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Notes d'auteur :

Hello ! Voici la suite des aventures d’Hélène avec un thème qui a été fait pour elle ! :mrgreen:

Bonne lecture !

 

— Hélène ! C’est de la folie !

Alourdie par les pans de sa robe et par le rythme ralentit d’un coeur vieillissant, Louise peinait à poursuivre sa fille dans les escaliers.

— Vous ne pouvez vous résoudre à partir !

— Pourtant, ma décision est déjà prise !

— Vous ne semblez pas vous rendre compte ! Hélène, ma chérie !

Elle finit par la rattraper au détour d’un couloir avant que la jeune femme ne rejoigne ses appartements, à l’étage du manoir de Fuligny. Sa poigne autour du bras qu’elle avait agrippé d’un réflexe trahissait son désarroi. Hélène lui accorda une brève attention par le biais d’un regard revêche, presque agressif. 

— Vous ne considérez que les beaux côtés des choses. Vous avez raison ! Et c’est votre force. Mais c’est un rêve naïf, une cruelle désillusion. La vie sur place, la vie en Afrique… elle n’est pas celle que vous imaginez ! Je vous en prie, restez !

— Ce n’est pas ce que vous dites aux amis de père. Aux explorateurs de passage auxquels vous servez le thé aussi bien que les ouvrages de père !

— Ouvrez les yeux, ma chérie ! Vous êtes une femme ! Ce pays vous réserve trop de dangers pour que je puisse vous laisser partir sans réagir.

Cette phrase estomaqua Hélène, plongée dans son utopie.

— C’est une réalité, poursuivit Louise. Le monde ne vous est pas clément. 

— Je sais me défendre, mère. Et me servir d’un fusil, par la même occasion ! Peut-être me voyez-vous femme, mais il me semble avoir été éduquée comme enfant de marquis, comme enfant d’explorateur, peu importe mon genre. 

— Vous ne pourrez pas vous défendre seule sur place, ne perdez pas le sens de la réalité !

— Vous nourrissez des craintes infondées sans fier aucune confiance à la bienveillance de ce monde, ricana Hélène. Augustin sera là pour me défendre. Et nous allons constituer une équipe d’expédition. Des hommes fiables, des hommes de confiance. Je suis certaine que vous vous faites du souci pour rien.

— Ce n’est pas ce que votre père aurait voulu. Il n’aurait jamais désiré que vous vous mettiez en danger !

Cette fois, il y eut un silence. Un fil de colère se tissa au-dessus de leurs têtes. La mine d’Hélène s’assombrit sous l’ombre de son chapeau gris abaissé sur ses boucles brunes.

— Que pouvez-vous savoir de ce que père aurait voulu pour moi. Il n’a jamais su quoi que ce soit de mon existence.

D’un geste brusque, elle se dégagea de sa prise. Sa mère afficha une expression tréssaillante : Hélène, sa fille si souriante et optimiste, n’avait que rarement employé ce ton âcre. Elle céda à son impuissance et la laissa rejoindre sa chambre.

Les crissements d’Edmond, son perroquet gris du Gabon, l’accueillit. Amusée, elle s’approcha de la cage et titilla son oiseau de compagnie à travers les barreaux. Elle s’accorda quelques secondes pour se remettre de ses émotions, accrochant son chapeau sur son porte-manteau en fer forgé, de style art nouveau. 

— Pas tout d’suite ! cria Edmond. Yaaaar, pas tout d’suite !

Un sourire plus franc éclaira les traits d’Hélène ; Edmond était un oiseau pourvu d’une intelligence exceptionnelle. Il répétait, en l’occurrence, les mots qu’il entendait le plus souvent, le matin, au réveil de sa maîtresse. Le perroquet pouvait répondre à certaines questions, imiter un bébé et siffler le chien, ce qui ne manquait pas de faire tourner ce dernier en bourrique. Il avait beaucoup de bruits divers en réserve.

Revenant vers lui, Hélène ouvrit la cage et présenta sa main au perroquet qui grimpa volontiers. En réalité, Edmond était plus vieux qu’elle ne l’était. Victor l’avait ramené d’Afrique alors qu’il n’était qu’un oisillon, sans penser qu’il reviendrait un jour à sa fille. 

C’était là tout le paradoxe de Fuligny. Victor de Compiègne était mort voilà plus de vingt ans, mais son fantôme continuait de hanter son manoir. Un marquis invisible, accroché dans l’ombre de cette enfant qu’il n’avait jamais connue. 

