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La jambe violacée du pied droit jusqu’au mollet, le monstre des profondeurs avait laissé son empreinte sur le corps du barbare. Yurlh boitait. Mais à côté des douleurs qui parcouraient toutes ses articulations, sa jambe ce n’était rien. À chaque colonne de brique qu’il croisait, il en profitait pour s’y appuyer et masser les parties de son anatomie contusionnée.


Dans l’affrontement, la lampe à huile de la fillette s’était éteinte. Ils étaient tous deux dans le noir, hormis l’eau qui renvoyait les reflets des lampions tombés à terre et abandonnés par leurs porteurs. Ni l’un ni l’autre n’eut envie d’aller en récupérer un. Il aurait fallu repasser sur le pont du bassin de la bête. Alors, dans l’obscurité, ils traversèrent les deux autres ponts, les menant vers un couloir plus sombre encore.


L’enfant n’était plus à courir. Elle marchait maintenant avec retenue dans l’aura chaude du barbare. Yurlh sentit qu’elle tremblait, surement de froid d’être encore trempée, pensait-il. Heureusement, plus personne n’était à leurs trousses. Ils avaient tout le temps d’explorer les égouts. Parfois, un filet de lumière, provenant d’au-dessus, éclairait suffisamment, leur donnant plus d’indications sur les voies qui s’offraient.


– Retrouver le bateau, lui dit Yurlh.


L’enfant se retourna et, toute tremblante, lui répondit :


– Le port, c’est dans l’autre direction.


Mais, voyant, dans le peu de lumière, les yeux incrédules du colosse, elle ajouta :


– Il faut retraverser la salle du monstre. Nous sommes du mauvais côté.


Pour une enfant de la rue, elle s’exprimait avec des mots recherchés, bien mieux que Yurlh avait réussi à en apprendre, durant les huit lunes, sur la galère.


– Sortir alors ?


– Si on sort, ils te retrouveront et te tueront. Il fait jour maintenant.


Yurlh s’assit sur les pavés humides, dépité d’avoir aussi peu de possibilités. 


– Comment faire ? demanda-t-il en regardant ses ongles soulevés, laissant ses doigts saigner.


L’enfant s’assit à ses côtés, cherchant à se réchauffer et se rassurer aussi. Pendant ce temps, Yurlh rabaissa ses ongles, tentant de les recoller sur ses doigts. Elle tira sur un cordon qu’elle avait caché autour du cou, sortit une bourse en cuir et l’ouvrit. La retournant, elle en fit tomber deux pierres et dut glisser sa main à l’intérieur pour récupérer le tas de mèches à bougie qui y était collé d’humidité.


– Tiens, souffle dessus, dit-elle en lui tendant une cordelette de chanvre.


Yurlh la prit et souffla une fois dessus.


– Mais non. Allez, souffle encore.


Yurlh ressouffla.


– Allez, plus fort !


Il souffla si fort que la mèche s’envola et tomba plus loin sur les pavés, accompagnée des rires de la fillette.


– Pas si fort, dit-elle en allant la ramasser.


Yurlh recommença. Et pour la faire rire encore, il la fit voler une seconde fois. Aux rires de la jeune fille, ceux de l’orkaim l’accompagnèrent.


– Si tu mets à chaque fois la mèche dans l’eau, je n’arriverai jamais à l’allumer, lui dit-elle en pouffant.


Au-dessus, la lumière s’était peu à peu renforcée et Yurlh voyait même le visage souriant de la fillette qui lui avait sauvé la vie par deux fois déjà. Elle ne tremblait plus et jouait avec le barbare à rattraper la mèche avant qu’elle ne tombe à l’eau. À un moment, elle s’arrêta de lui donner.


– Regarde. Je vais faire un tour de magie.


Elle avait posé sa mèche sur la lampe à huile et frappa les deux cailloux l’un contre l’autre. Des petits éclairs en jaillirent, sous les yeux ébahis de l’orkaim qui n’avait jamais vu pareille merveille. Dans le couloir obscur, les murs humides brillaient par intermittence. Au bout de nombreux essais, une flamme naquit sur la mèche et enflamma le reste d’huile qui ne s’était pas écoulé de la lampe.


– Il va falloir en remettre. Tu vois, il ne reste plus beaucoup d’huile.


Elle souleva sa chemise et tira sur son ventre maigre une aumônière qu’elle avait attachée sur le côté. De là, elle sortit une petite flasque qu’elle utilisa pour remplir sa lampe de bronze.


– Bien, on peut repartir. On devrait trouver un autre chemin pour te ramener au port.


Yurlh exprima sa gratitude en lui souriant de toutes ses dents. Cette fois dans la lumière, ils reprirent l’exploration des égouts d’Ildebée. Le couloir bas de plafond déboucha sur un plus grand, plus large, mais surtout inondé d’eau insalubre leur bloquant le passage. Il était impossible de l’arpenter sans aller dans la fange, car nul trottoir n’était construit sur les côtés. Yurlh s’avança en premier pour sonder la profondeur. À en croire sa jambe qui s’enfonçait, il serait immergé jusqu’à la taille, ce qui dépasserait les épaules de la fillette.


– Pas d’autre chemin ? lui demanda Yurlh.


Elle répondit non de la tête. Alors, l’orkaim se jeta dans la boue nauséeuse et se retourna.


– Allez, monte, lui dit-il.


L’enfant grimpa sur les épaules du barbare, aidée de ses grosses paluches faisant office de marchepieds.


– Par où ?


– Par là, lui répondit-elle en pointant vers la droite, dans la direction d’un léger courant d’eau.


Yurlh prit le chemin inverse.


– Non par là, j’tai dit !


Et l’orkaim prenait diverses directions, lui soutirant des rires d’enfant qui rendaient cette traversée un peu plus agréable. Dans la mélasse jusqu’au nombril, la fillette sur ses épaules, éclairé d’une faible aura de lumière, le colosse s’enfonçait inéluctablement vers des eaux plus troubles que jamais.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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