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Une fois sur mes deux pieds, je la dépasse largement d'une bonne tête. Je la surplombe de toute ma carrure et baisse les yeux vers elle d'un air provocateur. Elle croise les bras, son regard plonge dans le mien et me défie. Je ne suis heureusement pas du genre à fuir un regard, surtout quand il vient d'en bas. Qu'elle m'énerve avec son air supérieur, avec l'air imposant qu'elle cherche à se donner en levant son menton d'aristocrate. Je vais lui montrer qui est supérieur ici. Je hausse le ton.

- Je t'interdis de me traiter de bon à rien. Je suis majeur et vacciné, on a un deal, tu n'as aucun droit sur ma vie ! Maintenant sors de ma chambre, tout de suite, putain.

- Comment oses-tu me parler sur ce ton, elle me répond sur un ton aussi sec que son coeur.

Manquerait plus qu'elle me spécifie qu'elle est ma mère. C'est tellement prévisible comme réaction.

- Dehors j'ai dit ! Va jouer à la méchante mère sans coeur autre part, tu m'emmerdes là ! Ce petit numéro ne marche plus avec moi et tu le sais très bien. Dégage.

C'est plutôt moi qui suis sans coeur, pour l'instant. Je me suis pris au jeu de la dispute et on ne m'arrête pas, dans ce domaine. Je gronde, un doigt impérial pointé vers la porte. Ma mère pince les lèvres, elle bouillonne, pourtant elle semble encore se contrôler. Tellement bien qu'elle n'a pas bougé du tout. Elle est coriace, la vieille, elle ne se laisse pas faire. On se toise froidement. La tension est palpable. Un grand silence cherche à s'installer.

Le bruit de sa main s'écrasant avec violence sur ma joue l'en empêche.

J'écarquille les yeux, le sang afflue vers mon visage désormais douloureux. Elle n'a pas osé. Elle n'a pas pu oser.

- Donne moi encore une seule fois des ordres, prend toi encore une seule fois pour le chef de cette maison et pour le plus malin et je te jure que je t'envoie dans un champ tout le reste de ta misérable vie.

J'inspire profondément.

Je vais la frapper.

Pour quelle raison ne le ferais-je pas ? Je le fais bien, au Paradis. Et puis il n'y aura personne pour me tuer ici. Il n'y a qu'elle et moi. J'expire finalement, je passe une main dans mes cheveux, tendu, énervé, endolori, fatigué. Tout sauf ce qu'il me faut. Je serre les poings pour m'empêcher de faire de choisir la mauvaises décisions et préfère la fuite. Je traverse la pièce, bouscule la vioque, claque la porte de ma chambre et traverse le couloir à pas à la fois décidé et sous tension. J'aperçois Zack, caché derrière un couloir. Il m'observe sortir, interdit. Je ne lui jette qu'un bref regard. Je ne désire qu'une chose maintenant : retrouver la vie que je préfère, celle qui sait me reconnaître pour ce que je suis. J'ai le temps de fuir dans le labyrinthe de champs avant que la tornade maternelle ne me rattrape pour me refaire la morale.

Je cours. Je cours loin de ma vie ratée.

Je m'en vais faire des provisions avec l'argent de ma mère que j'ai pris le temps d'emmener. Je ne suis pas complètement stupide. Je compte quand même survivre à ma session. Les courses me permettent de reprendre mes esprits. Certains passants me regardent dans la rue. Je suis sûr d'avoir la marque de sa main imprimée sur la joue. Elle a de la force, l'air de rien, la vioque. Je baisse la tête. J'aurais dû prendre une casquette mais je ne pensais pas attirer les regards ainsi. J'avale les rues, les routes, les champs, je trace mon chemin, un sac plastique bien rempli en mains. Même si mon calme est revenu j'ai vraiment, vraiment besoin de me défouler.

Je n'ai pas eu besoin de réfléchir une seule seconde pour savoir comment j'allais le faire.

Je souris en coin en repensant à la dispute.N'aurais-je pas été un peu trop loin ? Je ne m'énerve pas à ce point, habituellement. Tout a dégénéré si vite.