Hélène caressa les plumes d’Edmond. Elle tapota sur ses serres, qui lui griffaient la peau, afin qu’il relâche de la pression. Puis, elle se dirigea vers la fenêtre fermée, observant le dehors ; le perroquet ouvrit légèrement les ailes. Une légère pluie froide tombait, rafraîchissant l’air lourd de l’été.

— Qu’est-ce que je devrais faire, Edmond ? soupira-t-elle.

Reconnaissant son prénom, le volatile répondit, enjoué :

— Biscuit ! Edmond biscuit !

— Et à part me réclamer un biscuit, petit opportuniste gourmand ? sourit-elle. Hein ? Qu’est-ce qu’il se passerait si je partais…

— Si je partais !

— Tu ne peux pas partir très loin, Edmond ! Crois-moi, tu ne survivrais pas longtemps dehors.

De nouveau, elle poussa un soupir :

— Tu ne pourrais pas survivre seul chez moi. Mais moi… est-ce que je pourrais survivre seule chez toi ?

— Avec des biscuits ! Si je partais ! Yaaar ! Avec des biscuits !

Puis il entonna un air marin qu’Hélène lui avait appris des années auparavant et qu’il sifflait surtout les jours de mauvais temps. Une mélodie qui la rassérénait. Edmond avait toujours été un grand amateur de musique, il en possédait des dizaines dans son répertoire. Sa maîtresse consentit à lui donner un biscuit, sec et peu goûteux, qu’il grignota en le savourant.

Hélène entreprit de se promener dans le manoir, son perroquet sur le bras, à la recherche d’une réponse. Partout où elle allait, l’esprit de son père la suivait. Dans le couloir, pour commencer. Les tentures aux teintes de terre, des merveilles tissées par des mains bien lointaines. Un tableau trônait. Hélène n’avait connu de ce visage que cette peinture à l’huile, ce portrait immuable, dont elle connaissait chaque détail à force de l’avoir épié. Il avait l’air si fier, si courageux, si ambitieux. Et très bientôt, Hélène atteindrait l’âge de ce jeune homme qui figurait sur cette toile. 

Mais l’endroit où sa présence restait omniprésente était évidemment son bureau. Les murs étaient plaqués de planches de bois vernies, sombres, luisantes. Son chapeau d’explorateur était accroché sur l’un d’entre eux. Combien de fois Hélène était montée sur un siège, dès son plus jeune âge, pour l’attraper et le poser sur sa tête ? Elle avait cessé de compter, s’amusant du fait que la coque lui retombait sur le visage. Cependant cela faisait quelques mois qu’elle n’y avait plus touché. Le chapeau commençait à prendre la poussière. D’un geste prévenant, elle l’attrapa et le posa sur ses boucles brunes ; il était désormais à sa taille.

Cela provoqua une réaction d’Edmond :

— Chapeau ! Oh, chapeaaaau ! Très beau, chapeau !

— Merci Edmond !

Il répliqua en sifflant le chien, qui ne pouvait l’entendre d’ici :

— Marcel ! Au pied ! Garnement ! Hé ! Marcel !

L’ancien office d’explorateur de Victor ressemblait à un temple. Un sanctuaire de sens, un socle de souvenirs. Les odeurs n’avaient pas changé. Les parfums des bois exotiques côtoyaient ceux des objets qui avaient fini par rouiller lors des expéditions à pirogue sur les rivières du Gabon. Une pointe d’épices, sûrement ramenées d’Egypte, également, qui la prenait au nez. Hélène pouvait en deviner la saveur sur ses papilles. Toutes ces effluves avaient alimenté tant de rêves. Sûrement loin des miasmes de la réalité du terrain.

Des boussoles et compas chatoyants ornaient les bibliothèques dont les planches commençaient à plier sous le poids des âges et des nombreux livres qu’elles supportaient. Hélène libéra son oiseau, qui battit des ailes jusqu’au perchoir sur le dossier d’une chaise, puis elle contourna le bureau. Sa peau crissait sur la surface tiède, comme l’ancrant un peu plus à cet emplacement. Dans les tiroirs gisaient des lettres par centaines, des cartes, des listes, des registres. La vie de son père s’y réfugiait, dans ces encres qui commençaient parfois à délaver, à tel point qu’il devenait ardu de déchiffrer ses mots. Par moments, en le lisant dans sa tête, Hélène s’imaginait la voix de son père qui récitait. Un timbre chaleureux, un brin malicieux. Autour d’elle, les masques, les coffres et les figurines en bois l’observaient dans ses explorations de parchemin. 

