Sa tête cogna, sans force, la caisse de bois clair. Malgré l’évanouissement, il ne l’avait pas lâchée. Sa main était restée crispée sur l’anse pour ne pas perdre ce qu’il avait si durement gagné. Kwo roula des yeux sur tous les visages, autour, qui le regardaient reprendre ses esprits. Et quand il sortit ses premiers mots, Yurlh arbora un grand sourire.
– On a réussi… annonça Kwo, en caressant la caisse à outils qu’ils avaient rapportée des profondeurs de la coque.
– On a trouvé la boite qui nous sauvera du naufrage… Et qui c’est qui l’a trouvée, hein ? insistait Kwo, pour transformer le regard penaud du Narvalo en un plus respectueux.
– On avait dit la boite à esclaves… rétorqua Narwal, les traits prenant peu à peu ceux de la déception.
Kwo le toisa, resserrant ses sourcils interrogateurs.
– La boite à esclaves… Et ça, c’est quoi alors ? Une boite à gâteaux, peut-être ? cria-t-il de rage d’avoir risqué sa vie pour si peu de considération.
– La caisse de la Bille, le charpentier, beugla Kiarh, d’un ton tout aussi dépité.
Kwo n’en croyait pas ses oreilles. Et voulant les faire mentir, il tira sur le loquet de bois et l’ouvrit. La boite se constituait d’un assemblage astucieux qui faisait déplier son couvercle en deux. L’intérieur était plein d’eau, aussi Kwo, nerveux, la déversa sur le plancher. Et au fur et à mesure que ses yeux découvraient chacun des outils rangés à leur place, un air déconfit les abattait peu à peu. Commençant par la face intérieure gauche, il découvrit : un ciseau, un autre ciseau, un troisième ; et sur la face opposée : trois autres plus longs, des ébauchoirs ; au fond : un maillet, une herminette à marteau, une petite scie et une tarière. C’était tout ce qu’il y avait de métallique.
Pour être sûr de son manque de chance, d’avoir choisi la mauvaise porte sur les deux présentes, il renversa la boite, la vidant de son capharnaüm de tenons, coins et cales en bois de toutes tailles. Alors glissa, en dernier, une jolie fluste habilement décorée de fleurs, un instrument que la Bille avait dû se fabriquer.
– Pas avec ça qu’on baisera le fer, ajouta le Narvalo, en écartant les deux mains d’un air décontenancé.
Kwo se retourna pour observer l’océan par la proue.
– On ne coulera pas comme ça. Les caisses d’herbe soutiennent le navire… mais… dit Kwo, d’un air abattu.
Les autres ne comprenaient pas les conclusions de Kwo sur ses observations sous-marines qu’il était le seul à avoir faites. Kaïsha s’agenouilla à ses côtés.
– Comment ça, les caisses nous soutiennent ?
Kwo attrapa la fluste et la secoua en l’air, pour l’égoutter rapidement.
– Korshac avait acheté des caisses étanches, couvertes de braie. L’eau ne peut pas entrer dedans. Ce qui veut dire que l’air non plus ne peut pas s’en échapper, continua Kwo de lui expliquer.
Seuls Kaïsha et Narwal semblaient suivre son raisonnement.
– Six-cents caisses remplies d’herbe et d’air maintiennent le navire hors d’eau. Il ne peut pas couler.
Kaïsha opina du chef, montrant qu’elle comprenait. Quant à Kiarh, il fronçait les sourcils d’encore chercher ce que voulait dire étanche.
– Alors, on a tout le temps d’écoper les cales ! lança la panthérès d’un air des plus soulagés.
– À seulement dix, on en a pour des jours et des lunes, acheva Narwal en s’affaissant sur le pont, devant l’immensité de la tâche à accomplir.
– On peut y arriver. Allez, Kiarh et Yurlh avec moi ! ordonna Kaïsha qui saisit un seau et commença à y attacher un petit cordage obtenu d’un filin décordé en trois.
Kwo commença à jouer un petit air avec la fluste, au début peu joyeux, sans pour autant lever son cul du pont.
– Yurlh, prends ce seau, l’écope et viens avec moi !
Mais l’orkaim n’obéissait pas. Le barbare avait le nez fourré dans la caisse et fouillait.
– Maintenant, c’est moi qui commande à bord ! insista Kaïsha.
Et pour seule réponse, elle vit ses fesses se tortiller. Un autre jour, elle aurait trouvé cela sexy. Mais là, alors que le navire sombrait, elle était peu encline à se laisser aller. D’abord, cherchant les sons sur la fluste, Kwo retrouva l’air qu’il maîtrisait bien. Et Yurlh se déhancha de plus belle, le postérieur en l’air, heureusement caché par son pagne. Car, il était toujours penché, à trifouiller l’intérieur de la caisse du charpentier.
– Si tu n’m’écoutes pas, tu vas m’le payer, gros balourd !
Kaïsha enrageait de n’avoir plus d’emprise sur l’orkaim, plus encore que s’il n’avait été qu’un simple homme d’équipage. Soudain, le tambourin de Kumba résonna d’entre le pont inférieur des rameurs, d’un air voulant accompagner les notes aiguës de Kwo. Alors Yurlh se releva, et en piètre danseur, tortilla ses mains avec, à leur extrémité, quatre outils qu’il avait sélectionnés. L’air de Kwo se transforma en un plus gai, au regard de son ami dont le corps appréciait la ritournelle. Kiarh aussi semblait s’enivrer de cet air répétitif et s’enfonça vers les cales, écope et seau à la main. Mais si certains écoutaient Kaïsha, le plus important de tous la regardait avec un air facétieux et partait, tel un lutin, rejoindre les sons du tambourin.
– C’est moi l’capitaine ! hurla-t-elle.
Mais Kwo suivit Yurlh. Et tous deux formèrent le début d’une farandole qu’elle voyait déjà grossir et s’emparer du navire.