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Chapitre 10. La saga de la coupe


C'est une grande faute que de chercher
La foi naïve de notre enfance.
C'est de l'avant qu'il faut marcher,
C'est là que gît la récompense !


Zinaïda Hippius


Involontairement, Arthur et Richard se rapprochèrent l'un de l'autre et se penchèrent en avant. Ils tressaillaient d'admiration et d'horreur, comme dans leur enfance, quand la nourrice racontait un conte effrayant. Le père Nigel jeta sur eux un regard légèrement moqueur et répéta sa question.

- Pas grand-chose, avoua Arthur avec sincérité. On dit que Merlin était le précepteur et le conseiller du roi Arthur. Qu'il a créé la magique Table Ronde où siégeaient les douze meilleurs chevaliers du monde chrétien. Merlin a encore obtenu chez la Fée du Lac l'Epée du Pouvoir dont la lame brisait toute armure et dont le fourreau gardait le propriétaire d'une mort indigne d'un chevalier : aucune flèche, aucun javelot, aucun projectile de baliste ne pouvait trancher sa vie. On appelait cette épée Excalibur, certains la nommaient Calibourne ou même prononçaient Kaledvoulch, selon leur préférence. On dit que la lame d'Excalibur était ornée par l'image de deux dragons en or qui se battaient : les dragons bougeaient et paraissaient vivants. Arthur a battu les Saxons dans la bataille de Badon, il a bâti le château de Camelot et introduit des lois justes. Le royaume prospérait sous lui, car il était un vrai chevalier et observait la Justice du Fort. Et ensuite tout s'est évanoui en fumée, parce qu'un pays tombe dans l'abandon lorsque les serments sont violés. La reine Guenièvre a violé le serment de fidélité à son époux et son seigneur en le trompant avec un de ses vassaux ; Mordred, le neveu d'Arthur, a soulevé une rébellion, le roi l'a combattu et ils se sont tués l'un l'autre. Voilà tout ce que je sais.

- C'est peu en effet, bien que plus que ce que j'attendais, dit l'ermite qui avait écouté Arthur comme un maître écoute le balbutiement d'un élève assidu mais niais : il n'y a pas de quoi le louer, paraît-il, mais on a de la peine à le punir. Mais qui était Merlin ?

- Un sorcier, dit Richard en décidant de venir au secours de son ami.

Tout à coup, le père Nigel rit aux éclats, d'un rire si gai, si jeune que c'était contagieux. On aurait dit que le joyeux drille qui riait de tout son coeur et l'anachorète sec et un peu revêche étaient deux hommes différents.

- Un sorcier ! répéta le père Nigel qui riait encore, en essuyant les larmes et en s'efforçant de se calmer. Un sorcier, et tout est dit ! Il faut que vous sachiez, continua-t-il sur un ton plus grave, que la Terre et la Bretagne en particulier n'étaient pas toujours habitées par les hommes. Longtemps avant l'apparition de la race humaine on appelait cette île « Clas Myrddin », ou « le Clos de Merlin ».

- Expliquez-nous cela, l'interrompit Richard. Qu'est-ce que cela veut dire que la Terre n'était pas toujours habitée par les hommes ? Qui l'habitait donc ?

- Voilà bien la question, répondit l'ermite calmement, sans s'offenser de l'interruption. Avez-vous lu attentivement les Saintes Ecritures ? Alors vous devez savoir que plusieurs livres de l'Ancien Testament contiennent des mentions obscures des « dieux mineurs » ou « fils de Dieu », ni hommes ni anges, qui sont immortels, doués de raison et de libre arbitre, n'ont pas de corps mais peuvent prendre l'apparence humaine quand ils le souhaitent.

- Obscures, c'est bien le mot, grommela Richard, l'air sombre. Arthur ne disait rien et avait peur de respirer, tout oreilles.

- Prenez le livre et lisez les passages soulignés, dit l'ermite et tendit à Richard un volume épais de la Bible en reliure massive dorée.

- « Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face de la terre, et que des filles leur furent nées, se mit à lire Richard, les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu'ils choisirent. Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu'elles leur eurent donné des enfants : ce sont ces héros qui furent fameux dans l'antiquité. »

- Le psaume 82 dit : « Dieu se tient dans l'assemblée des dieux ; il juge au milieu des dieux », se hasarda à placer Arthur.

