Paulin contempla la maison traditionnelle japonaise qui se dressait devant lui, oscillant entre l'admiration et la fatigue. Le jeune homme n'était pas d'ordinaire chanceux, avoir gagné un lot lors du tirage au sort de son centre commercial l'avait laissé surpris.
Le jeune homme avait glissé le papier avec son nom et ses coordonnées tout en estimant à zéro la possibilité de gagner. Lorque Paulin avait été contacté pour être informé qu'il avait été sélectionné, le jeune homme avait en premier lieu songé à un canular. Paulin n'était également pas superstitieux, il avait donc simplement souri en constatant que l'annonce était tombée un vendredi 13.
Le jeune français franchit donc épuisé le seuil du machiya. Après un premier vol France-Tokyo puis un second entre Tokyo et Osaka avant un passage dans le Shinkansen afin de rejoindre Kyoto, Paulin ressentait le besoin de se reposer.
Après avoir complété les formalités à l'accueil et déposé ses bagages dans sa chambre, le jeune homme décida de parcourir rapidement le lieu avant de passer se rafraîchir.
Le choc culturel était là, du tatami au futon en passant par la structure en bois de la demeure. Tandis que Paulin quittait la cuisine qui était librement accessible aux visiteurs, un homme le percuta avant de le contourner sans un mot d'excuse.
Paulin n'eut pas le temps de l'interpeller, il ne put que noter la grande taille de l'homme avant de se retrouver de nouveau seul. Le jeune homme claqua sa langue contre son palais en signe de mécontentement avant de décider que cela ne valait pas la peine de chercher plus loin.
Le jeune visiteur continua d'explorer les lieux avant de se retrouver dans un petit jardin. Il resta immobile lorsqu'il entendit les brides d'une conversation, trois voix résonnant près de lui, deux masculines et une fémine. Paulin remarqua que la femme possédait un accent asiatique.
- Un nouvel échec, voilà où nous en sommes ! Nous avons cherché dans tous les lieux qui avaient une signification à ses yeux !
- Je ne suis pas d'accord, je pense que nous touchons au but, je le sens. Retournons en France, c'est bientôt votre anniversaire de mariage. Essayons le lieu de la cérémonie, nous avons tous passé du temps dans cette clairière, particulièrement près de la chute d'eau, nous pourrions nous croiser là-bas.
- Messieurs, nos clans sont alliés depuis plusieurs siècles, ayez confiance en nos tentatives d'aide. La personne que vous recherchez viendra jusqu'à nous, n'ayez aucun doute à ce sujet. En attendant, prolongez votre séjour parmi nous .
- Nous vous sommes reconnaissants de votre aide et vos connaissances en la matière sont vastes mais il reste si peu de traces.
- Le temps aura fait son œuvre de son côté, c'est indéniable et l'oubli aura balayé ses souvenirs mais au fond il restera un lien, certes ténu mais existant. Personne ne peut réellement quitter son clan, c'est une règle immuable.
- Les règles ont toujours des exceptions. J'ai donné ma parole à ceux restés chez nous de régulièrement donner des nouvelles, veuillez nous excuser, nous allons nous retirer pour la soirée.
Paulin se précipita vers l'intérieur de la bâtisse, inquiet de se retrouver sur le chemin des deux hommes. L'homme espéra ne pas être tombé dans un repère de mafieux.
Le jeune français entra dans sa chambre avec l'intention de ne pas en ressortir dans l'immédiat, il aurait aimé pouvoir prendre un bain après un si long voyage mais la fatigue et une pointe d'inquiétude firent pencher la balance, Paulin s'allongea dans l'espoir de se reposer avant de partir à la recherche de la salle d'eau.
Paulin se réveilla au son d'une voix féminine l'informant que le repas était prêt. Le jeune homme laissa échapper un cri de surprise, la vision d'une femme âgée en kimino penchée au-dessus de lui l'effrayant avant de se souvenir qu'il n'était plus en France.
Paulin suivit son guide, plus dans le but de ne pas vexer son hôte plutôt que par la faim. Il y avait foule dans la pièce principale, une douzaine d'hommes et de femmes d'origine asiatique se tenaient immobiles, portant des vêtements modernes.
Il n'était cependant pas le seul caucasien, l'homme qui l'avait bousculé plus tôt dans la soirée était installé à l'écart, picorant dans son assiette sans réellement se nourrir. Paulin l'imita, déconcerté par le contenu de son assiette.
Le silence régnait avant que l'hôtesse ne prenne la parole, s'adressant au colosse.
- Jeune homme, est-ce un tatouage que j'aperçois près du col de votre chemise ? Pourrais-je le voir de plus près ? C'est si rare d'en apercevoir dans notre pays.
L'interpellé écarta les pans de tissu après avoir déboutonné quelques boutons. Paulin faillit lâcher le verre qu'il tenait en apercevant un cercle rouge semblant onduler sur la poitrine de l'homme.
- Madame, vous faites erreur, je n'ai pas de tatouage.
Paulin entendit ses voisins chuchoter discrètement à propos de l'âge avancé de la propriétaire des lieux. Le jeune homme n'arrivait pas à détourner le regard de l'homme. Quelques instants plus tard, le cercle se brisa avant d'onduler, formant le chiffre 13. La couleur du tatouage évolua également, prenant une couleur proche de celle du sang tout en battant au même rythme régulier que celui d'un cœur.
Le verre du jeune français glissa d'entre ses doigts, Paulin n'avait pourtant pas touché à la bouteille de saké qui était à disposition près de lui. Il s'excusa auprès de l'hôtesse des lieux avant de saisir sa serviette et d'éponger l'eau rependue.
Lorsqu'il balaya le lieu du regard, le colosse n'était plus là mais la femme lui sourit, une lueur étrange éclairant son regard, donnant ainsi la chaire de poule à Paulin.
- Le chiffre 13 est spécial, n'est-ce pas ?
Paulin sursauta avant de se lever et de retourner dans sa chambre tout en priant pour que sa vision ne soit que le fruit de sa fatigue.