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– Bienvenue, mangeur d’or ! lança le chauve bedonnant, à la barbichette teintée de rouge pour se donner une touche à la mode des cités de l’Empire.


Korshac ne fut pas choqué par l’accueil familier de son ami de trafic. Ostillus était un de ces hommes qui vendent du vent aux autres en échange de monnaie sonnante. Ainsi, il pouvait aussi bien céder de la liberté, à des keymés ; que des promesses de terres orkaims aux sous-sols encombrés d’or, à des colons humains. Ostillus n’était pas avare d’idées quand il s’agissait d’escroquer.


Mais sa carrière avait pris un tout autre tournant quand il avait rencontré la puissante morénor de Tabenskin, Nida Dirn. La politique raciale, mise en place par le Magnus Kéol, depuis le début des guerres fratricides, avait ouvert de nombreuses opportunités dont les deux nouveaux comparses s’étaient fait une joie de tirer profit. Mais au lieu de viser les faibles, cette fois, ils s’en prirent à ceux qui avaient des biens.


Ainsi, à Tabenskin, Ostillus proposa aux marchands et bourgeois keymés d’avoir recours à ses services afin de quitter la cité pour des terres plus hospitalières, pendant qu’il en était encore temps. La promesse n’était pas peu simple à mettre en œuvre. Comment, en plein temps de guerre, réussir à déplacer des familles entières sur les terres rouges, sans éveiller les soupçons des autorités ?


Ce fut la morénor de Tabenskin qui lui apporta la solution. Elle obtint l’extension de sa province, incluant la montagne au large de Viir qui jusqu’à maintenant ne portait que le nom de rocher. Ce titre de propriété fut même marqué du sceau impérial, surement présenté à la hâte par son mari, sous une tente, à la veille d’un assaut d’importance. Ensuite, Nida Dirn baptisa le rocher Viirgore et attribua à Ostillus le titre de ciconor pour l’administrer.


Ainsi commença une double propagande. La première était de transformer ce rocher en lieu de villégiature pour les riches des Cités Rouges afin de les divertir en ces temps sombres. La seconde fut une propagande raciste, largement exacerbée à Tabenskin, dans le but d’activer le départ des bourgeois keymés.


Viirgore se situait suffisamment au large des terres, ce qui avait pour vertu d’éloigner la menace des affrontements, tout en rassurant ses visiteurs. Ses eaux chaudes, sortant à fleur de montagne, furent, pour une grande partie, responsables de son succès. Ainsi les navires, qu’ils soient humains, aomens ou mi-bêtes, faisaient halte à Viirgore, les humains et les aomens poussés à faire la fête, les mi-bêtes poussés à fuir la bête qu’allait devenir l’Empire.


Était-ce Nida Dirn qui avait inspiré le Magnus Kéol dans son escalade xénophobe ou le contraire ? L’un avait dû se nourrir de l’autre.


Ces sillons de guerre furent plus que profitables à Ostillus. Mais, la paix soudaine mit un terme à son trafic lucratif. Viirgore n’en restait pas moins un lieu de plaisir en vogue, situé presque au cœur de l’Empire des neuf Cités Rouges et accessible pour la plupart d’entre-elles par voie de mer.


La vente des terrains dans les pentes des montagnes aux eaux bouillantes ne couvrant plus assez les dépenses, Ostillus fut contraint d’ouvrir ses portes à des commerces moins licites, mais plus rémunérateurs. C’est dans cet esprit de partage qu’il invita ses connaissances de contrebande, toutes celles désireuses d’en croquer à ses côtés. Korshac n’était pas le premier de ses invités à venir le visiter.


– Quelle belle plante m’amènes-tu en cette jolie nuit du nouveau sillon ? continua-t-il, avec le sourire.


Ostillus attendait la visite de Korshac puisqu’il en avait été avisé par messager, quelques lunes plus tôt. La marchandise mystérieuse avait d’ailleurs été évoquée, sur le même parchemin, par les mots de plante à rêver. Aussi, Ostillus en faisait référence tout en flattant, à sa manière, la compagne de son ami Korshac.


– Ça arrive. Mon porteur peine à gravir ton long corridor de marches.


Cette rencontre se faisait dans la cave du château qui n’était, en fait, qu’une tour carrée. L’escalier terminait sa course ici, où une simple porte en bois, bardée de fer, dans le mur, s’ouvrait. Ostillus fit un geste de la main, commandant au garde, portant la torche, de fermer la porte.


– J’ai attrapé un mauvais rhume de toujours la laisser ouverte. La galerie fait office de cheminée dont le tirage ventile tout le donjon.


Korshac hocha la tête, indiquant qu’il comprenait, mais commençait à ressentir une certaine inquiétude de par ces curieuses explications. Si Ostillus était un ami de négoce, il n’en était pas moins un serpent dont il fallait se méfier.


