper à quelque chose lorsque ma main se referma sur le garde-fou. Les pieds dans le vide, je me hissai sur le rebord pour voir le regard fou de l’ermite se fixer sur moi avec une lueur affamée. Il sortit un petit couteau osseux de son fouillis de poils et s’approcha de moi. J’évitai le premier coup de justesse et parvint à attraper son poignet. Je n’essayai pas de le faire tomber – je n’en avais pas la force alors – mais plutôt de trouver un meilleur appuie. Heureusement que l’ermite n’avait rien saisi. Il me remonta avec une facilité déconcertante. C’est alors que je projetai mes doigts directement dans ses yeux meurtris. Hurlant, bavant, il me lâcha. J’en profitai pour lui asséner un direct dans l’estomac et nous tombâmes tout les deux. Ma chute se résuma à une dizaine de marches qui me labourèrent le dos. Lui glissa sur le flanc légèrement bombé de la montagne et partit dans un grand cri qui s’acheva lorsqu’il toucha le sol une quinzaine de mètre plus bas.

Je le pensais mort. Mais, vraisemblablement, la rage protège car il était de retour.

Bon sang, si seulement, je m’étais retenu…

… Mais la curiosité était trop forte. J’étais là, seul dans la masure, mon sac de provision à mes pieds et la plaque de calcaire devant moi. C’était plus fort que moi, j’avais l’impression qu’elle m’appelait, qu’elle me suppliait de l’ouvrir. Je ne résistai pas. L’ermite était allé traire l’une de ses choses, j’avais donc dix bonnes minutes devant moi. Doucement, mais pas trop lentement, je m’approchai de la plaque et la mit de côté. Derrière, un petit escalier de dix marches à peine. Sans plus attendre, je les descendis deux à deux.

Je ne saurais vous dire ce que j’ai ressenti en premier lorsque j’ai vu ce que cachait l’ermite là-dessous. Dégout ? Horreur ? Terreur ? Un peu tout ça à la fois ? Il était fou, je ne l’avais jamais pris au sérieux et j’avais fait une grave erreur. Je savais alors que mes jours étaient comptés. Depuis mon arrivée ici en fait. L’ermite ne m’avait pas sauvé par charité, oh non, mais par calcul.

J’étais réellement tombé dans l’antre d’un cannibale.

La cave faisait grossièrement cinq mètres sur six. Petite, bas de plafond, il y régnait une odeur doucereuse que je reconnus comme celle du sang. En regardant autour de moi, je vis que l’autre taré avait creusé plusieurs cases dans lesquels se trouvait l’objet de ma révulsion.

Des os.

Des os humains.

La folie a de multiples visages, j’avais l’un d’eux en face de moi à cette seconde. Il y avait dans cette organisation quelque chose de malsain, d’horrible. Les os avaient été méticuleusement nettoyés et rangé par catégorie. Humérus avec humérus, radius avec radius, tibia avec tibia, crâne avec crâne. Il y en avait suffisamment pour confectionner plus d’une quarantaine de personnes. Mais ce n’était pas tout. Des cases ne conservaient pas d’os. Certains étaient empli de poils, de cheveux de toutes les couleurs (blond, bruns, châtain, roux, gris, blanc), d’autres des tissus, des lambeaux de chemises, de pantalons, de sous-vêtements, soigneusement découpés et entreposés ici et d’autres encore étaient encombrées par des vessies de monopodes pleines à craquer de sang. Il y en avait au moins pour vingt litres. Mais le pire venait du centre de la pièce, là d’où provenait l’odeur de sang. L’ermite avait creusé une sorte de table d’un mètre de haut dans laquelle il avait inséré des cordelettes tressées à chaque coin. La table, autrefois blanche, en était devenu brune. De longues coulures s’étalaient sur ses parois et pour la première fois, je vis les instruments forgés dans l’os qu’il devait utiliser pour sa sale besogne tranquillement posés au pied même de la table, dans le sang séché.

Je me sentis mal. L’horreur de ce que je voyais me donnait envie de vomir. Combien d’êtres humains étaient déjà passés par là ? Combien s’étaient retrouvés prisonniers de cette table ? Combien s’étaient vu dépecés, dépiautés, découpés par ce malade avant de finir rangés en petit morceau dans son armoire des horreurs ? Je devais fuir. Maintenant.

