Le nain était encore affairé à relever le piège coincé entre les murs. Ils l’entendaient derrière grincer. Le couloir était étroit et sombre. La lampe bienvenue de Demnukys éclairait ses bas contours. Ce n’est qu’arrivés en son bout, en même temps de découvrir une porte de bois armée de clous carrés et pointus, que le son de la salle piégée se tut.
Dem inspecta le levier de fer qui servait à ouvrir et le tira vers le bas. Doucement, elle poussa la lourde porte dans la crainte de découvrir ce qu’il y avait derrière. Yurlh s’était vouté le dos pour ne pas toucher, avec son casque, le plafond. Il était prêt à bondir sur la première menace venue, les mains écartées.
Les gonds rouillés grincèrent d’être trop peu utilisés. Devant eux, éclairé de torchères, un escalier de bois rudimentaire, sans rambarde, montait le long d’un mur d’une salle carrée. En haut, ils pouvaient voir la lumière éclairer l’arche d’une porte et surtout entendre marmonner au moins deux personnes.
Cachée dans la pénombre du couloir, la fillette éclaira avec la lampe le bas de son visage pour que le barbare remarque bien son doigt barrer sa bouche, en faisant chuuut. En même temps, elle s’aperçut qu’il avait les mains vides. Avec des gestes, elle tenta de lui demander où était passée l’anelace qu’ils avaient récupérée dans le dos du comptable.
– Lâchée quand moi tombé dans trappe, répondit Yurlh de sa voix caverneuse.
L’enfant réitéra le chut avec le doigt en travers de ses dents. Si le colosse ne percevait pas la proximité du danger, elle savait ô combien les ennemis étaient proches. Avec Yurlh, elle n’en avait pas peur, bien au contraire. Mais, elle voulait garder l’effet de surprise. Dans le silence, elle lui écarta les doigts de la main gauche pour lui enchâsser les clefs du trousseau ravies au nain. Yurlh comprit vite que les clefs pouvaient faire de son poing une arme redoutable.
Puis, longeant le mur, collée sous les appliques soutenant les torches, elle gravit doucement les marches une à une, en restant bien sur le côté pour les faire couiner le moins possible. Yurlh l’imita, tentant de se faire petit. Même s’il lui était impossible de se faire aussi discret que sa jeune amie, il y mettait tout son cœur. C’était pour lui comme un jeu. Silencieusement, ils arrivèrent jusqu’à mi-parcours, quand tout à coup, une clochette se mit à tinter en haut de l’escalier.
Aussitôt, Demnukys perçut d’où provenait le moyen de l’actionner. C’était une ficelle qui passait dans l’angle, à la commissure du mur et du plafond. Son regard, rapidement, la suivit et elle comprit que ce ne pouvait être que le nain qui tirait dessus depuis sa salle pour sonner l’alarme. Encore trop inexpérimentée, elle était dépitée d’avoir ainsi raté un dispositif si simple à neutraliser. Mais, le mal était fait et les pas rapides, de l’autre côté du mur, en témoignaient.
Le tintement de la clochette, accompagné du brouhaha des gardes, couvrirent les pas du barbare qui dépassa Dem pour se placer juste à côté de l’embrasure de la porte. De là arriva un homme qui, en passant, relevait un bandeau noir pour couvrir sa bouche, jusqu’au-dessus de son nez. Yurlh lui empoigna le cou de toute sa main. Plus que surpris, le garde en lâcha sa dague pour tenter, de ses deux mains, d’arrêter l’étau qui l’enserrait. Soulevé, balancé comme un pantin, il n’eut ni le temps ni la force d’écarter les doigts du barbare. Voltigeant comme une poupée, il fut balancé dans le vide, la trachée broyée dans l’effort.
Grognant comme une bête, le barbare pénétra dans la salle, dressant les clefs entre ses doigts. La pièce n’avait pour seule lumière qu’une torche fixée dans une arche au fond. Gardant le passage, une femme à la coupe carrée très court, les cheveux noirs, surement teintés tellement ils étaient uniformes. Vêtue d’une armure, serrant de près sa taille, faite de cuir assombri et ornée par endroits de rivets en fer noir, elle ne semblait pas apeurée par l’intrusion brutale du barbare.
Tout le reste de la salle venait d’être plongé dans le noir et la fumée des torches éteintes. L’assassine dégaina de son dos une sorte de lame courbe, assez longue, qui devait être un chimchir d’Uskyn. Elle avait les traits du visage assez calmes qui lui rappelaient ceux de Kaïsha. Elle tendit l’autre main en invitant le barbare à avancer.