Un poing à la porte la détourna de ses lectures ; Hélène sursauta et se raidit en pensant qu’elle allait de nouveau devoir affronter sa mère. Mais ce fut le vieil Augustin qui se présenta.

— Mais c’est pas Marcel ! Yaaaar ! Garnement ! Coucou !

— Je vois que ce volatile ne manque toujours pas de toupet, s’amusa Augustin.

— Edmond est un impertinent. Tel animal telle maîtresse.

Le vieil homme tripota sa moustache et sourit en voyant ainsi paraître Hélène, avec le chapeau d’exploratrice sur sa tête.

— Je suppose que c’est ma mère qui vous envoie pour me convaincre de rester, lança Hélène, d’un ton las, avant d’écarter la chaise pour poser ses pieds sur le bureau.

Elle adoptait quelquefois des manières « d’homme » mais personne ne les lui avaient jamais reprochées entre ces murs.

— Louise est fort inquiète à votre propos et elle possède bien ses raisons légitimes. Laisser partir sa fille unique pour l’Afrique n’est pas une concession quotidienne !

La jeune femme fronça les sourcils, jetant les papiers de son père sur le bureau. 

— Je peux la comprendre, admit Hélène. Mais je ne peux pas rester. Je ne suis pas un oiseau qui peut se complaire d’une vie en cage. Même Edmond n’y parvient pas !

— Ohhhh qu’il est beau, Edmond ! se pavana le perroquet en reconnaissant que l’on parlait de lui.

— Je sais que la vie sera loin d’être aussi confortable qu’ici, à Fuligny. Que je vivrai des expériences qui ne me laisseront pas indemnes. Mais je préfère revenir avec quelques cicatrices plutôt que de mourir avec mes regrets coincés… dans des rides et des cheveux blancs !

Ils ricanèrent tous les deux, imités par Edmond, qui dégénéra en une espère de rire démoniaque. Puis elle poursuivit : 

— Je suis jeune et naïve. Ce sont mes défauts… Mais je ne veux pas les laisser m’empêcher de réaliser mes rêves.

— Ce ne sont pas des défauts vous concernant.

Hélène laissa planer un court silence, savant qu’Augustin continuerait de lui-même.

— Vous avez hérité ça de votre père. Les gens le disaient fou. Mais il voyait le monde différemment. Ce qui a motivé ses plus grandes découvertes. Car à sa manière simpliste et innocente de concevoir le monde se couplait une persévérance peu égalée. Il nourrissait de solides convictions, foncièrement bonnes. Même dans la mort… Je sais que vous connaissez l’histoire. Mais votre père a préféré mourir que de tuer, face à un homme qu’il avait lui-même provoqué en duel pour défendre l’honneur de votre mère. Jusqu’au bout, il a respecté ses valeurs. Et je pense qu’aujourd’hui, il aurait voulu que vous en fassiez de même : suivez ce qui vous semble juste. 

Un sourire éclaira les traits de la jeune femme qui saisit le message. 

— M’accompagnerez-vous ?

— Comme disait le vieux Flaubert, il vient un certain âge où les deux bras d’un fauteuil sont plus attirants que les deux bras d’une femme ! Je n’ai plus ma vigueur d’antan… Mais je vous préparerai la meilleure équipe et vous présenterai les meilleures recrues. Vous avez besoin d’être bien préparée !

Et quand Hélène parcourut du doigt les cartes de son père quelque minutes plus tard, un étrange sentiment l’étreignit : elle allait bientôt parcourir ces terres à son tour. Elle avait hâte !

 

Note de fin de chapitre:

Mots des sens :

Ouïe > Crissements, entendaient, bruit, mélodie, musique

Vue > Regard, yeux, invisible, observant, épié

Odorat > odeurs, parfums, nez, effluves, miasmes

Toucher > Poigne, caressa, griffaient, main, peau

Goût > gourmand, goûteux, savourant, saveur, papilles

 

Pour la citation de Flaubert, elles est extraite de sa correspondance avec Louise Collet, il me semble. 

 

VOILÀ. Du coup, c’est vrai que le thème du Marquis Invisible était fait pour moi ! Sans compter la contrainte de l’oiseau (merci Edmond !) Héhéhé. On verra si le prochain défi me sera aussi clément.

J’espère que ce chapitre tranquille avant le début de l’expédition vous aura plu ! Bonne chance à tous les participants ! :D Et bel été à ceux qui partent !

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