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Allongée dans son cocon de soie, Larlh Vecnys jouait à faire passer la médaille en or, à l’effigie du Magnus Kéol, entre ses doigts.


– Une escorte, c’est une escorte qu’il fallait m’envoyer, pas cette pitoyable et lourde pièce d’or.


L’œil de rubis, incrusté dans le profil du souverain, brillait dès qu’il rencontrait les lueurs du soleil entrant par l’ouverture de la tenture. Car, pour les soins d’un voyage garant du bien-être de l’invocatrice, ses esclaves avaient bâché le charriot. Ainsi, il ressemblait plus à une roulotte qu’à un attelage de marchand.


– Tu peux cligner de l’œil, ça ne fera pas de moi ton alliée. J’ose espérer que la vue de ta simple face saura faire taire tes sbires de soldats.


Dehors, le brouhaha de la populace accompagnait le véhicule, à la vitesse de son lent déplacement. Car pour s’assurer que les mnouns, sorte de gros bœufs ornés d’épaisses cornes enroulées sur elles-mêmes, ne causent aucun accident, l’un des deux servants les menait par la bride, en bouclier, devant.


– Je viens enfin te rejoindre, cher empereur. Même si tu détestes les keymés, ton devin des Trilunes, lui, s’est amouraché d’une femme-araignée.


Le berçant cahotement qu’éprouvait Larlh Vecnys depuis plus d’une heure fut soudain interrompu.


– Nous ne pouvons déjà être à la porte nord de la cité, se parla à elle-même Larlh, avec une bouche en ficelle entre les doigts pour se distraire.


Ne voulant changer sa position fort confortable, dans laquelle le roulis du charriot l’avait calée, elle se concentra brièvement pour voir au travers des yeux d’un de ses deux larbins.


– Tiens donc, déjà arrivés au pont de pierre. Regarde un peu sur la gauche que j’aperçoive une dernière fois les Bulbes de Vérunys. Non, ne change pas de point de vue. Je veux me souvenir de cette serre, de cet immonde Jardin des plaisirs dans lequel j’ai dû me prostituer.


Elle avait un contrôle total sur les faits et gestes de son esclave à quatre bras. Ce dernier ne résistait aucunement d’ailleurs. Ou sinon, son dos lui en cuirait, ce soir, de l’avoir tenté.


– Je veux te voir, Lalaskar. Avec un peu de chance, tu n’es pas si loin de mes regards. Ah, c’est vrai que depuis notre dernière entrevue, où je te dominais, tu as perdu la moitié de ta personne.


Elle s’était maintenant transportée dans l’esprit du prêtre de Vérunys et l’observait par son propre œil, le forçant à se regarder dans le reflet de verre de la serre. La moitié droite de son visage était complètement affaissée et l’un de ses yeux semblait couvert du linceul des ténèbres. À son air désolé de voir son faciès avachi, Larlh Vecnys en tira un plaisir revanchard.


– Tu vois ce qu’il en coûte d’avilir une princesse, chien de la chienne. Car ta maîtresse, Vérunys, n’est rien d’autre qu’une chienne !


Le prêtre regardait en haut, en bas, derrière le verre, puis se retourna, cherchant partout d’où pouvait provenir ces paroles ricochant dans sa tête. Il courut jusqu’au bord de la rivière et d’instinct, attiré, fixa le pont, observant le charriot qui passait.


Larlh Vecnys ressentit un certain picotement dans la tête. Il n’était pas si simple de contrôler ce curé de la luxure. Et, elle s’emmitoufla dans son cocon, de peur qu’il la voie au travers de la bâche de toile blanche. Finalement, il se prit la tête avec ses deux mains et, devant le reflet de l’eau, tira sur sa lèvre pendante, pour la faire sourire comme aux jours d’avant.


Elle laissait là cet ancien compagnon d’un temps qui, dorénavant, devrait rester derrière elle. Lalaskar avait été l’une de ses proies préférées, dont elle se délecterait encore longtemps.