Bon, ce n'est pas le moment de me poser trop de questions. La fatigue sans doute, rien de plus. Là où je vais au moins, il n'y aura personne pour me tenir vraiment tête. Tous les obstacles seront soit coupés en deux, soit réduits en cendre par mon compagnon de voyage. Et cette domination est très bien ainsi.

L'odeur caractéristique de la cave m'accueille, je la trouve presque sympathique, maintenant. Je dirais plutôt réconfortante. Je sais ce qu'elle signifie surtout. Il fait plutôt chaud aujourd'hui, des mouches volent ici et là, celles qui ont réussis à passer la grille, ou qui se sont retrouvées ici par mégarde. J'en chasse quelques unes d'un revers de la main. Je lâche mes courses sur le sol et m'approche de la machine.

Une fois à l'intérieur, Lucie, ou plutôt Ange, me souhaite la bienvenue. Elle a l'air soucieuse cependant. Je craignais qu'elle soit encore aussi réservée que la session précédente, suite à notre petite discussion sur son prénom, mais elle semble faire comme si rien ne c'était passé. Ou elle a juste oublié de faire l'humaine, je ne sais pas.

- Tes pulsations sont anormalement élevées. Ton cerveau m'indique que tu es quelque peu en colère. Tout se passe bien ?

- Oui, maintenant tout va bien, je suis tout à fait apte à jouer, si c'est ce que tu sous-entends.

Pourquoi elle fronce les sourcils ? Ça ne pouvait être que pour ça. En plus, je ne mens même pas. Je suis très calme maintenant que je suis à l'intérieur de la machine. Tout est si doux et si parfait. Je commence à jouer, Ange me materne beaucoup aujourd'hui. Elle se prend pour ma mère ? Ce n'est vraiment pas le moment pour le faire. Et puis je la préfère à ma mère, mais pas en tant que mère, bien sûr, ce serait trop bizarre. Ange reste une partie de la machine et rien de plus. Cependant, elle, au moins, elle ne crie pas, elle ne me juge pas, elle me conseille, m'informe, me guide, mais n'impose aucune décision. Je suis toujours maître de mes actions. J'aime ça. De longues heures passent, entrecoupées de pauses nutritives. Je ne bouge même plus de la capsule, j'ai encore cette sensation que mes jambes ne veulent plus répondre à mes ordres. Heureusement, ce n'est pas grave, je connais ça, c'est à force de ne pas bouger. Je le sais, Lucie m'a dit qu'après trois heures dans la machine, le retour à la normale se faisait plus long. Elle a aussi dit qu'il s'agit d'un effet à court terme, et que ce n'est pas dangereux.

- Tu sais, même avec des pauses, surtout aussi courtes, ton cerveau va finir par vraiment se reposer sur la machine, tes parents pourraient finir par s'inquiéter.

- C'est dans ton programme de mise en garde, ça ? Tu peux le désactiver.

Silence. Il fait nuit. Je regarde le ciel parsemé d'étoiles gouvernées par deux lunes, dont l'une, beaucoup plus grosse que sa partenaire, semble pouvoir s'écraser à tout moment sur le monde, tant elle est proche.

- Non, je m'inquiète pour toi. Je suis capable de ressentir des émotions, tu sais.

Je tourne la tête. Elle est assise en retrait sur un rocher, elle me surplombe quand même. Sa beauté au clair de lune est encore plus prononcée. Sa peau et ses cheveux albâtres brillent. Elle me fait rire.

- Tu les imites, nuance. Les émotions sont une réaction chimique, c'est organique. Donc c'est pas pour toi.

- Pourquoi ne m'apprécies-tu pas ?

Je me tourne un peu plus vers elle. Encore une drôle de question, elle me fait hausser un sourcil dubitatif. Un doute me traverse quelques secondes. Je soupire ensuite. C'est vrai que l'impression est parfaite, mais elle reste un programme. Elle ne vit pas. Le doute ne survit pas longtemps. Je ne suis pas désespéré à ce point que pour le réfugier dans la pseudo humanité d'un ensemble de un et de zéro.

Et merde, ce n'est qu'un jeu, je sais faire la différence.

- Je t'apprécie, ce n'est pas la question. Je dis simplement ce qui est. Tu n'es ni vivante, ni réelle.

- Je suis réelle.

- Non, tu ne l'es pas.
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