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Existait-il pire sentence que de se retrouver à ramer aux côtés d’un de ces guerriers sanguinaires ? Était-ce le fait d’avoir promis à la donneuse de vie de se rendre ? En tout cas, Anhouryn avait décidé de lui faire payer cher son mensonge. Le colosse assis à ses côtés faisait bien trois têtes de plus que lui et ses bras étaient plus larges que les jambes de Kwo. 


Les orkaims, Kwo les avait combattus avec et sans armure. À l’époque, il se trouvait à la forteresse d’Isyskal, encore en construction, sur les ruines de la Porte de Razgor. Pourtant, avant d’être considérée comme la porte des terres orkaims, ce n’était qu’une grande cité de plus sur la route de la victoire des Conquérants. À cet endroit, les orkaims avaient arrêté l’avancée des Conquérants dans leur soif insatiable de terres en 854. Mais, de l’autre côté de la porte, les orkaims déferlaient encore et encore.


Kwo avait été cantonné à la forteresse d’Isyskal en 856 où il avait vécu des nuits sur les murailles à donner l’alarme d’assauts imminents, la peur lui nouant les entrailles chaque fois que les nuits étaient de pleine lune. Qu’elles soient rouges, blanches ou vertes, les orkaims attaquaient sans relâche. Et même sans armure, ils restaient de furieux combattants que nul homme, taurus ou zèlrayd ne pouvait égaler. Une époque où la vie ne valait pas un clou se rappelait encore Kwo. Mais, c’était peut-être l’époque où il avait progressé le plus dans l’archerie. 


« Enfin, tout ce chemin parcouru pour en arriver à ramer aux côtés d’un des bourreaux de mes frères d’armes… déprimait Kwo. »


En plus d’être un orkaim, c’était l’un des spécimens les plus costauds, surement capable de lui briser le cou d’une seule main. Toutefois, Kwo sut tirer parti de cet attribut puisque l’orkaim ramait pour deux. Kwo avait juste à tenir les rames. Ses bras suivaient le mouvement, entrainés par la force du géant. En fin de journée, l’orkaim mangeait son repas et dormait la tête entre les jambes, laissant à Kwo plus de place pour s’allonger. 


Finalement, au bout de quelques jours, Kwo commença à apprécier sa compagnie. Se sentant même presque redevable qu’il rame à sa place, Kwo lui donnait une part de sa pitance. C’était aussi dans le but qu’il ne s’amaigrisse pas. La première fois qu’il approcha sa cuiller en bois du bol de l’orkaim, ce dernier grogna, presque comme un chien. Mais voyant qu’elle était pleine, sa lèvre supérieure se détendit et il accueillit la maigre portion avec une sorte de ronronnement de satisfaction. 


Ainsi Kwo parvint, au bout de quelques lunes, à apprivoiser son voisin, le considérant plus comme un animal sauvage qu’un combattant impitoyable. Kwo se contentait de la moitié de nourriture grâce au moindre effort qu’il faisait. 


Un jour, l’orkaim lui dit en montrant la cuiller pleine qui arrivait : « pour moi ? ». C’est à ce moment-là qu’il sut que l’animal, qu’il croyait avoir à ses côtés, n’était autre qu’un enfant doué de raison. 


Kwo était âgé de 43 sillons. Cela pourrait paraitre un âge avancé, mais pas pour un aomen. Les vieillards aomens dépassaient très souvent les 140 sillons. 43 sillons équivalaient à un humain de 24, mais cela n’enlevait en rien les longs sillons d’expérience accumulés. Ayant vécu toute sa jeunesse dans les cabanes des bas quartiers de Taranthérunis, il savait ce que c’était d’être livré à lui-même pendant que son père partait à la pêche dans les meilleurs jours. Il n’avait pas eu de mère, elle était morte en couches, comme de nombreuses en ce temps. 


Aussi, il ne voyait plus le corps du combattant, mais plutôt l’âme de l’enfant égaré qu’il avait été toute sa courte jeunesse, propulsé dans un monde d’adultes, avec perte et fracas. Kwo espérait lui offrir le grand frère qu’il n’avait jamais eu, celui qui pourrait lui apprendre toutes les vilenies des adultes avant qu’il ne les subisse, même s’il avait déjà vécu son lot d’horreurs. Attaché au même bout de bois, il entreprit de lui apprendre à parler.


La tâche s’annonçait ardue, mais il avait tout son temps, soit à ramer toute la journée ou encore à attendre dans les ports et les rades d’escales qu’obligeait le commerce de Korshac. Étrangement, l’orkaim semblait apprécier l’écouter. Il était extrêmement sensible aux expressions du visage de Kwo. Quand Kwo réussit à lui faire répéter les trois lettres de son nom, il ne put s’empêcher de taper de joie ses fesses sur le banc. L’orkaim le copia aussitôt, arrachant un rire à l’aomen. Et toute la salle de rameurs s’emplit de la gaieté saccadée et caverneuse de l’orkaim. 


De lui faire répéter son nom fut bien plus aisé que de lui soutirer le sien. Ce fut même en quelque sorte une épreuve. Car c’était là bel et bien un enfant qui apprenait. Et quand il comprit que de nom, il n’en avait pas, des larmes tachèrent le bois entre ses pieds. Un enfant dans un corps d’homme, quelle avait bien pu être sa vie d’avant sinon un enfer ? Kwo se prit d’affection pour celui qui, quatre lunes vertes plus tôt, était sa plus grande menace. Maintenant, il se sentait presque en sécurité d’avoir comme compagnon ce colosse. Les nuits n’en étaient que plus sereines. 


Enfin, un jour où le soleil s’était donné comme ambition de les faire suer tous, les esclaves dans la difficulté, peinaient à faire avancer le navire. Kaïsha la femme-panthère, qui veillait à maintenir les rameurs en forme dut même oublier l’idée de les fouetter. Ce jour, elle sortit une corne et sonna fort dans la salle des forçats : 


– Yuuurlh !!!


Cela leur redonna du cœur à l’ouvrage. Alors que la cadence reprenait, le son tonitruant résonnait encore dans la tête du garçon au torse abominablement musclé. Ce son évoqua en lui l’appel au combat quand il était encore Hurleur, un son qui avait pour seule vertu de le rappeler à la vie. 


Il tourna la tête vers Kwo et lui dit :


– Yurlh, appelle-moi Yurlh !






FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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