- Justement. Très bien ! Le psaume 89 proclame : « Qui est semblable à toi parmi les fils de Dieu ? » sourit le père Nigel. Et voici le psaume 135 : « Je sais que L'Eternel est grand, et que notre Seigneur est au-dessus de tous les dieux. »

- On lit quelque chose de semblable dans le Coran, dit Richard, l'air pensif. Je ne me souviens plus... Voilà ! « Il y a parmi nous ceux qui se sont donnés à Allah, et il y a ceux qui ont dévié. Les justes ont cherché la droiture, et quant aux injustes, ils formeront le combustible de l'Enfer. »

- Optime ! L'ermite se tourna vers Richard et le regarda avec un intérêt non feint. Je ne m'attendais pas à trouver en vous un connaisseur du livre sacré des musulmans. Je soupçonnais d'autant moins que l'esprit guerrier fût compatible avec une largeur d'esprit !

Richard se cambra d'un air victorieux.

- Ainsi donc, avant l'exil des premiers hommes du jardin d'Éden une autre race habitait la Terre, une race ancienne, celle des géants, des djinns et des fils de Dieu. L'un d'eux, selon la légende, était le père de Merlin, tandis que sa mère était une princesse galloise, une fille pleine de beauté et de sagesse, experte en magie et en sorcellerie. Ainsi Merlin, mes amis, n'est pas seulement un sorcier, il est en quelque sorte le médiateur entre le monde des hommes et le monde des esprits auquel appartenait son père. Passons à Arthur. La légende dit qu'Arthur a été mis au monde par la belle Ygraine, l'épouse du seigneur du château de Tintagel, et que son père était le roi des Bretons, Uther Pendragon. Pris de passion pour la femme de son vassal, comme autrefois le roi David pour Bethsabée, il l'a possédée, ayant pris l'apparence corporelle de son époux avec l'aide de la magie de Merlin. Le duc a été tué, et le roi perfide s'est hâté d'épouser sa veuve, mais celui qui a violé la Justice du Fort ne peut pas régner. La fortune a abandonné Pendragon, il a péri dans une guerre intestine et a été enterré dans le Cercle des Géants à Stonehenge. À propos, vous rappelez-vous comment ce cercle est apparu ?

- Merlin l'a transporté d'un endroit quelconque à la demande du roi Uther ? se hasarda Arthur, mi-affirmatif, mi-interrogatif.

- Tout à fait, approuva le père Nigel. Mais revenons à Merlin. Le roi Uther est donc mort, et le chaos de l'anarchie s'est emparé du pays. Alors Merlin a obtenu Excalibur chez la Fée du Lac et il l'a plantée dans un rocher en annonçant que l'Epée du Pouvoir indiquerait elle-même le nouveau roi. Celui qui pourrait la libérer serait le roi des Bretons. Alors les seigneurs les plus nobles et les plus puissants sont venus pour tenter leur fortune, et nul d'entre eux n'a pu s'emparer d'Excalibur, mais le jeune écuyer d'un pauvre chevalier, un orphelin sans famille a réussi à le faire. Le jouvenceau s'appelait Arthur et il avait moins de dix-sept ans.

L'ermite se tut et regarda Arthur avec tant d'insistance que l'adolescent rougit et se sentit comme sur des charbons ardents.

- Uther Pendragon a violé la Justice du Fort en prenant la femme à son vassal, continua le père Nigel, tandis que sous Arthur la reine Guenièvre a violé les lois de Dieu et des hommes en trompant son époux et son roi avec un de ses chevaliers. La terre du seigneur dont l'épouse partage sa couche avec un amant s'appauvrit, ainsi disent les druides. Et les chrétiens pensent que ni le roi ni l'épouse du roi ne devraient mentir, afin que le Père du Mensonge n'envoie pas ses légions pour conquérir leur terre. C'est ce qui est arrivé. Guenièvre a trompé Arthur avec Lancelot, et la demi-soeur du roi, la druidesse Morgane, a pris l'apparence de la reine et a passé la nuit avec son propre frère. Mordred a été le fruit de ce crime, maudit déjà dans le ventre de sa mère ; on dit qu'il n'avait pas d'âme humaine, seulement une enveloppe corporelle occupée par un démon avant sa naissance même. Cela arrive parfois si l'enfant a été conçu d'un viol ou s'il est le fruit d'un inceste. Lorsque Mordred est devenu un guerrier, il s'est soulevé contre Arthur, et sa mère l'aidait avec sa sorcellerie. Dans la bataille de Camlann Arthur a abattu Mordred et Merlin a vaincu Morgane, mais l'Epée du Pouvoir a été perdue, et le roi a reçu une blessure mortelle. L'âge d'or de la Bretagne s'est terminé ainsi. Est-ce que quelqu'un de vous se souvient de ce qui s'est passé ensuite ?