Mais alors que je me retournais, un cri retentit.

« Sal’chien ! J’t’avais dit, pourtant. »

La seconde d’après, un projectile taille 44 me percuta le crâne et je perdis conscience.

A mon réveil, ma pire crainte s’était réalisée.

J’étais attaché à la table.

A ma droite, une odeur lourde et un amoncellement poilu m’informa de la présence de l’ermite. Il me tournait le dos et semblait très affairé. Un bruit aiguisé me vrillait les nerfs, me terrifiant au plus haut point. J’essayai de me débattre mais les liens semblaient solides.

« Qu’est-ce que vous faites ?
- J’t’avais dit, j’t’avais dit, fit l’ermite d’une voix sourde, pas aller dessous, c’est simple, pourtant. Mais non, curieux, trop curieux, comme les autres. »

Il se retourna vers moi avec deux os taillés à la main. Je sentis mes tripes se liquéfier à la vue du plus gros en forme de crochet.

« Non, arrêtez ! m’écriai-je en forçant sur mes liens, en vain.
- Mais non, non, marmonna l’ermite en s’approchant, t’es comme les autres. Curieux comme chien. Dois agir alors, et viande pas bonne. Pas bonne du tout.
- Pourquoi ? criai-je, pourquoi est-ce que vous faites ça ? Vous m’aviez dit…
- Pas avoir mangé toi parce que toi, trop faible, c’est tout. Tout maigre et chaud. Pas bon. Pas savoureux. Devait reprendre forces et muscles. Plus de viande. Si j’t’avais trouvé mort, j’t’aurais bouffé parce que sinon viande gâté et faut pas gâté la viande. Surtout viande aussi succulente. Miam. La bidoche de monopode, ça va bien deux minutes, t’a.
- C’est pour ça que vous faites ça, repris-je rapidement. C’est pour ça que vous avez tué tout ces gens. »

Je devais parler, je devais le faire parler. Gagner du temps. Ma seule chance. Je commençai à sentir du mou sur le lien de mon poignet gauche. Quelques secondes, c’était tout ce qu’il me fallait…
« M’ont pris pour leur larbin, tout c’cons, gronda-t-il en secouant rageusement son crochet. J’leur avais dit pourtant. Plus rien derrière montagne, même merde partout. J’en étais sûr, même si j’vais rien vu, pareil derrière que devant, était sûr. Mais non, non, non. Bande d’idiots, imbéciles, imbuvables, y sont partis quand même, c’cons. Ont creusé la montagne, j’t’l’ai pas dis, ça. Une grosse échelle dans le gouffre interdit. Y sont monté c’cons, monté, monté, tous en haut, y sont parvenus à grimper, c’cons. Pour quoi ? Pour rin ! Y a rin là-haut. Merde partout, j’t’dis. Savais moi, j’étais le preums, d’abord ! »

Il cracha sur le sol avec violence. Pour un peu, j’en oubliai ma situation, tant ce qu’il venait de dire me stupéfia.

« Une échelle ? Un chemin ? Il y a un passage dans les montagnes ?
- T’as pas entendu c’que j’t’ai dit ?! gueula-t-il, y a rin là haut. Rin, que merde. Et y voulaient m’y emmener, c’cons. Mais, moi, j’suis pas cinglé. Pas question d’y quitter ma bicoque. Ma bicoque à moi, sûre et sans merde, d’abord. Y m’ont dit alors de prév’nir les autres du passage des fois qu’j’en verrai. » Il cracha de nouveau. « M’prenne pour qui, d’abord ? Un portier ? C’cons, j’les ai laissé s’tirer en leur disant « Mais oui, voyons, j’vais le faire ; bien sûr qu’j’vais vous obéir ; quoi d’autres pour vos seigneuries ? ». Connards ! Plus r’vu ensuite. Clamsés comme j’l’avais dit. Tant de viande perdue. Gâchis ! »

Il souffla comme une bête enragée. Le lien était de plus en plus lâche. Encore quelques secondes…

« En plus, comme c’qui ont dit, y’en avait d’autre qui sont v’nu. Plein d’autre. Des cons, sûr. J’allais pas leur dire, ça, non. Pas fou, non pas fou. Quitte à caner, autant qu’ça se fasse ici. C’est tout bénef pour moi. Viande, sang pour le gigot, tissus, instrument avec os. Tout bénef, j’te dis. Ah, y’en a toujours qui s’casse, mais j’trouve toujours. Soit dans la plaine avec monopode, soit tout secs, mais là, viande imbouffable. Tant pis, d’ailleurs. J’trouve toujours d’quoi faire. »

Il se pencha sur moi avec une lueur sadique.

