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La charge maximale que pouvait transporter Korshac dans la Squale, son navire, était de quatre-vingt-six tonneaux. Cela faisait beaucoup quand on sait que ce n’était qu’une garda-galéanne de vingt-six mètres de long, une galère impériale qu’il avait fait renforcer et dont les cales de transport d’unités militaires avaient été transformées en lieu de stockage. Ce qui lui donnait un navire de commerce avec un très faible tirant d’eau, lui offrant une large possibilité de cartes et de voies navigables.


Mais revenons-en à sa capacité de transport confortable de quatre-vingt-six tonneaux. En effet, son équipage était toujours d’environ soixante-six rameurs et dix marins qui servaient à la manœuvre de la voile. Et pour décharger les cales pleines d’herbe, fraichement achetée quinze jours plus tôt à Daïkama, les soixante-six rameurs n’étaient pas de trop.


En plus de les décharger, ils devaient les emporter jusqu’à la taverne du mât-cheminée située à mi-chemin des portes de la cité et du port. Quatre-vingt-six tonneaux en volume, cela représentait plus de six-cents caisses et quand on sait que deux rameurs étaient nécessaires pour en porter une seule, on peut comprendre l’étendue de la tâche. Une fois la galère déchargée, ce qui prenait une nuit, fallait-il encore récupérer à la taverne un nouveau chargement d’herbe, cette fois, sulfureuse. Ces allées et venues se faisaient dès le crépuscule et s’éternisaient toute la nuit, afin de ne pas éveiller les autorités. 


Ces jours de fête du nouveau sillon étaient parfaits pour réaliser les transferts des marchandises illicites en toute discrétion. C’était donc sans l’aide de Kiarh, qui prenait du repos de sa blessure, que l’ensemble des rameurs ramenaient les caisses pleines d’herbe sulfureuse sur la route descendant au port.


Au loin, dans la grande cité, on entendait les musiques et les lumières de la foire qui, toute la nuit, devait amuser les Ildebéens. Yurlh n’était pas attiré par tous les sons, bien que cela l’intriguait. Il avait eu son lot d’émotions de regoûter à l’amertume des combats, repensant à l’enfant qu’il avait failli tuer. Mais quand il était dans la fureur de la bataille, ses sens basculaient et rien ne pouvait plus l’arrêter. La jeune fille avait eu de la chance d’avoir un ange gardien, la voix de Kaïsha, sinon cela aurait été la dernière lune verte qu’elle aurait vue. 


La voix de Kaïsha était la seconde voix féminine qu’il avait entendue après celle de sa mère. Celle qui, huit lunes vertes déjà, lui avait promis d’être à ses côtés les nuits où il aurait peur. Mais sa voix ne portait pas si loin sur la mer. Huit lunes qu’il l’avait quittée et depuis il ne l’avait plus entendue.


Alors la voix de Kaïsha, même si elle criait sur les galériens de ramer, était celle à laquelle il s’était rattaché. Elle faisait vibrer une corde en lui encore mystérieuse. Elle ne semblait jamais loin, surtout quand ils étaient à terre, toujours à l’observer. Peut-être avait-elle peur qu’il ne s’échappe ? Mais, Yurlh n’en avait nulle envie. 


Avant d’arriver à la galère, il avait vécu dans une fosse de six mètres carrés, avec pour seuls compagnons des chiens. La galère était devenue sa maison, les rameurs, sa famille. Et quand ils sortaient sur les ports, il était le dernier à mettre le pied à terre, encore fallait-il que Kwo l’en persuade. Aussi, quand il devait porter des caisses, il les suivait comme un chien, de peur de se perdre dans l’étendue vaste de la cité. 


Et c’est cela même qu’ils étaient en train de faire. Kwo aidait Kaïsha à porter une caisse puisque Kiarh était mal en point. Yurlh se dépêchait de prendre ce qu’on lui indiquait, sans toutefois lâcher des oreilles les paroles de Kaïsha qui s’éloignaient dans l’effort. Cela se passait non loin de la porte de derrière de la taverne, où toutes les caisses d’herbe sulfureuse avaient été entassées. 


Le barbare en saisit une qu’un petit homme lui désigna. Alors que seul, il allait pour la soulever, sous le regard étonné du nain, une voix résonna un bref instant. Ce n’était pas celle de Kaïsha, mais la première qu’il avait entendue huit lunes plus tôt. Puis, elle se tut et Yurlh crut avoir rêvé.


Il regarda partout autour de lui, pour voir si la lune verte voulait bien lui montrer où était cachée celle qu’il cherchait. Le petit homme tourna la tête, croyant que le barbare avait vu quelque chose. Dépité, Yurlh reprit de soulever la caisse, quand à nouveau, la voix se manifesta. C’était bien celle qu’il choyait dans son cœur et Yurlh sourit de tout le bas de son visage. 


