Hévioso, Esprit de l’Orage
Il avait fait un temps caniculaire tout l’été.
Caniculaire. En Normandie, oui.
Caniculaire et orageux. Juste aujourd’hui. Et serrée sous un étroit parapluie noir avec sa sœur, elle dégoulinait de pluie malgré tout.
Serrée sous l’étroit parapluie noire de sa sœur, Julie enterrait son père.
Elle tourna un regard vers Marie, remercia le monde d’avoir abattu sa fureur en ce jour précis. Parce que sa sœur s’effondrait et elle, elle devait rester forte.
Le visage mouillé par la pluie, ses larmes demeuraient invisibles.
Un sanglot de sa mère déchira l’air et Julie se tendit pour ne pas tourner la tête.
Rester forte.
Forte. Forte. Forte.
Sakpata, Esprit de la Terre.
Forte et Droite.
Rester forte et droite pour ne pas observer le cercueil descendre sous terre.
Sans la Terre il n’y aurait pas de vie, puisque sur Terre, il y a de l’eau. Mais sans eau il n’y aurait pas de pluie et sans vie il n’y aurait pas de cris.
Les cris du désespoir, ceux qui déchirent tant la gorge et le cœur. Julie aurait aimé crier pour ressentir de la douleur, mais son corps était déjà en miette.
Si elle déchirait les miettes, deviendrait-elle poussière ? Rejoindrait-elle son père ?
Non. Rester forte et droite.
Droite. Droite. Droite.
Erzulie Freda, Déesse de l’amour.
Droite. Droite et Froide.
Parce qu’autour d’elle, son monde s’est écroulé. Pierre après pierre pendant une année avant d’être soufflé par un dernier ouragan.
Le plus dur, c’est de cacher les blessures. Parce que cacher, c’est nier, et nier, c’est faire disparaitre.
Oui. Forte, droite et froide. Surtout froide.
Et souriante, un peu, pour le masque. Parce que la pluie ne tombe plus suffisamment pour dissimuler les larmes.
Et puis une main se glisse dans la sienne et le sourire devient sincère. La douleur est là, mais pas que. Il y a aussi sa mère, sa sœur, sa famille. Il y a lui, aussi.
Tu n’es pas seule, Julie.
Legba, Esprit de la Frontière entre monde réel et monde des esprits.
Julie, la vie n’est pas facile et je crois que ces dernières années, elle a tout fait pour que tu le comprennes.
Malheureusement, la douleur ne s’arrêtera pas aujourd’hui. Certains jours tu iras bien, et puis le lendemain, tu auras envie de lâcher prise. Et tu le feras, souvent. Mais ça, c’est pas grave, tu le peux, tu le dois.
Tu es forte, oui. Sans doute la fille la plus forte que je connaisse. Mais lorsque le monde voudra te mettre à terre, ne le garde pas pour toi, je t’en prie…
Et lorsqu’il te manquera, Julie, ferme les yeux. Entends-tu ton cœur battre ?
Il est là.