« J’étais content t’avoir trouvé. Faisait un bail qu’j’avais vu personne. Et les monopodes sont secs. Toit, t’vas être bon. Ouais, très bon. »

Je n’y croyais pas. L’ermite, d’accord, était un peu givré mais il m’avait sauvé la vie. Ce jour-là, je me rendis compte qu’il ne l’avait fait que pour une raison, me dévorer, et que s’il m’avait soigné, c’était uniquement pour m’engraisser, comme une oie en prévision des jours de fêtes.

A mon poignet, le fil était prêt à se rompre.

« Mais avant, vidange en règle ! »

Il brandit alors une vessie vide et un long tube organique ressemblant à s’y méprendre à des tripes. Je compris soudainement à quoi allait servir l’os pointu et le crochet.

« Non, arrêtez, criai-je, ne faites pas ça, bordel !
- Arrête, l’jeunot, tu vas exciter la viande, pas bon, après. »

Il approcha l’os pointu de ma carotide.

« Vous ne pouvez pas faire, ça, non !
- Y disent tous ça… Mais vous verrez, la mort, après, on n’y pense plus. »

Il leva le bras et s’apprêta à m’ouvrir la gorge.

Je ne sais pas si Dieu existe mais à cette seconde, je crus en lui car mon lien se défit brusquement. Avec un cri de rage, je lançai mon poing et j’écrasai l’œil gauche de l’ermite, qui ne s’y attendait pas du tout. Il s’écrasa par terre, glissant à moitié sur la vessie vide.

Fébrile, je parvins à défaire les liens de mes chevilles et de mon poignet restants en un temps record. L’ermite, pendant ce temps-là, s’était relevé, une lueur rouge dans les yeux.

« Sal’chien ! »

Il s’élança en avant, l’os brandi comme une épée, bien décidé à m’arracher la tête. Je sautai de la table, évitant de justesse l’os qui s’y planta, et m’armant d’une vessie pleine, je frappai l’ermite qui s’écroula de nouveau, sous une pluie d’hémoglobine grumeleuse. M’emparant du crochet, je l’enfonçai dans sa main droite posée sur le sol, le clouant littéralement sur place. Il hurla de douleur pour la première fois. Je ne restai pas pour savoir s’il allait parvenir à se libérer de l’étau. Je pris la poudre d’escampette. De toute façon, je le reverrais bien assez tôt.

Une demi-heure plus tard, sur l’éperon rocheux, je le regardais grimper les marches de l’escalier grossier avec un air éteint. Comment faisait-il pour avoir autant d’énergie avec deux doigts en moins et un œil poché ? Surréelle. J’aurais pu l’attendre ici mais dans un sursaut d’énergie - et de peur aussi-, je m’élancai et à mon tour, je me mis à grimper.

Je n’avais pas fait gros de chemin. Cinq mètres plus tard, je sentis une main se refermer sur ma cheville et une force herculéenne me tirer vers le bas. Pendant une seconde terrible, je me vis disparaitre dans le vide mais le froid de la roche et la puanteur de l’autre fou me ramenèrent à la réalité. J’avais dégringolé deux ou trois mètres à peine, un promontoire étroit m’avait évité la mort, du moins, à court terme. L’ermite, écarlate - dans tout les sens du terme - sauta et me plaqua contre la paroi. Nous nous retrouvâmes dans une position très désagréable. A moitié dans le vide, nous risquions à tout moment de basculer. Le souffle de l’ermite sur mon visage me donnait envie de vomir.

