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Je finis par sourire. Je ne sais pas si c'est par dépit ou par amusement, ou les deux. Pas la peine de me prendre la tête pour ça. Ce n'est pas pour cela que je suis venu ici.

Je suis venu ici pour m'évader, pour vivre une vie infiniment mieux que celle que j'ai de l'autre côté de la capsule. Je suis venu ici pour assouvir ma soif d'aventure. Bref, pour beaucoup de choses, mais pas pour ça. Ce n'est qu'un programme, ce n'est qu'une machine dans un local abandonné qui a miraculeusement survécu. Je me demande même comment elle peut toujours marcher. Par une batterie solaire certainement. Cachée quelque part dans les champs, ou toujours reliée à l'alimentation générale. Je me laisse porter par le jeu, j'oublie cette histoire. Je me réveille dans une auberge, l'interface me rappelle mon avancée, mes quêtes, mon équipement. Je souris. Les souvenirs m'envahissent. L'imprévu me tend les bras. Plus de problèmes, pas de mort définitive dans ce monde.Je me sens libre et libéré de mes problèmes réels, même si mon corps réclame eau et nourriture et d'évacuer ce qu'il y a à évacuer. Heureusement, la capsule et le casque sont là pour me le rappeler. Ange me propose de faire des pauses au moins aux heures de repas ainsi que lorsqu'elle sent que ma vessie ou mon gros intestin sont remplis - il y a un scanner intégré, ou un savant calcul de digestion-. Elle m'incite régulièrement à en faire plus, mais elle ne peut que me laisser le choix, car elle n'a aucune maîtrise sur mon interface, et sur ma connexion, pour des raisons évidentes de sécurité. Je ne fais évidemment aucune pause supplémentaire. Il faut dire que le temps passe trop vite. Je me demande même parfois si elle ne me prévient pas alors qu'il n'y a rien à signaler.

Le soir arrive en cavalant. La nuit également. Je ne m'en rends même pas compte à vrai dire. C'est Ange qui me prévient.

Il est trois heures du matin quand je m'extirpe de la douceur de la capsule. Il fait nuit noire dehors, et je peine à me repérer dans l'obscurité de la pièce. Je ne sens plus mes jambes, ni le bout de mes doigts. Je suis comme... endormi, détaché, serein, un peu trop serein. Les sons parviennent étouffés à mes oreilles. Je me sens comme dans une bulle, au milieu des déchets alimentaires. Ma fichue tête ne suit pas, elle me lance, elle tourne. Je dois prendre l'air pendant quelques minutes. Il m'a fallu beaucoup plus de temps qu'à l'accoutumée pour me déplacer jusqu'à l'extérieur. Mes jambes obéissent avec réticence, lenteur. J'ai l'impression de porter des chaussures de plomb. L'air est lourd dans mes poumons. Il est chargé de pollen et de cendre. Les champs, ondulant comme des vagues sous le vent discret, me donnent envie de vomir.

Je dois rentrer chez moi maintenant. Ce ne sont que de petits désagréments. Je peux survivre avec, ça valait le coup. Toutes bonnes choses en a des plus mauvaises, c'est normal, il faut bien des inconvénients. Cela va partir, comme la dernière fois. Je me mets en route. Je marche un peu mieux, maintenant. Je trébuche cependant souvent, beaucoup trop souvent. Mon sens de l'équilibre n'est plus calibré. J'ai l'impression d'avoir été drogué. Les couleurs, déjà peu nombreuses dans les ténèbres sont absentes au premier regard, il me faut de la concentration pour qu'elles m'apparaissent. Allez, marche, stupide cerveau, moi aussi, j'aimerais rester dans la machine, mais je suis maître de mes actions. Je rentre, car je le veux.

Je m'arrête quand je veux.

J'ouvre avec douceur la porte de chez moi. L'horloge numérique s'approche des quatre heures du matin. La maison est endormie. Je m'insinue dans les couloirs jusque dans ma chambre, sans un bruit. J'ai retrouvé l'usage complet de mes jambes à force de marcher. Enfin je crois. Je ne me souviens plus vraiment comme c'était, avant, de marcher, dans la vraie vie je veux dire. Marcher dans le jeu est tellement léger et naturel, pas d'ampoule, pas de fatigue, de muscles tirés, de cheville en compote, le bonheur. Je m'échoue dans mon lit, heureux de pouvoir relâcher mon corps tout entier. Je suis encore étrangement fatigué et endolori par l'effort que je viens de fournir. Je n'ai pas fait grand chose pourtant ! J'ai juste marché. Je tombe rapidement dans un lourd sommeil sans rêve, sans sensation, sans souvenirs. Un sommeil noir et vide.

Je suis réveillé par ma génitrice, visiblement énervée. Je jette un rapide coup d'oeil à l'heure. Quatorze heure. Il est effectivement plutôt tard. Je suis toujours fatigué, ou plutôt vidé de toute énergie, mes paupières continuent de tomber malgré moi. Je grommelle et cherche à remettre la couverture correctement par dessus ma tête afin de ne plus être dérangé par la lumière du jour. Malheureusement ma vieille mère est plus rapide, elle la jette par terre d'un geste brusque, laissant le froid ambiant me mettre une bonne claque. Je me redresse par réflexe. Mon regard se durcit automatiquement quand il se pose sur l'autre vieille, dont l'attitude agressive ne laisse rien présager de bon.

- Debout, tu as assez dormi comme ça.

- Je suis en vacances, maman, tu veux pas me lâcher la grappe ?

Elle fronce les sourcils. J'y suis peut-être allé un peu fort pour la première phrase de la journée. Advienne que pourra, je n'ai dit que le fond de ma pensée, et je ne suis pas du matin. Enfin, de l'après midi.

- Il est grand temps que tu commences à chercher un travail ou à t'inscrire à une école.

Je crois qu'elle commence à en avoir marre. Elle a du m'entendre rentrer à une heure très avancée de la nuit. Sauf qu'elle oublie un petit détail. Je soupire avant de souffler un rire du nez, plutôt sarcastique.

- Le temps n'est pas écoulé. On avait un deal, je sais pas si tu te rappelles. Maintenant, j'aimerais finir ma nuit, merci.

Elle serre les poings. Elle est encore moins amicale qu'avant. Je n'aurais pas cru cela possible sur le moment. Ses yeux se plissent, elle souffle fort par les narines. Quelle petite colérique, elle va bien avec mon père pour cette raison. La guerre, ça rend violent, il paraît, ou dépressif. Je ramasse la couverture et m'enroule à nouveau dedans, près à m'endormir aussi vite que possible. J'attends simplement qu'elle s'en aille.

Sans surprise, cette demande n'est pas exaucée. Je l'entends marmonner, dans la claire intention que je l'écoute:

- Tu n'es qu'un bon à rien...

Là, c'est moi qui fronce les sourcils. Je sens la rancoeur, la déception, la colère dans ses paroles, même si elle tente soi-disant de le cacher. Moi, bon à rien ? Je tue des centaines de monstres et de bandits ! Je chevauche des dragons ! Je sauve le monde à moi seul ! Comment peut-elle seulement penser que je suis un bon à rien ! Je me lève d'un coup. La colère commence à monter, je suis colérique aussi, c'est de famille. Il ne faut pas me chercher. Elle me cherche, je le sais, elle m'énerve. Elle ne sait rien et elle se permet de parler. Si elle croit que je vais la laisser faire.

C'est à moi de répondre.
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