« Reste-là… » C’est ce que j’ai fait toute ma vie.
Je suis restée là alors que Lucien est parti à la guerre. Je suis restée là alors que le monde s’écroulait autour de moi. J’ai attendu des années sans agir, car c’est ce qu’on attendait de moi, car c’est ce qu’on m’avait dit.
« Reste-là ! » Comme une poupée dont le rôle est de sourire, comme une statue qui ne doit pas bouger. J’étais là pour être admirée dans mon silence, pour rester passive durant les événements. Je les ai écoutés, je n’ai rien compris.
« Reste-là. » Assise sur les bancs de l’église ou sur ceux de l’école, le résultat est le même. Je reste là sans protester les laissant me gorger d’idéaux qui ne sont pas les miens. Je les gobe sans broncher, car je ne sais rien faire de mieux.
« Reste-là. » C’est ce qu’on veut de moi aujourd’hui. Mon père m’a accompagnée le long de la longue allée de l’église. Il n’a rien dit, mais lorsqu’il m’a abandonné devant l’autel, c’était implicite. Dans ma longue robe de mariée, je regarde le prêtre prononcer des mots qui forgent peu à peu mon destin. Je reste là à l’écouter alors que le voile de mes cheveux semble de plus en plus lourd. Comme une ancre qui coule à chacun de ses mots, qui me fixe sur place, qui colle mes pieds au sol. Bientôt, je ne pourrai plus bouger. Si je garde ce voile, cette promesse devant Dieu, je resterai là à jamais. Je ferme les yeux m’imaginant le jeter au sol et m’enfuir sous les yeux stupéfaits de tout le monde. Mes pieds ne touchent plus le sol, je plane vers les grandes portes de l’église. À l’extérieur, je m’envole, je virevolte ! Le soleil m’accueille dans ses bras comme un vieil ami. Je m’enfuis pour toutes les fois où je n’ai pas pu. Pour toutes les fois où j’aurais dû. Je souris… Mais je reste-là, car c’est ce qu’on m’a appris… Oui… je reste-là…