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– Déjà trois jours qu’on a terminé de charger les tonneaux de pétrum et tout le reste, qu’attendons-nous pour quitter cette cité maudite ? demanda Kaïsha.


– Un colis, j’attends un colis et il me tarde de le recevoir, répondit Korshac, le menton soutenu par son poing.


– J’espère qu’il en vaut la peine, ton colis. J’ai toujours peur que des gardes viennent me chercher sur le navire pour me vendre comme de la viande, ajouta Kaïsha.


– N’aie crainte. Je suis en affaires avec l’Empire. Ils ne viendront pas nous ennuyer, lui répondit Korshac.


– Alors, c’est encore une de tes salopes d’esclaves, commença à s’énerver Kaïsha.


Korshac sentit venir la querelle, mais il n’avait trouvé aucune ruse qu’elle ne sache déjouer.


– C’est propre à la race des panthérès, la jalousie ou… demanda Korshac avant d’être coupé.


– C’est ça, et l’autre nuit, c’était une illusion, les miaulements dans ta cabine ?


– N’oublie pas d’où tu viens. Je pourrais te rattacher à l’une de ces rames, rétorqua Korshac, fatigué de la répartie de Kaïsha.


– Tu devrais y penser. La prochaine fois, je te couperai les grelots de faire ça sous mon nez, criait Kaïsha.


Korshac cherchait du regard une échappatoire quand il vit un petit groupe habillé d’esclavines vert sombre qui avançait sur la place du marché, déjà bondée. Ils étaient quatre à avoir levé leur capuche. En cette matinée ensoleillée, rares étaient ceux qui se couvraient le chef. Korshac tira sa longue-vue, qu’il avait accrochée dans un étui de cuir le long de la ceinture, et la déplia. De loin, il reconnut les jolis traits de la femme-araignée qu’il avait rencontrée quelques jours plus tôt. Elle était accompagnée de ses deux sbires, mais tous les trois entouraient un quatrième qui faisait bien trois têtes de plus qu’eux et dominait, de sa hauteur, la foule.


– C’est ça, reluque-les juste devant moi. Ne te gêne pas, salaud !


Tout vient à bord à qui sait attendre. Tu vas pouvoir cracher ton venin sur ma nouvelle petite chérie.


Kaïsha se tendit d’un coup, sentant monter la rage en elle. Elle força sur ses yeux pour tenter de découvrir laquelle il regardait. Elle avait mis assez de temps et de sueur à prendre sa place aux côtés de Korshac, ça n’allait pas être une greluche quelconque qui allait la lui ravir.


Les quatre s’étaient taillé un chemin dans la foule et parvinrent jusqu’à la galère de Korshac. Ce dernier descendit les accueillir, car en plus du colis intrigant qu’ils lui portaient, il y avait aussi le paiement promis. Korshac prenait plaisir à faire des affaires et celle-là était des plus juteuses.


En arrivant, Larlh Vecnys découvrit sa capuche pour se faire reconnaître, avec une grâce qui ajouta un peu plus d’adrénaline dans les veines de la panthérès.


– Comme les vents ont mis longtemps à vous souffler jusqu’ici ! les accueillit Korshac de sa voix tonitruante.


Larlh Vecnys avait l’habitude de traiter avec ces loups de mer, friands de tatouages.


– J’ai respecté le délai. Nous sommes le lendemain de la cinquième nuit de pleine lune rouge, comme convenu.


– Non, non, non, on avait dit la veille. Va falloir compenser, répondit-il en se frottant les mains.


Kaïsha s’était glissée de derrière Korshac, aussi furtive qu’elle pouvait l’être. Larlh Vecnys savait très bien ce que le capitaine entendait par compenser. N’aimant nullement les mains baladeuses, elle décida de tirer sur le vêtement trop court qui n’attendait que de tomber du colosse.


– Voici votre passager ! présenta Larlh Vecnys en découvrant l’orkaim.


L’effet fut immédiat et ôta toute envie d’en tâter à Korshac. Il lui avait fallu du temps pour tatouer entièrement le corps de l’orkaim tant il était grand, deux mètres vingt de haut, et une grosse quantité d’encre pour dessiner chacune des écailles de l’hydre aux douze têtes de serpent qui couraient sur son corps.


Le résultat était fort impressionnant, au point de couper la chique à Korshac. Kaïsha, qui s’était faufilée, prête à sauter sur la mystérieuse interlocutrice pour lui coller une griffe dont elle se rappellerait, fut, elle aussi, bouche bée de voir la montagne de muscles ainsi mise en valeur par l’œuvre de la tatoueuse aux six bras.


Larlh appréciait l’effet de son œuvre sur les premiers spectateurs, mais elle ne perdit pas le sens des priorités.


– Pouvons-nous continuer à bord de votre navire, capitaine ?


Korshac en était encore à calculer combien de tonneaux pouvait porter un tel monstre.


– Qu’il me pousse une queue de poisson, je n’ai jamais rien vu de pareil !


Larlh Vecnys n’attendit pas l’invitation pour s’avancer vers le ponton et commença de monter à bord. Cela ne semblait nullement gêner Korshac.


