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Le barbare se frayait un chemin dans l’eau marron, avançant au rythme du faible courant. La voute était haute et percée à intervalles réguliers d’un fin rayon de lumière.


– Là, on est juste en dessous du palais ou des jardins. C’est une grande place avec plein de jolies fleurs. Je l’ai déjà vu, tu…


La petite voix dominait les clapotis pâteux avant d’être coupée par la lumière intense d’un puits qui s’ouvrit plus loin devant eux. Du large halo de lumière, une silhouette plongea, accompagnée d’un : « Aaaaahhh ! » qui fut aussitôt interrompu par un plouf, signalant l’atterrissage.


– Adieu… la fouine. Passe le bonjour à mes étrons, dit une voix d’en-haut, avant de refermer le large rayon lumineux, éclairant encore le corps flottant qui prenait le sens du courant.


C’était là une bien étrange rencontre. Mais la fillette, ne semblant pas étonnée, intima Yurlh de pêcher le poisson tombé du ciel. Arrivé à ses côtés, il retourna le corps visiblement sans vie d’un humain, dans la force de l’âge, vêtu d’un manteau, aux coutures d’or, qui devait être rouge avant d’être baigné d’excréments lui ravissant ses couleurs. Dans son ventre était plantée une anelace, à la large lame aiguisée de chaque côté. À peine le nez sorti de l’eau qu’il toussa le morceau avalé en tombant.


– Le Magnus soit loué ! Aidez-moi, dit-il avec difficulté.


Il ouvrit de grands yeux marron et regarda l’orkaim avec insistance.


– Aidez-moi et vous aurez tout ce que vous voudrez.


– Je crois que c’est notre jour de chance, dit la fillette regardant la tête portée hors de l’eau par la large main de l’orkaim.


N’ayant pas de réponse du colosse, qui venait de le sauver d’une noyade certaine, l’étranger continua son récit dans l’espoir d’une fin heureuse.


– Je suis un trésorier de l’Empire et veille aux dépenses des deniers de la cité, expliquait l’humain forçant sur les muscles du cou pour sortir sa calvitie de l’eau jaunâtre. 


– J’ai retrouvé mes écritures reprises dans le Grand Livre, continuait le pauvre gars, entrecoupé de toussotements d’excréments.


– De viles personnes falsifient mes comptes et cherchent à nous faire porter le chapeau des voleurs ! Mais… 


Sa verve montait et descendait au rythme de sa douleur au ventre.


– Je les ai débusqués avant qu’ils n’y parviennent, dans le Grand Livre ! Je vous le dis… Si vous me sauvez, je peux apporter les preuves de ce complot au morénor et sauver son intégrité, ainsi que la mienne…


– Sinon… j’ai peur que ma famille en fasse les frais. L’empereur est sans pitié avec ceux qui détournent de son or, continuait l’homme au visage bronzé.


Yurlh ne perdit pas une goutte de son récit, tant l’humain semblait sincère. Même s’il n’avait compris qu’une infime partie de cette étrange histoire de papier et d’écritures, l’homme parlait bien. Pour l’écouter, il s’était arrêté de marcher et, jusqu’à maintenant, il lui était facile de faire mur au courant. 


Mais, au fur et à mesure des explications, des petites gouttes ajoutèrent une ambiance sonore, faisant de ce lieu un semblant de grotte. Puis, vers la fin de son conte, les gouttes devinrent des filets d’eau, pour finir par faire monter le niveau de la rivière souterraine jusqu’au plexus du colosse. Là, ses pieds manquaient par saccades de le tenir au sol et il dérivait avec toujours plus de difficulté à s’arrimer.


– Il doit pleuvoir des cordes, Yurlh. Rapproche-toi du bord. Il faut qu’on sorte de ce bourbier, gueula la fillette qui savait avoir du coffre quand cela était nécessaire.


La tâche n’était pas simple. D’un côté, il devait maintenir la tête hors de l’eau du comptable, de l’autre, s’aider de la main en battant comme une rame pour vaincre le courant. 


– Là, regarde le fer tordu. Dépêche, on peut l’attraper, cria l’enfant, tout en évitant les gouttes qui pouvaient à tout moment éteindre la seule lumière qu’était sa lampe.


Elle indiquait à Yurlh une herse tordue, une grille en fer forgé qui devait avant fermer l’accès d’un des égouts du palais et dont l’ouverture avait dû être forcée. L’aubaine était trop belle pour être ratée. Yurlh mit en branle tout ce qui lui restait de muscles pour combattre la force hydromotrice, faisant voler de la main des colombins hors des flots. 


Mais, le courant semblait plus rapide. Et, sa trop large stature était une faiblesse dans ce combat démesuré. Alors qu’il allait manquer de saisir la herse, débordé par la rivière grossissante, la fillette put la prendre d’une main. Cela ne dura qu’un instant, un instant où elle aurait pu écarter les jambes du large cou de sa monture et se libérer du ruisseau devenu torrent. Mais, elle ne le fit pas, préférant partager la suite de l’aventure qui s’annonçait quelque peu funeste. Relâchant du bout des doigts le métal plat, elle vit s’éloigner le seul espoir de survivre dans ce déluge et serra plus fort encore ses jambes autour de son ami orkaim.


Tous les trois, ils dérivèrent. Maintenant, Yurlh ne touchait même plus le sol vaseux. Emportés par les flots, ils dépassaient des objets flottants en tous genres. Puis, Yurlh retoucha du bout des pieds le sol boueux. Mais, le courant avait grossi en fureur, comme si le couloir prenait de la pente. Emportés, évitant de boire la tasse, Yurlh, la fille et le comptable comprirent, un peu tard, qu’ils se dirigeaient vers une cascade. L’eau vociférante avait des sonorités de fin et quand le barbare quitta le sol mou pour se retrouver projeté dans le vide, il hurla.


La chute fut assez longue pour qu’ils s’entendent tous les trois mourir. Mais là encore, la bonne fortune avait sonné à leur porte. Ils furent rattrapés par un filet tendu au beau milieu du grand collecteur des égouts de la place du palais.


Les cris de peur se muèrent en hourras d’être ainsi sauvés d’une mort certaine. Allongé sur le dos, la fille un peu plus loin au-dessus de la tête de l’homme dégarni, dont les jambes étaient tombées en travers de ses abdominaux, Yurlh observait la cascade qui rageait devant eux. Aspergé de bribes d’eau salace, Yurlh jubilait de cet instant d’avoir vaincu la grande faucheuse et regardait l’eau dégrossir aussi vite qu’elle avait pris du volume.


Mais, derrière la cascade liquide, devenant peu à peu plus pâteuse, attendait, tapis, huit yeux brillant de voracité. L’instinct du barbare inonda toutes ses veines. Son corps se raidit. Sans pouvoir ramener ses mains contre ses côtes, Yurlh était là, bras tendus, crucifié, condamné à attendre que sorte la créature dont la toile lui servait pour l’instant de matelas.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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