- Je m'en souviens, annonça Richard. Arthur a reçu une blessure mortelle mais il n'est pas mort : il est allé sur l'Île des Pommes, autrement appelée Avalon. Ou plutôt, c'était une île à cette époque-là, mais la mer s'est retirée par la suite, et maintenant c'est la Colline Rocheuse dans le comté de Somerset. On l'appelle également la Colline du Château en Verre, parce qu'un mystérieux château en verre apparaît parfois à son sommet, mais seulement celui qui est désigné par le sort peut entrer dans ce château. On dit aussi que sous la Colline Rocheuse il y a un labyrinthe que personne n'a encore réussi à parcourir jusqu'au bout. C'est dans ce labyrinthe que gît, plongé dans un sommeil magique, le roi Arthur qu'on appelle le Roi du Passé et de l'Avenir, car la prophétie de Merlin annonce qu'un jour il se relèvera et régnera de nouveau. Au même endroit, sur la Colline Rocheuse, au pied de deux ifs géants, d'une gueule de lion en bronze jaillit une source qu'on appelle la Source de la Coupe. L'eau de la source a un teint rougeâtre et des vertus curatives.

- Pas mal, approuva le père Nigel. Et pourquoi est-ce que la Source de la Coupe s'appelle ainsi ?

- Eh bien... Richard baissa les yeux, tout confus, comme si on venait de lui poser une question très intime. On dit... On dit que dans la caverne sous la Colline Rocheuse est gardé le Saint Graal - le calice qui contient le sang du Christ...

- On raconte que ce calice a été creusé dans le bloc d'une énorme émeraude, ajouta Arthur avec vivacité. Autrefois cette émeraude décorait la couronne de Lucifer, l'ange de l'aube matinale, qui, dans son orgueil, s'est cru égal à Dieu. L'archange Michel a combattu Lucifer, l'a vaincu et arraché de sa tête la couronne qui est tombée par terre, se brisant en mille morceaux, mais la grande émeraude, le joyau de la couronne, est restée intacte. Il paraît que plus tard le roi David a ordonné d'y creuser une coupe que son fils, le sage Salomon, a héritée. Les descendants de David ont gardé le calice pendant des siècles, et finalement Jésus l'a hérité à son tour...

- C'est dans ce calice que notre Sauveur a servi l'Eucharistie pendant la Cène, ensuite il l'a passé à son disciple secret, Joseph d'Arimathée, poursuivit l'ermite après un hochement de tête approbateur vers Arthur. Saint Joseph y a recueilli le sang de Jésus, qui avait coulé de la plaie faite par la lance de Longin. Ponce Pilate a jeté Joseph en prison, où Jésus lui est apparu et lui a ordonné d'aller en Bretagne pour prêcher aux païens de ce pays la foi chrétienne. Bientôt Joseph a été libéré. Arrivé en Bretagne, il a fondé sur l'île d'Avalon, à la place d'un nemeton druidique, la Chapelle du Saule en l'honneur de la Vierge Marie, l'aïeule de toutes les églises britanniques. C'est alors qu'il a planté la célèbre aubépine de Glastonbury qui fleurit deux fois par an, à Noël et à Pâques, et caché la coupe du Graal dans une caverne sous la Colline Rocheuse. Cela s'est passé l'an du Seigneur 37. Presque cinq siècles plus tard, au temps du roi Arthur, le temple du Saint Graal a été fondé. Les simples gens nomment ce temple le Château en Verre ou le Château qui Disparaît, et les initiés l'appellent la Montagne du Salut, ou Montsalvat. Le roi Arthur et ses chevaliers étaient les premiers gardiens du Saint Graal - tous sauf Lancelot dont les péchés étaient si lourds que, quand il a voulu voir la sainte relique, il est tombé sans vie. Le reste des chevaliers de la Table Ronde ont péri dans la bataille de Camlann, arrêtant au prix de leurs vies le grand mal. Le roi Arthur est mort sur Avalon à la suite de ses blessures et il a été enterré dans la crypte* de la Chapelle du Saule avec la reine Guenièvre qui s'était faite religieuse pour expier ses péchés et qui a bientôt suivi son époux dans la tombe.