« Sal’chien, gronda-t-il, je vais t’arracher les viscères, t’a. »

Il brandit son morceau d’os à bout de bras. Ma dernière chance. Avec un grognement désespéré, je brisai son étreinte d’un coup de pied dans les rotules. Il me lâcha avec un grognement de rage et sa lame humaine alla se planter à cinq bons centimètres de mon crâne. Nous basculions, la chute était inévitable. Dans un dernier geste, je m’emparai de l’arme, espérant m’en servir pour ralentir ma chute. C’est alors que l’ermite se jeta sur moi avec un cri mouillé, les mains en avant, crispées comme des serres. Je ne réfléchis pas. Je lui plantai le morceau d’os dans son œil meurtri. La scène s’était alors comme figée. L’ermite, de son œil valide, me regarda avec incompréhension tandis qu’un geyser de sang et de pus fusa de son orbite ravagé. Il ne comprenait plus rien, ça ne devait pas se passer comme ça, ça ne se passait jamais comme ça. Il n’eut pas le temps de s’appesantir sur la chose (de toute façon, cela aurait toujours échappé à son esprit malade) ; son œil se voila et c’est sans bruit, presque avec grâce, qu’il se laissa tomber dans le vide. Tâche rouge sur fond blanc, il ne fut bientôt plus qu’un souvenir. Un souvenir nauséeux et violent. Mais un souvenir seulement.

L’ermite avait cependant un mérite : il était déterminé dans tout ce qu’il faisait. Car même dans la mort, il essayait de me faire la peau. Je n’avais pas fait attention, il m’avait agrippé à la ceinture. Je m’en suis rendu compte trop tard, j’ai connu l’ivresse terrible de la chute libre pendant deux secondes avant de rebondir sur l’escalier. Là, je réussi par miracle à choper la corde et à dégager la main de l’ermite. Un miracle qui me permit de voir sa fin, une fin sans gloire, une fin digne de lui. Je ne savais pas combien de temps j’étais resté ainsi, pendu dans le vide, à regarder jusqu’au vertige cette petite tâche sombre sur les flancs des Genves Hill. Je ne m’étais même pas aperçu que je m’étais hissé sur les marches. Posé là, perdu dans ces secondes épuisantes qui suivaient la poussée d’adrénaline, je contemplai jusqu’au dégout les plaines du Moir et au loin, la forêt des prusts. Je détestais ces noms. C’était laid. Parce que c’était l’ermite qui avait ainsi nommé ce monde répugnant. Oui, après tout… Ces noms étaient convenables. Un monde de fou baptisé par un fou. C’était l’ordre des choses.

J’éclatai soudain de rire. Un rire totalement dépourvu de joie, mais un rire salvateur, qui me déchargea de tout ce que j’avais accumulé depuis mon réveil lointain de la forêt des bulbes roses. Un rire sauvage, terrifiant. Un rire de bête. Le rire de l’ermite.

Les larmes aux yeux, je me calmai enfin. Avec un petit sourire, je regardai une dernière fois les restes de l’ermite. En définitive, c’était moi le plus fort. Le plus fort…

Avec un vrai sourire, ce coup-ci, ignorant mes muscles tétanisés, je repris mon escalade.

Je ne vous ferai pas le détail de mon ascension. L’ermite mort, elle n’avait plus aucun intérêt. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce fut long. Mes membres raidis rechignaient à m’obéir, ma tête lourde et douloureuse grâce aux bons soins de l’ermite me faisait zigzaguer. Cela devenait dangereux de continuer, surtout maintenant que la nuit était en train de tomber. Mais l’idée même de m’arrêter ne me frôla pas l’esprit. Je devais quitter ce monde affreux, quel qu’en soit le prix. Et le plus tôt serait le mieux.

Il me fallut néanmoins la nuit entière pour atteindre le bout du chemin. Lorsque mes pieds touchèrent enfin le sommet des Mails Mountains, je ne pus retenir un cri de joie.

Un cri de joie qui mourut en même temps que la lumière m’aveugla comme l’éclat d’un millier de soleils.

Je n’aurais jamais cru…

Que cela…

Puisse…

Mon Dieu…

V

Leurgat Nap


Souvenirs mortels


Il est de ces moments dans la vie où les choses autour de vous vous paraissent tellement aberrantes que vous souhaiteriez devenir fou, ne serait-ce que pour les tolérer. Dans une vie normale (cela existe-il seulement, une vie normale ?), ces moments sont rares et lorsque d’aventure, ils nous apparaissent, nous les regardons avec des yeux de nouveau-né, hagard, aveugle, las. Ce jour-là, au sommet des Mails Moutains, je tombai à genoux, écrasé par ce moment si rare et pourtant si prévisible. Devant moi, s’étendait la chose. L’aberration. La Vérité. Ce que j’avais refusé de voir depuis le début. Et qui pourtant crevait les yeux. L’inéluctable conséquence de cette machinerie implacable que je nommais mémoire et qui avait enfin retrouvé sa coordination.