Le nain lui répondit en souriant, pensant qu’il appréciait sa petite personne. Yurlh abaissa l’imposante caisse qu’il avait levée jusqu’aux épaules. Apeuré, le nain écarta les bras en sachant pertinemment qu’il lui serait impossible de la réceptionner. Un instant, Yurlh s’immobilisa, cherchant la confirmation que son ouïe ne lui mentait pas. Satisfait, il lâcha la lourde caisse sur le nain. Ce dernier ne put amortir le choc des cent kilos d’herbe sulfureuse qui l’écrasèrent. 


Même si la lune verte était claire, il n’était pas simple de voir au travers de son masque de fer. Yurlh chercha autour des caisses, elle devait être là quelque part. Mais la voix s’était tue. La tension commençait à monter de peur de la reperdre et Yurlh chercha plus vite encore. C’est alors qu’en se levant, une brise souffla et, à ses oreilles, apporta le son de la douce voix. Aussitôt, il tourna la tête dans la direction d’où elle provenait. Au loin, devant la lumière de l’arche de la porte ouest, une fine silhouette encapuchonnée, sous une esclavine, lui rappela la dernière image de sa maman. Elle était là, à portée, à s’enfoncer dans la jungle des bâtisses d’Ildebée. 


Yurlh hésita un instant, juste le temps de jeter un œil vers le port puis, il s’élança. La distance était plus longue à parcourir qu’il ne pensait. Et sous ses yeux, la silhouette, qui était accompagnée de deux autres, disparut sur les pavés des rues sombres de la cité. 


À la porte ouest, deux gardes étaient normalement assignés. Depuis qu’un mur avait été bâti de la cité jusqu’à la falaise, afin de protéger le port, les gardes étaient moins nombreux. Et, en cette nuit de festivités, seul l’un des deux faisait le pied de grue. L’autre devait surement s’amuser. 


Yurlh ne s’en soucia point et, à pas de chat, tenta de passer. Les lumières des torches attachées aux montants en pierre de la porte, celles-là mêmes qui avaient permis à Yurlh de trouver la silhouette qu’il suivait l’éclairaient maintenant de pleine face. Le chaton qu’il pensait être se trouva avoir la taille d’un tigre pour le garde qui à ce moment scrutait au loin. Il serait sans doute passé inaperçu, bien que sa taille soit imposante, s’il ne s’était pas conduit comme un voleur pataud, cherchant à ne pas être vu. La posture alerta le garde qui, de suite, lui barra le passage avec son fauchard, s’en servant comme d’une barrière. Yurlh la toucha du ventre et, au « Halte là ! » du garde, s’arrêta. 


– Tu vas où comme ça, grand malin ?


Yurlh, quelque peu vouté, se redressa, ce qui eut pour effet de changer l’attitude du garde rouge. Il comprit qu’il n’avait pas affaire à un humain de grande taille, mais à un orkaim échappé, car aucun n’était libre. Yurlh, se rappelant le rôle des gardes à son égard, lui répondit :


– Manger ? en ouvrant la bouche.


– Bouge pas, l’ami. On va s’occuper de toi.


Mais visiblement, le garde n’avait pas dans l’idée de lui donner de la nourriture. Il tirait de sa ceinture une petite corne, espérant apparemment partager un instant de fête. Yurlh, qui n’avait nul besoin d’attendre qu’on lui joue un air de musique, saisit le manche du fauchard et, d’un coup fort, le lui soutira des mains. Surpris, le soldat recula et, par là même, fit tomber la corne.


Yurlh, qui venait de libérer le passage, lâcha au sol le fauchard qui l’encombrait et continua son chemin d’un pas rapide pour rattraper le temps perdu. Passé l’arche de briques, s’enfonçant dans le noir de la grande cité d’Ildebée, ses oreilles furent agréablement surprises par la musique qui s’y jouait. Mais derrière, un son strident lui crispa les sens. Ce devait être l’homme au tabar rouge qui s’énervait sur sa corne, mécontent de n’avoir personne pour écouter sa ritournelle. Yurlh ne cessa d’avancer, les couleurs des lumières jaunes, orange et rouges qui dansaient de derrière les bâtiments l’aimantaient comme un gros moustique. 


Au détour d’une maison, une grande place s’étendait devant lui. Elle était éclairée de mille feux et dallée de pierre. Des tavernes décorées de lampions de papier coloré l’entouraient. Sur sa gauche, un pont de bois chevauchait une belle rivière. De l’autre côté, la fête battait là aussi son plein. Les flustes couvraient maintenant le son désagréable du piètre ménestrel qu’était le garde. Yurlh découvrait, de ses yeux d’enfant, un spectacle féerique qu’il n’avait jusqu’alors jamais vu.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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