- Et le Château en Verre ? demanda Richard dans un sursaut. Est-il maintenant inhabité ?

- Une bonne question, sourit le père Nigel. Le château de Montsalvat (habituez-vous à l'appeler ainsi) ne peut pas rester longtemps inhabité. La Table Ronde que Merlin a faite autrefois pour le roi Arthur y est gardée, et les douze sièges portent chacun le nom de celui qui est digne de l'occuper, tracé par une main invisible. Dans la galerie de garde du donjon, il y a une cloche magique qui se met à sonner toute seule chaque fois que quelqu'un a besoin de l'aide des chevaliers du Graal. Les secrets du passé et de l'avenir sont révélés aux élus qui constituent la garde du château de Montsalvat, car ce château est le centre de l'Univers où se croisent toutes les voies célestes et terrestres.

- Tout cela est bien curieux, dit Richard, mais en quoi cette histoire peut-elle nous concerner ?

- Demandez à votre camarade, lui conseilla l'ermite. Je crois qu'il a déjà deviné.

Richard, étonné et incrédule, regarda son ami. Arthur passa la main sur son visage et fit un sourire forcé :

- Tu peux dire que je suis fou. Mais il me semble... il me semble qu'on est en train de nous recruter dans cette garde.

Dans le silence qui régna après les paroles d'Arthur, le bruit d'un livre tombé par terre résonna comme un coup de tonnerre : le volume de la Bible, toujours ouvert, glissa des doigts engourdis de Richard et tomba avec fracas, ce qui sortit le chevalier de sa torpeur. Il se leva, ramassa le livre, le ferma et le posa au bord de la table, écarta la vaisselle avec les restes de la nourriture et s'assit sur la table, les bras croisés. Tous ses mouvements étaient ralentis, comme ceux d'un nageur.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Richard avec brusquerie, en considérant ses interlocuteurs tour à tour. Arthur regardait son ami d'un air coupable, inquiet, et l'ermite non sans ironie, mais avec bienveillance. Ni l'un, ni l'autre n'avaient l'air de fous dangereux. Mais qu'est-ce qui se passe donc ? Êtes-vous cinglés ou est-ce que vous vous moquez de moi ?!

- Calmez-vous, je vous en prie, dit le père Nigel avec douceur. Maintenant il n'y avait plus d'ironie dans sa voix mais de la sollicitude et de la bonté. Personne ne se joue de vous, c'est la vérité pure et simple. Qu'est-ce qui vous a choqué à ce point ? Qu'une ancienne légende soit bien vraie ? Vous êtes chrétien, n'est-ce pas ?

- Oui, par diable ! rugit Richard.

- Vous n'êtes pas conséquent, sourit l'ermite. Et non uniquement parce que vous jurez beaucoup plus souvent que vous ne faites le signe de la croix. Il y a autre chose encore. Si vous, en bon catholique, croyez à la force sacrée du Bois de la Vraie Croix, de la Lance du Destin et du Mandylion, qu'est-ce qui vous empêche de croire à l'existence d'une sainte relique de plus ?

- Eh bien... Richard fronça les sourcils en rassemblant ses pensées. J'ai vu le Bois de la Vraie Croix, personnellement. J'ai vu également la Lance du Destin, bien que je ne sois pas sûr que ce soit la vraie... mais qui sait, Pierre Barthélemy* a bien passé l'ordalie*, avant de mourir. Je n'ai pas vu le Mandylion, mais j'ai vu des dizaines d'icônes byzantines qui le représentaient. Et sur le Graal il n'y a que des rumeurs... comme si c'était un vieux mensonge !

- Cette histoire est vieille, mais c'est la vérité pure, répondit l'ermite en secouant la tête. Vous avez cherché pendant des années quelque chose d'élevé, digne d'être le sens de la vie. Et vous avez été entendu !

- Et moi ? demanda Arthur.