Je ne compris pas au début. Habitué que j’étais à la lumière ténue qui régnait là-dessous, la violence de l’éclat du soleil me fit presque trébucher. Il me fallut une bonne dizaine de secondes pour percer ce miroir fluctuant et enfin admirer le monde qui s’étendait au-delà. Au-delà… Au-delà de quoi ? me demanderez-vous. Au-delà d’un pays qui n’en était pas un. Au-delà de la région sans territoire. Au-delà d’un passé sans raison.

Seigneur…

Des constructions monumentales s’étendaient au loin, à une distance que je ne saurais calculer. De gros poteaux de bois assemblés les uns aux autres, reliés en même temps à de larges surfaces planes. Je comptais deux édifices de ce genre autour d’un assemblage encore plus monumental doté de quatre pieds et surmonté d’une planche épaisse d’au moins un bon kilomètre. Au-delà, encore plus loin, une paroi grise uniforme percée d’une large baie éclatante. Au-delà encore, derrière la baie, un monde que je ne verrai probablement jamais. Un monde démesurément grand. Et pourtant si familier.

Tu sais très bien ce que c’est, n’est-ce pas, mon chéri…

Elle était revenue. Mon amour si volage qui m’avait abandonné à l’ermite. Maintenant, je savais pourquoi. Elle savait, l’ermite aussi le savait. Ils étaient de connivence. L’un pour me sauver, l’autre pour me tuer. La même chose en définitive.

Il te serait difficile de t’asseoir sur cette chaise, pas vrai mon chéri ? Il te faudrait un bon mois pour pouvoir ne serait-ce que te jucher dessus. Quant à manger sur cette table, inutile d’en parler. Mais après tout, ce n’est pas fait pour nous…

Je devenais fou. C’était pour ça que tu m’avais laissé à l’ermite. Tu voulais qu’il me tue pour m’éviter ces souvenirs. Jevoulais qu’il me tue.

Mon dieu…

Tout devenait clair maintenant. Je regardai derrière moi. J’avais enfin une vue d’ensemble sur ce monde de fous. La forêt des prusts… Un large monticule qui prenait quasiment toute la place et obstruait presque totalement le Trou, cet orifice démesuré dont je devinais à peine le sommet. La forêt des prusts… La forêt…

Prusts, mon amour. Prusts pour papilles gustative. Et le Trou…

La plaine du Moir au dessous, infime comparée à la forêt. Gris-rouge ; d’après l’ermite, elle était en train de pourrir.

Avec le ach entre, tout s’éclaire. Moir ne suffit pas.

Les Genves Hill. Collines boursouflées non minérales. Je le savais maintenant.

L’ermite était économe. En plus de parler anglais, il se privait de syllabes. Là, au milieu…

Mails Moutains…

Même économie, mon chéri. Même économie, avec un plus…

Lentement, je levai la tête. Maintenant que tout se remettait en place dans mon esprit, je fus à peine surpris de constater qu’au-dessus des Mails Moutains, une autre chaine de montagnes, similaire, était suspendue comme un couperet prêt à faire son office. Je comprenais maintenant. L’ermite avait un esprit vraiment tordu.

Forêt des prusts…
Plaine du Moir…
Genves Hill…
Mails Mountains…

Je perdis conscience à cet instant, terrassé par un mal de tête effroyable. Je n’avais plus conscience de mon corps au sommet de ces montagnes blanches. J’étais ailleurs. J’étais auprès de ma femme et de mon fils. Là-bas. Avant…

« Va-t-en ! Vite, allez-vous-en, toi et… »