Finalement, le voyage qu’elle prédisait pénible et sans aucun intérêt, voire même dangereux, révélait des tours facétieux. Jusqu’alors, elle avait redouté sortir de la tour, tant la haine des mi-bêtes était montée chez le peuple des Cités Rouges. Avec le temps et la maîtrise de sa magie, Larlh Vecnys se sentait plus sure d’elle. Elle n’était plus la petite tisseuse du second fil, écrasée au cœur d’une tour nue, dans un pays au soleil sans fin, mais une tisseuse du quatrième fil, capable de réaliser de la puissante sorcellerie ! Ses mains, sur lesquelles apparaissaient de fines ridules, en étaient la triste preuve. Mais quelle n’était pas l’agréable sensation de se sentir plus puissante ! se chantonnait Larlh Vecnys, tout en regardant sa troisième paire de mains danser derrière les autres qui mimaient ses paroles.


Encore une fois, le charriot s’arrêta. Il avait pourtant, depuis son départ du pont de pierre, parcouru une belle distance, sans faiblir sur sa lancée. Même s’il fallait gravir les pavés de l’interminable rue des marchands, jusqu’à la porte nord, les mnouns n’avaient montré aucun signe de fatigue. Larlh faisait toujours virevolter ses mains devant la toile, alors que dehors le ton montait. Un coup de plat d’épée, sur le rebord de bois du véhicule, la sortit de sa joie passagère.


– Eh ! Y a quoi là-dedans ? déblatéra, avec véhémence, un soldat qui voulait faire du zèle.


Aussitôt, l’invocatrice inspira et se reconcentra pour voir ce que les yeux de ses servants observaient : Le convoi était enfin arrivé à la porte nord. Mais, la garnison en place faisait subir, aux habitants quittant la cité, une fouille de leurs effets. Les lois, par l’entremise des juges, s’étaient durcies à l’égard des mi-bêtes. Et changer de cité semblait difficile, si l’on faisait partie de cette classe raciale.


Le saufconduit ressurgit entre ses mains. Et, la face gravée du Magnus Kéol lui apparut plus amicale. L’idée de présenter la médaille aux yeux du soldat s’imposa d’abord. Mais quand les choses s’annoncent sous de mauvais auspices, il n’est pas rare qu’elles puissent empirer.


Au large des côtes impériales, perdu au cœur de l’océan, celui pour lequel elle avait quitté ses terres natales, se trouvait emporté dans une périlleuse entreprise. Difficile de réaliser deux choses à la fois, surtout quand l’une d’elle nécessite toute la concentration que le millier de kilomètres de distance impose. Larlh Vecnys n’étant pour l’instant pas dans l’urgence, laissa le soldat faire le tour du propriétaire. Elle investit toutes ses pensées pour ressentir ce que Yurlh vivait.


 L’imbécile qui avait capté son amitié s’était donné pour grande idée de respirer sous l’eau, à l’aide d’une pauvre caisse. Quelques jours avant, c’était de glisser ses bras dans la gorge d’un crocodile, trois fois long comme elle. Alors, Larlh Vecnys se dit pourquoi pas. Mais elle devait assister sa proie, car le milieu aquatique n’était pas aisé, surtout quand il était question de respirer, même pour un colosse.


Dehors, l’impérial frappait toujours avec le plat de son cimeterre en des endroits différents. Cela la faisait parfois sursauter et commençait sérieusement à l’ennuyer. Bien que de se concentrer sur plusieurs proies et de les contrôler coûtait fort cher en essence vitale, elle scruta celui qui devait aujourd’hui être à sa place. La présence d’un tatouage dessiné sur une épaule familière s’affirma. Le chef de la porte nord était en poste ce jour, comme prévu.


Et quand Yurlh se mit à suffoquer, il ne fallut pas attendre longtemps pour entendre les soldats impériaux accourir au chevet de leur supérieur. C’était là toute la puissance de la hiérarchie, et Larlh Vecnys la maîtrisait parfaitement. La confusion dura assez longtemps pour aider son protégé à sortir des cales dans lesquelles, son idiot d’ami, l’avait plongé. De lui parler, de lui montrer la voie fut pour elle une épreuve épuisante, puisque son cocon n’était, pour l’occasion, pas installé. Mais elle comprit aussi qu’elle en était capable. Et quand elle relâcha les poumons du capitaine pour le laisser respirer, ce dernier, furieux d’avoir été l’objet de divertissement pour la populace, grogna de les faire circuler.


Quand ils traversèrent le plancher du pont de la porte nord, le cœur de Larlh Vecnys reprit de plus paisibles pulsations. D’être parvenue à quitter Ildebée n’était pas dû au profil du souverain recouvert d’or, mais bel et bien aux fils grandissants qu’elle n’avait eu de cesse de tisser.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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