- Toi, tu es un descendant direct d'Arthur Pendragon du côté maternel, expliqua Nigel avec beaucoup de patience, ta mère Béatrice était le portrait vivant de son arrière-grand-mère, morte il y a des siècles. Cette arrière-grand-mère est devenue la première femme qu'Arthur ait connue, une fille leur est née. Arthur lui-même descendait du côté maternel de Saint Joseph d'Arimathée dont la fille avait épousé un des anciens rois bretons. Naturellement, ce n'est pas le principal. Si tu avais été un adolescent ordinaire, comme ton cousin ou même comme le jeune Etienne de Blois, ta parenté avec le roi Arthur aurait été insuffisante. Le principal, c'est ton choix, Arthur.

- Dites, saint père, ce que vous venez de nous raconter, est-ce tout ce qu'il nous faut savoir ? parla Richard. Maintenant il était imperturbable comme un professeur de théologie qui essaye d'établir combien d'anges peuvent se tenir sur la pointe d'une aiguille.

- Bien sûr que non, dit le père Nigel en se tournant vers lui. Vous aurez des épreuves à passer, choisies par le Saint Graal, vous devrez trouver les autres gardiens, savoir comprendre la langue des animaux et des oiseaux, distinguer les propriétés des plantes et des pierres précieuses, lire les pensées, prévoir l'avenir, guérir les blessures et les maladies. L'ermite prononça ces dernières paroles vite et avec indifférence, c'était à croire qu'il parlait des choses les plus ordinaires au monde, comme des choux dans un potager.

Les amis échangèrent un coup d'oeil, et Arthur demanda :

- Mais si vous savez faire tout cela, pourquoi végétez-vous ici en obscurité ? Pourquoi ne pas proposer vos conseils et votre aide à un roi ?

- « Ne demande pas au Seigneur le pouvoir, ni au roi un siège d'honneur », cita l'ermite avec un sourire. Les gens tels que moi ne sont pas autorisés à avoir un autre roi que Dieu. Vois-tu, Arthur, il y a le cours principal de l'histoire, qui se forme de centaines de milliers de volontés individuelles et qui est dirigé par la Providence, et les gens tels que moi ne doivent pas s'en mêler. Quant aux rois, il vaut mieux qu'ils sachent le moins possible de nous, pour éviter la tentation de mettre la sagesse d'un autre au service de leur propre folie - c'est précisément ce qui est arrivé dans le cas du roi Uther et de Merlin. Mais revenons au Saint Graal, reprit-il après un silence. L'ennemi du genre humain et ses serviteurs voudraient s'emparer du Graal et dominer sa puissance infinie, ce qui est impossible, heureusement. Le Graal détruira chacun qui l'abordera avec des pensées impures, comme le soleil détruit l'obscurité.

- Mais alors, s'exclama Richard, pourquoi avoir les gardiens ? Juste à tout hasard ?

- Le rôle des gardiens n'est pas tellement de garder le Graal que de le servir, expliqua le père Nigel. Lorsque la cloche sonne à Montsalvat, ils se dépêchent là où leur secours est demandé. Beaucoup de gens qui racontent avoir vu des anges ont en réalité été sauvés par les chevaliers du Graal. En plus, les gardiens combattent les esprits malins et les monstres et en défendent les bons chrétiens. Enfin, il existe la magie noire, et quelqu'un doit lutter contre ses adeptes !

- Alors je suis d'accord, dit Richard. Les mages noirs sont des scélérats, je ne les aime pas.

- Où les as-tu vus ? demanda Arthur, curieux.

- En Outremer, naturellement, Richard haussa les épaules. Les alchimistes sarrasins croient que les globes oculaires des jeunes hommes contiennent un élixir de la vie. Si le champ de bataille appartient aux cochons de sable, les alchimistes le parcourent et crèvent les yeux à tous les Francs tués. Et parfois à ceux qui sont encore vivants...



* Crypte (f.) - caveau souterrain d'une église.

* Pierre Barthélemy - croisé, prêtre et moine. En 1098, il prétendit avoir découvert la Sainte Lance. En 1099, lors du siège d'Archas, les croisés exprimèrent des doutes sur l'authenticité de la relique. Pierre Barthélemy accepta de se soumettre à l'épreuve du fer (il traversa un bûcher en tenant la relique dans ses mains) et mourut quelques jours plus tard. Les chroniqueurs restent vagues sur ce qui fut la cause de sa mort : les brûlures ou le choc nerveux, néfaste pour un homme qui n'était plus jeune.

* Ordalie (f.) - épreuve pour celui qui est accusé de sorcellerie, d'un meurtre ou d'un autre crime - avec le feu, le fer, l'eau, un anneau, le pain consacré ou les armes.
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