Le choc me propulsa contre les poutres du toit et m’ouvrit le crâne. Traversé par une douleur fulgurante, la vue brouillé par le sang, je vis à peine l’ombre pulvériser les collines au loin. L’ombre, cette masse monstrueuse qui détruisait tout sur son passage accompagné du tonnerre, cette chose inqualifiable qui avançait en avalant tout sur son passage. Je me rendis compte de la bêtise de ce que je venais de lui dire. Rien ni personne, ne pouvait lui échapper. Je me retournai tandis qu’au-dessus de moi, la maison grinçait. Elle était partie. Elle m’avait obéi. Seigneur… Aveuglé par la peur, je me précipitai dehors. Derrière moi, la maison s’écroula sous les secousses. La dernière relique de mon passé venait de partir en fumée. Je ne pouvais pas les perdre. Je ne devais pas les perdre. Ils étaient tout ce qu’il me restait dans ce monde insensé. Ca y est, je les voyais. Non loin du grand chêne. Aussi vite que possible, je m’élançai vers eux, un sourire figé, béat, bête, sur la tronche. Un sourire qui disparut comme un songe lorsque l’ombre apparut derrière eux, une masse très différente de celle qui pulvérisait la terre.

« Non ! »

Ce qui arriva par la suite est encore confus. Je ne garde des minutes qui ont suivi qu’un souvenir mêlé, incohérent. La dernière image fixe que j’ai est celle de mon amour qui comprenait trop tard, qui se retournait et qui disparaissait dans un magma de terre. Nous venions d’être emportés. L’ombre avait arraché le sol avec une facilité terrifiante et nous nous élevions, enveloppés dans un tourbillon de poussière. Je ne sais pas comment j’ai pu survivre. La roche tournoyait autour de moi tandis que je m’élevai de plus en plus haut. J’étais impuissant, j’étais totalement à la merci des éléments, comme un grain de sable perdu en pleine tempête. Il n’y avait que le hurlement du vent et la terre qui m’étouffait et m’irritait les yeux. Par moments, je crus entendre mon nom porté par le souffle. Mais aujourd’hui encore, je pense que cela ne pouvait être que mon imagination. Rien ne pouvait percer cette folie.

J’ignore combien de temps je suis resté perdu dans ce tourbillon amorphe. L’obscurité régnait désormais. J’étais dans une caverne, ou une chose assimilée. L’ombre m’avait littéralement avalé. J’étais précipité le long d’un conduit mou, translucide, sillonné de veinule sombre. Une chute longue, interminable. Je n’avais rien pour me raccrocher, je me laissais tomber. Le vide rocheux. Je finis cependant par atterrir au fond du boyau et je me retrouvai pris dans une mélasse sans nom, hanté par les hurlements et les bruits de succion.

Non, je ne veux pas, je ne veux pas me souvenir de ça !

J’émergeai de la bouillie. Mon corps n’était plus que douleur. Au loin, d’autres silhouettes se profilaient. Je ne parvenais pas à les distinguer, mes yeux me brûlaient trop. Avec des gestes saccadés, j’essayai de les nettoyer, ce qui eut pour seul effet de décupler la douleur. Je compris alors l’horrible vérité. La mélasse baignait dans un liquide jaunâtre qui était en train de me ronger. Paniqué, je m’activai pour m’en enlever le plus possible. Heureusement, l’acide était lent, je n’eu pas de graves brulures. Débarrassé de mes habits, nu comme un ver mais à peu près intact, je me redressai à moitié et j’essayai de les appeler. Je n’aurais pas dû. Non, je n’aurais jamais dû me relever. Non…

Je ne veux pas. Je ne veux pas !
Souviens-toi. Les silhouettes qui comme toi sont tombées dans l’acide mais qui n’ont pas eu ta chance. Souviens-toi…
Non !
Cette femme courageuse qui essayait de hisser ses enfants sur le bord alors que sa moitié inférieure n’était plus que de la bouillie indescriptible ; cet homme qui essayait de retenir, de contenir ses tripes dans son ventre éclaté ; ce malheureux qui s’était retrouvé coincé sous une poutre et qui avait vu la moitié de son visage partir en lambeau ; cette pauvre vieille dont le visage avait également fondu ; ces enfants rongés jusqu’à l’os… Tous, tous perdus, tous dévorés par cet acide si spécial et si commun, cet acide que l’on nomme…
Assez ! Tais-toi !


Je voguais désormais entre réalité et irréalité. Entre les Mails Mountains et cette poche démesurée remplie d’acide. Mes mains étaient écarlates, du sang s’écoulait avec force de mon nez mais je ne m’en rendis pas compte ; mes yeux étaient prêts à jaillir de leurs orbites mais je ne le sentis pas. Il n’y avait que moi et cette machine implacable qui se remettait en place et me ramènait vers ce passé cauchemardesque que les gaz m’avaient fort heureusement fait oublier.

