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J'éteins l'hologramme qui me sert d'écran, j'efface tous ces articles sur les conspirations, sur le conseil, sur Mars, sur le passé, sur toutes les informations que les médias tairaient bien, sans pouvoir étouffer la nouvelle matrice, bébé encore balbutiant de l'Internet.

Chaque année, c'est la même chose. Chaque année, on nous fait peur, on nous met en garde sur le fléau intelligent que l'Homme et sa folie des grandeurs ont créé.

- Aloïs, je m'en vais.

Je tourne la tête vers ma mère, ma vieille mère, filiforme, fripée, des cheveux bruns grisonnants, emprisonnés dans un chignons, des yeux fatigués. Elle porte un tailleur, une valisette, de jolis bijoux, sa jambe robotique, recouverte de fausse peau très réaliste, en dessous de sa jupe serrée. Elle a la mine aussi sombre que celle de mon père, aujourd'hui.

- Ok, fais gaffe à toi, je lui réponds en détournant le regard.

Elle sort de la maison et la voiture de l'allée, puis le tout disparait de mon champ de vision. Un long soupir accueillit ma solitude. Mon petit frère et mon père sont également partis à une commémoration sur la place. Ma mère les aurait bien rejoints, si seulement elle avait un travail qui méritait d'être arrêté pendant un jour férié.

Moi, je reste ici. À 19 ans, je connais tous ces fichus discours par coeur et je n'ai toujours pas peur du passé. On recommencera de toute façon, nous sommes faits ainsi. Imparfaits. Je dissimule mes cheveux blonds sous une casquette et enfonce la visière jusqu'à dissimuler mon regard, marron. Il fait tiède, dehors, le soleil réchauffe vaguement l'air encore frais du printemps. J'ai à faire. Je sors. J'engloutis les mètres de trottoir rongés par la verdure. Autour de moi, l'ambiance est à la fête. Une fête à la fois heureuse et morbide. Les gens sourient à la paix mais leurs mines sont assombries par leurs souvenirs. Les gamins sautillent et crient, les parents marchent lentement. Le poids de la guerre affaisse leurs épaules et courbe leurs dos. Ils gardent cependant la tête haute, fiers d'être en vie, d'être là aujourd'hui pour songer à l'avenir, pour emmener leurs enfants à ce rite annuel de réjouissance.

Quelle torture, pour les vieux et quel bonheur, pour les jeunes.

Je file dans les rues, dans le sens inverse du courant humain. Ma démarche pressée attire l'attention de certains passants. Ils me jugent. Pourquoi aller loin du centre ? Pourquoi s'éloigner du courant naturel de la foule, pourquoi réfléchir par soi-même et faire ce que j'ai envie ? Qu'ils continuent de me juger, je suis différent des autres. L'instinct grégaire, je l'ai abandonné depuis que je ne suis plus membre d'aucune organisation qui nous lave de cerveau. Il n'y a plus personne pour brider mes pensées. Plus personne pour m'imposer quoi que ce soit. Pour le moment, en tout cas.

J'avance. Je défie quiconque du regard de m'interpeller, de me réprimander, de m'obliger à aller là où ils ne veulent pour certains eux-même pas aller. Personne n'ose m'affronter. Et j'avance. Rien ne m'arrête. Les maisons s'enchaînent. Elles se font plus rares qu'elles ne le sont déjà, de nombreux champs parsèment le paysage plat, là où se trouvaient des centaines d'immeubles auparavant. Plus personne n'a eu besoin d'immeubles. Il fallait nous nourrir, surtout, après que toutes les serres automatisées souterraines aient été réduite à néant, à la fois à cause de l'Homme, mais aussi à cause des machines, qui voyaient en cela une parfaite manière de nous éliminer petit à petit, de nous avoir à l'usure, nous prendre au piège, nous forcer à abandonner.