Yurlh accéda à sa demande. Ce n’était pas une femme-panthère de moins de soixante-dix kilos qui allait lui faire peur. Alors qu’il faisait le premier pas en avant, Demnukys, juste derrière, entre ses jambes, tira sur son pagne et cria :
– Là, contre le mur, en indiquant de la main le mur sombre, à droite.
Regardant au travers des volutes de fumée, Yurlh discerna une silhouette qui s’y dissimulait. Au même instant, sachant qu’elle venait d’être mise à jour par la petite fille, la femme au chimchir s’élança de manière à forcer le colosse à offrir son dos au comparse caché.
Yurlh n’était pas habitué à se battre avec des humains dans des endroits confinés, mais plutôt contre des chiens. Il roula de suite au milieu de la salle, esquivant, par là même, la première attaque pour se retrouver en face des deux gardes aux atours d’assassins.
Il y en avait bien un second, car il fondit de suite sur lui, son crochet d’Irzol en avant, une sorte de dague à double lame pointue. Aussi fougueux qu’un chat scrutant un lézard, Yurlh attrapa le poing armé de l’assassin et le lui retourna. Il était impossible pour un humain de résister à la force combinée à l’élan de l’orkaim. Les deux pointes s’enfoncèrent dans la cuisse de l’assaillant qui lâcha un cri de souffrance.
De suite, la femme-panthère au chimchir s’immobilisa. Et, plutôt que d’attaquer le barbare, elle saisit rapidement l’enfant à ses côtés. En lui passant la lame sous le cou et en lui relevant la tête de son tranchant, elle ordonna :
– Cesse de te battre, orkaim, ou je lui tranche la gorge !
Quand Yurlh entendit ces mots, il avait déjà le poing levé, armé des cinq grosses clefs, prêt à s’abattre sur la nuque de l’assassin agenouillé. Il arrêta de suite sa mise à mort et fixa, de son masque de fer, la femme menaçant sa jeune amie. Ses envies de vaincre venaient à l’instant d’être mises en suspens. Doucement, sa rage redescendait pour mieux jauger, dans le visage de la femme-panthère, ses réelles intentions.
L’autre, à genoux, la cuisse transpercée par sa propre arme, restait la main crispée sur son manche, incapable de l’enlever. Il tourna la tête vers la femme, dans un effort surhumain, comme si tous ses muscles le lui en empêchaient et son visage se figea en un rictus de douleur, lui déformant le faciès. Yurlh baissa les yeux afin d’être sûr que l’assassin ne bougeait plus. Visiblement, c’était le cas.
– Ses crochets sont empoisonnés, Yurlh ! lui lança Dem, tout en tirant sur la perruque de son bourreau, avant d’être coupée par la lame qui la força à se taire.
Yurlh grogna d’être ainsi piégé au fil du chimchir de la féline assassine aux poils blancs. La clochette résonnait plus encore dans le vestibule. Le nain n’en finissait pas de tirer sur le fil. Dans le statu quo stressant, une voix résonna, provenant du passage éclairé :
– L’affrontement est terminé, dit-elle d’un ton apaisant.
Les clefs, coincées entre les doigts de Yurlh, tombèrent une à une.
– Moïma…
– Viens. Viens me voir, toi qui as fait tout ce chemin pour me retrouver, continua la voix d’une douceur sans pareille aux oreilles du barbare.
Même s’il venait de relâcher sa fureur, Yurlh ne quitta pas le regard inquiet de sa jeune amie, toujours sous le couperet de l’assassine. Son envie était grande d’aller retrouver sa mère, mais il lui était impossible d’abandonner Dem.
– Lâche-la, Asia. De menace, il n’y en a jamais eue.
La femme abaissa l’arme et desserra sa prise. La petite fille rejoignit aussitôt les jambes protectrices du colosse. Gardant toujours un œil sur l’assassine qui restait immobile, Yurlh avança vers le son de la voix. Arrivé sous l’arche, il put découvrir une salle voutée en pierre blanche, au plafond tenu par quatre colonnes.
– Approche. N’aie pas peur… Je sens ton cœur battre pour…
La voix provenait du centre de la pièce où un voile blanc cachait l’énigmatique personne. Seule une silhouette féminine se dessinait en ombre chinoise sur le drap tendu.
– Approche, toi qui m’attires autant que je t’attire.
Si Yurlh avançait comme hypnotisé, la petite fille tirait sur son bras pour le retenir. Le voile s’ouvrit en deux et elle était là, agenouillée sur un lit couvert de soie blanche, aux reflets de nacre.
– Viens me retrouver, mon barbare…