On n’échappe pas à son passé, mon amour. Tu sais, je le sais. Tu nous as cherchés, mais tu ne nous as pas trouvés. Il n’y avait que la mort autour de toi. Le sang, les tripes, la charogne. Tu craignais de ne pas nous reconnaitre dans ce magma. Tu as espéré et c’est ce qui t’as mené jusqu’ici. L’espoir et rien d’autre. L’espoir que nous soyons parmi ceux qui ont remonté…
Ce n’était pas un hasard, c’est ça ? Ce n’était pas un hasard…
Non, souviens-toi…


Je savais maintenant. Le dernier rouage venait de retrouver sa place. Je me souvins de tout. Mon errance parmi les moribonds à moitié dilués. Ce cadavre que j’avais dépouillé de ses vêtements. Mon appartenance à ce groupe qui avait tenté désespéramment de remonter par le conduit. Notre longue ascension de six semaines. Ces quelques fous qui nous avaient quittés pour en finir avec l’ombre, perforant le conduit et s’enfonçant encore plus profondément dans les ténèbres (Ils ont réussi, tu sais. Au prix de leur vie, mais ils ont réussi), les derniers jours, les dernières semaines, le tremblement, les dizaines de malheureux qui tombaient, les quelques chanceux qui furent entrainés vers le haut par des gaz violents et nauséabonds. Je le savais, je n’étais pas le premier à remonter jusque là, loin de là ; d’autres groupes, des douzaines d’épargnés, plusieurs semaines auparavant, plusieurs années pour certains (cela faisait plus d’un siècle que l’ombre nous hantait), étaient déjà parvenus jusqu’à la sortie. Je le savais car je voulais les rejoindre, espérant retrouver ma famille. Mais ce que je ne savais pas, c’était que ces gaz allaient me faire perdre la mémoire. Un mal pour un bien. Car en oubliant où j’étais, j’ai pu garder mon intégrité mental. Je comprenais la folie de l’ermite maintenant. Lui avait compris bien plus tôt que moi.

Je me relevai lentement. Mon visage était couvert de sang mais je voyais clair pour la première fois. Je savais à présent où j’étais. La forêt des prusts, non, pas une forêt, un tapis de papilles gustatives, la langue ! , la plaine du Moir, non, la mâchoire ! , Genves hill, les gencives ! et les Mails Mountains, mails, émail ; les dents !, le pays de l’ermite, ce monde qui avait faillit m’avoir.

Tout ce temps…

J’étais dans la gueule d’un géant mort.

Tout s’éclairait maintenant. Pendant plus de cent ans, c’était un géant qui détruisait mon monde et qui nous dévorait. C’était dans son estomac et son gosier que j’avais survécu pendant si longtemps. Le géant descendait régulièrement dans notre monde pour se nourrir. Il avait dû avaler l’ermite il y a un bail et ce dernier avait choisi de vivre ici, dans cette bouche vivante, bien au chaud au creux de ces dents. Mais l’acharnement avait fait son œuvre. Le géant n’était plus, il commençait à pourrir, d’où son immobilité. Quand aux monopodes, ils étaient probablement là depuis toujours, l’ermite avait seulement débusqué cette vermine microscopique assez tard. Combien ? Combien d’être humain aurait pu survivre si l’ermite, ce salopard de fêlé, ce fou qui était resté des années cloitré le long de ces dents, n’avait pas bloqué l’unique passage avec sa rage meurtrière ? Combien d’homme et de femme auraient pu s’en sortir ? En définitive, il n’y avait qu’une différence entre l’ermite et moi. L’ermite avait vécu sur une mâchoire vive pendant près de vingt ans et moi sur une mâchoire morte depuis dix jours. C’était tout.

Non…

Je ne devais pas réfléchir ainsi. Je ne devais pas me relâcher. Je n’étais qu’au début de mon voyage. Ceux qui ont grimpé jusque là ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. Je devais les rattraper. Et qui sait, malgré la noirceur qui m’étouffait, peut-être les retrouverai-je.

« J’arrive… Mon amour. »

Et sans plus attendre, je commençais à descendre l’autre versant des montagnes.


FIN
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