Des dizaines de petites routes ponctuent mon chemin, mais je n'hésite pas sur laquelle prendre. Quelques vieux bâtiments, oubliés des ouvriers en chargent de destruction, gisent là, squelettes d'une époque révolue. Je tourne et m'enfonce dans les hauts champs de maïs, les cultures d'aubergines et de carottes. Je n'hésite pas. Coup d'oeil à gauche, coup d'oeil à droite. Personne en vue. Je garde tout de même les yeux rivés sur mes pieds et la tête basse, dissimulée par la visière de mon couvre-chef. Un vent frais s'infiltre par mon col à découvert et me fait frissonner pourtant je ne daigne pas relever la tête. Je ne veux pas qu'on me reconnaisse, je ne veux pas qu'on mette un nom sur cette silhouette. On est jamais trop prudent, par ici. Tout le monde connaît tout le monde. Les rumeurs vont bon train et les jugements tout autant. Chaque chose se sait, ici.

Je bifurque, tourne et me faufile dans les sinueux et étroits chemins entre les champs. J'arrive bientôt dans un petit bloc de bâtiments abandonnés, dont la destruction aurait plus coûté que rapporté, sans doute. Quelques immeubles nains et une maison brûlée, à moitié écroulée, dont les cendres virevoltent au gré du vent pour saupoudrer les récoltes et leur donner une teinte maussade, presque fantomatique. Je rentre par une des ouvertures béantes dans un des murs noircis qui composaient autrefois la maison qui peine à se présenter devant moi. La carcasse n'est pas très grande, en grande partie détruite majoritairement à cause de la nature très organique des murs, des tapis d'herbe, des tableaux de plantes vivants qui ont pris facilement feu. Je ne m'attarde sur aucun détail, sur aucune porte, je connais déjà tout cela. En fait, je connais la maison par coeur, je l'ai déjà visité quelques fois, à la recherche de souvenirs, de babioles, de vérités oubliées, de choses qu'on nous aurait cachées.

Oui bon, cela peut sembler étrange, mais je n'ai jamais rien eu de mieux à faire de ma vie et je suis curieux de nature.

Voilà bien longtemps que j'ai visité tous les coins et les recoins de ces bâtiments abandonnés, réputés hantés. Comme tous les jeunes de la région à la recherche d'adrénaline, en fait, ça fait vaguement peur et des morts s'y sont produites, rien de mieux que pour se faire hérisser les poils. Moi, je n'ai pas peur. Je suis courageux. Je ne cherchais qu'un peu de vérité dans ces marées d'informations, un peu d'authenticité dans cet océan d'Histoire, de grandiose.

J'avance. J'ouvre une porte, des escaliers poussiéreux m'accueillent, la poussière et les cendres dans l'air me font tousser. Une volée de marche plus tard, je débouche sur une porte de métal, fermée. Un système de clé, très vétuste pour l'époque qui ne fonctionnait qu'au digicode, m'empêche de pénétrer dans la pièce. La clé, je l'ai trouvée, moi, le petit fouineur. D'ailleurs, je l'ai avec moi, cette clé. J'ouvre la porte. La pièce se présente à moi toute de béton vêtue. Des grilles sur le mur du fond, inaccessibles, filtrent l'air saturé de saleté et zèbrent d'une lumière blafarde les murs et le sol, éclairant avec difficultés l'endroit. Des posters en mauvais état, des canettes, des papiers, des couverts, des bouteilles jonchent le sol, un canapé trône sur un côté, d'un cuir noir craquelé, mangé par les souris. Je sais qu'il s'agit de souris, il y a de leur merde partout et l'odeur rance de la pisse contamine l'air.

Cliché.

Le plus important dans tout cela cependant, ce ne sont ni les souris, ni les posters de jeu que je ne connais pas, ni le - très - odorant tas de vêtements sales dans un coin, mais bien le dispositif imposant au centre. Recouvert d'une bâche étrangement sans poussière comparé au reste de la pièce. Je retire la bâche d'un mouvement sec, comme je l'ai fait quelques jours auparavant, lorsque j'ai découvert cette pièce condamnée, cachée derrière un meuble écroulé. J'ai le regard rivé sur la capsule transparente, sur l'énorme tour sur le côté, sur le casque relié par des fils, sur les capteurs disposés un peu partout.

Un module RVI.
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