Ostillus reprit de remonter le petit escalier menant à la sortie de la cave, tout en continuant de parler, mais cette fois, en leur tournant le dos.


– Dis m’en plus sur ta cargaison. Je suis d’humeur, en cette soirée, à brasser de l’or.


– Tu m’as l’air bien prompt à négocier. Je ne reconnais pas là, Monsieur de la Palabre, brailla Korshac, dans sa direction.


Le personnage adipeux qu’il était devenu, preuve que ses affaires avaient été florissantes, se retourna.


– Ha ha ! Monsieur de la Palabre, c’est vrai… Je me souviens de ce titre dont tu m’avais affublé. Mais cette époque appartient désormais au passé. Je ne perds plus mon temps à convaincre. Plus la peine, maintenant que je suis arrivé au sommet. Mais pour toi et ta chère compagne, je vais prendre le temps de vous faire la réclame de ce palace qu’est mon île. Toutefois, nous irons nous assoir, car le soir venu, mon cœur commande à mes jambes de ne plus me tenir debout.


En même temps que la porte de la galerie se fermait, une étagère vide glissa sur le mur devant elle, pour la faire disparaitre, faisant de cette cave un simple cellier. Kaïsha en remarqua l’habile mécanisme, tout en se sentant un peu plus éloignée maintenant de celui qui apaisait ses sorties en terres étrangères. Korshac reprit confiance en foulant le carrelage de pierre noire et blanche habillant le sol du hall d’entrée, à la base du donjon.


– Tu ne t’es rien refusé, mon coquin. Ha ha ha ! cria-t-il, avec la familiarité des vieux roublards.


– N’est-ce pas ? Pour avoir débuté dans les affaires après toi, je crois avoir mieux sorti ma carte du jeu.


Arrivés devant une verrière de trois pans, donnant sur la descente éclairée de la montagne, ils continuèrent leur discussion.


– Pour sûr, je vois là le bel empire que tu t’es payé et tout ça, à la force de la langue. Rien que pour ça, je n’attends que de frapper la corne avec toi.


Un servant, de petite taille, remplissait des coupes en argent d’un breuvage ressemblant fort à du pétrum, mais en bien plus translucide. L’enfant, assigné à servir, tendit les coupes. Le parfum s’en dégageant n’était pas aussi fort que l’alcool habituellement destiné au gosier de Korshac.


– Humm, tu te rinces la gorge avec de l’alcool de femme ! gargouilla Korshac, avec sa délicatesse caractéristique.


– C’est du toupétillant d’Adrelac. Je ne le réserve qu’à mes plus grands amis ! lança Ostillus en les regardant dans les yeux, chacun leur tour.


Kaïsha en fut enchantée. Cela sentait bon la richesse.


– Alors, alors, revint à l’assaut Ostillus, tout en s’asseyant sur un pouf de soie rouge et or.


– J’ai de l’herbe sulfureuse, une sorte de tabac que tu vas me garder pendant que je la distribuerai dans les ports autour.


Kaïsha, entendant les paroles bourrues de son bien-aimé capitaine, comprit, au visage impassible de leur hôte, qu’il en faudrait plus pour le séduire.


– Ce qui monte en ce moment à dos d’homme, ce n’est autre que la meilleure herbe à fumer qu’il soit.


– De l’herbe à fumer ? Je vends déjà du aya.


– Le aya vient de loin. Il est trop coûteux pour que tout le monde en consomme. L’herbe sulfureuse vient d’à côté. Et au prix qu’on la vend, il sera facile que tout le monde en achète.


– Mais si ça ne vaut rien, qu’est-ce que j’y gagne ?


– Une part sur dix te revient, juste pour abriter la marchandise dans tes caves, annonça Korshac.


– Même cinq parts de rien, ça ne m’intéresse pas, dédaigna Ostillus.


– L’herbe sulfureuse se vend moins cher que le aya, mais on en vendra dix fois plus.


– C’est trop de va-et-vient pour pas grand-chose, rechignait Ostillus.


– Alors, deux parts pour dix. Je ne montrai pas plus haut, crapule ! beugla Korshac en mâchant ses mots, semblant avoir du mal à articuler.


– Mais siii, tu monteras plus haut. Je te l’assure, insista leur hôte. 


– Deux parts pour seulement rester le cul dans ton pouf, à regarder mes bateaux aller et venir, c’est déjà trop. Allez, on tape, dit Korshac en se rapprochant d’Ostillus, tout en titubant.


Kaïsha le regardait faire et trouvait sa démarche peu équilibrée pour un marin de haute mer. Quand sa vue se troubla, elle comprit.


La paume vers le haut, Korshac frappa à côté de la main tendue d’Ostillus et s’écroula à la suite de sa coupe en argent.


– Hin hin hin ! Tu vas me donner bien plus que tu ne l’crois, vieux crabe, s’esclaffa Ostillus, accompagné d’un rire faisant vibrer son double menton.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

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