– Il est plus gros que je ne l’pensais. Ça va me coûter cher en poisson pour le nourrir.


– Vous êtes toujours à calculer, vous autres marchands des mers.


– Faut bien faire tourner la boutique, ma p’tite dame.


À côté du colosse, Korshac paraissait bien petit du haut de son mètre cinquante. Aussi, il évita de le taper de l’épaule en le frôlant. Ils allèrent dans la cabine, à la poupe du navire. 


– Laissez-le sur le pont, qu’on négocie tout ça entre personnes… du métier.


Comme Larlh ne dit rien à l’orkaim, il la suivit jusqu’à l’intérieur. Korshac n’osait plus lui parler comme la première fois. L’orkaim, qui la suivait, était trop impressionnant et avait éveillé en lui une sorte de crainte : car, qui commande à la brute se doit d’être respecté, était l’un de ses nombreux dictons qui lui trottait en ce moment dans la tête. 


– Un fauteuil ? proposa-t-il d’une voix plus aimable qu’à l’accoutumée.


Larlh Vecnys lui répondit d’une main qui voulait dire non. D’une autre, elle fit signe à son sbire le plus costaud d’apporter une sacoche en cuir sonnant le bruit des pièces. Il avait le visage couvert de gouttelettes de sueur, témoignant de la lourdeur de l’offrande. En posant la sacoche sur la table, on entendit le bois craquer sous le poids des pièces. 


– Cinquante kilos d’or, accompagna, de sa voix, la femme-araignée.


Korshac s’empressa d’ouvrir les deux poches de la sacoche afin de baigner ses mains poilues dans le métal bienvenu.


– C’est dix kilos de plus que convenu, ajouta-t-il avec un large sourire carnassier.


Dans le même temps, elle fit signe de sa troisième main pour que le second servant vienne aussi se délester de son lourd fardeau. Cette fois, ce fut avec plus de mal que le précédent, étant en peine de force.


– Et cinquante kilos de plus, termina Larlh Vecnys.


– Soit, cent kilos d’or. Par Worh, vous savez parler aux hommes ! lui cria de joie Korshac.


– Cela vous fait quatre-mille-deux-cents galonds d’or. Un trésor, comme on dit dans votre jargon, ajouta Larlh Vecnys.


– Et que me vaut cette augmentation ? questionna Korshac.


– Même s’il semble en tous points taillé pour la guerre, vous devrez prendre soin de lui.


– Pourquoi lui faites-vous porter ce demi-heaume de métal qui ne lui cache que le haut du visage ? Lui manque-t-il des yeux en dessous ?


– Toute sa vie, il l’a vécue dans la pénombre, toujours à l’abri de la lumière. Laissez-le-lui, répondit la femme-araignée.


– J’interdis à mes rameurs de porter du métal… à des fins de sécurité.


– Il ne vous causera aucun problème. Il vous considérera comme son maître.


– Vous l’avez amené jusqu’ici enchaîné, alors… continua de questionner Korshac.


– Juste pour respecter les lois en vigueur. Vous verrez, il est doux comme un chat, ajouta Larlh Vecnys.


Korshac regarda dans la pièce et autour, pour voir s’il n’y avait pas une malheureuse oreille cachée.


– Des chattes, j’en ai ma claque, si vous m’suivez… lâcha Korshac.


Larlh Vecnys tendit une quatrième main et dit :


– Affaire conclue.


Korshac la lui serra pour entériner l’accord. Mais alors qu’il allait la retirer, Larlh Vecnys murmura des paroles inaudibles et lui maintint la main avec une force qui n’était pas la sienne.


– N’oubliez pas qui est notre commanditaire. Une entourloupe, et ce ne sera pas moi qui me chargerai de vous traquer, sur quelque mer que ce soit. 


Cette fois, elle capta son attention pour qu’il ne perde aucun des mots qu’elle allait lui graver dans le crâne.


– Ce sera l’Empire !


Korshac hocha la tête pour exprimer son assentiment. Il savait que gagner si facilement de l’or pouvait avoir des contreparties fâcheuses. Mais, cela ne lui faisait nullement peur. Non, la seule crainte qu’il avait, c’était cette femme mystérieuse qui devait, en ce moment même, faire usage de la sorcellerie.


Larlh Vecnys, étant entendue, se rapprocha de l’orkaim et lui parla dans une langue primitive qu’eux seuls pouvaient comprendre.


– Mon enfant, je te laisse entre les mains d’un autre qui te traitera comme son fils. Tu n’auras plus à te battre pour manger. Et la nuit quand tu auras peur, ma voix sera là pour te réconforter.


– Pourquoi m’abandonner encore ? répondit de sa voix caverneuse le jeune orkaim.


– C’est pour ton bien. Je le fais pour ton bien, mon enfant.


L’orkaim, si grand et fort qu’il fût, laissa échapper de dessous son heaume des larmes de tristesse.


Larlh Vecnys les lui essuya, heureuse de sentir toute la puissance du lien qu’elle avait tissé entre elle et lui.

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