Jusqu’ici l’aventure procurait des sensations inattendues. Marcher sous l’eau, porté, aussi léger que l’air, c’était du jamais vécu. Ça n’avait rien à voir avec la chute dans le vide, depuis le toit de la prison de Daïkama. Ici, tout se faisait en douceur, sans aucune vitesse. Mais attendre Kwo, seul dans cette étroite caisse, avec en plus une lanterne entre les dents, avait fait fuir le lot d’amusements sous-marins.
Combien de temps devait-il ainsi patienter ? Et si Kwo ne revenait pas, que devait-il faire ? Lâcher le filin et la lanterne pour aller le rechercher ? Yurlh grogna, façon de se persuader que c’était une très mauvaise idée.
Dans le marais aux crocodiles, Kwo avait démontré sa capacité à retenir longtemps sa respiration pour retrouver la sacoche pleine de pièces d’or, se souvenait le barbare en mâchouillant l’anse. Il allait revenir, aussi sûr qu’une anguille retourne dans sa grotte. Yurlh se remémorait les paroles de Korshac quand il lui apprenait les nœuds marins.
L’eau était froide, mais les frissons délivrés par la peur de cette étroite cachette cernée d’eau lui réchauffaient le corps. Aussi sûr qu’une anguille… Hmmhm, se mit à ricaner l’orkaim qui avait enfin compris ce que le capitaine prenait du temps à lui apprendre, les longues journées à quai. À chaque fois, cela se terminait par : T’es une tête de pioche, toi. Des bras, mais pas d’cervelle, accompagné d’un coup de paume de main sur le crâne, la manière amicale du capitaine de témoigner son affection.
Yurlh s’en souvenait avec nostalgie. Il aurait aimé voir la face de Korshac, fier de l’admirer s’enfoncer sous le niveau de l’eau, là où personne n’avait le courage de s’aventurer. Il aurait aimé, mais Korshac n’était plus, terrassé par ses propres mains, même s’il n’avait pas commandé de lui enfoncer cette lame. Et s’ils étaient là, à chercher des outils pour briser les chaînes des rameurs, à risquer leur vie dans les cales noyées d’eau, c’était bien à cause de ce fâcheux coup dans la poitrine.
La lumière émise par la lanterne faiblissait et Yurlh craignit l’avoir baignée. Alors, il tira la tête en arrière, pensant ainsi lui sortir le cul de l’eau. Cela ne fit qu’empirer. La flammèche vacilla et la lumière, aussi faible qu’elle était devenue, maintenant, se battait contre les ombres grossissantes des barreaux de son réceptacle. Rien ne voulait s’améliorer et Kwo n’était toujours pas revenu. À cela s’ajoutait un petit toc toc qui venait de derrière la caisse, comme si quelqu’un frappait son doigt dessus, avec faiblesse mais insistance. Ce pouvait-il que ce soit Kwo qui lui jouait un mauvais tour ? À peine s’était-il questionné, que le toc toc prenait des allures de boum boum, résonnant dans toute la caisse, l’enjoignant de la lâcher pour s’en libérer. Alors, dans sa tête, une voix cria : Non ! Non, mon enfant.
– Moïma !! hurla Yurlh, plus fort que les coups de poing du géant qui jouait, au-dessus de lui, du tambour.
– Retiens ton souffle et libère-toi ! tentait-elle de lui ordonner de sa voix douce et maternelle.
Ses doigts se resserrèrent, tirant le filin plus fort, tournant ses poignets pour s’enlacer autour. Soudain, la tête oblongue de Kwo fit surface, accompagnée d’une profonde inspiration qui, en même temps qu’elle siphonnait l’air, avala le peu de la flammèche qui restait.
Plongé dans le noir, le crâne martelé de coups de maillet, Yurlh cracha la lanterne. Et, en même temps qu’elle roulait le long de son corps, avalée par la cale, la tête de Kwo s’effondra sur son nez. Un os craqua. Était-ce le sien ou celui de son ami ? Qu’importe ce détail, tant que Worh n’avait de cesse de faire la bamboula dans sa caboche.
– Hhhaaaaa.
L’inspiration de l’orkaim résonna tel un cri de guerre. Et, il tira les deux bras en arrière pour arracher le filin qui le liait au véhicule sous-marin. La caisse aussitôt remonta, l’inondant dans la seconde. D’un monde de ténèbres, où ses yeux et sa bouche restaient ouverts, il fut enseveli sous un autre, aquatique, où sa vie ne tenait qu’à la seule condition de garder ses paupières et ses lèvres fermées. Maintenant que le vacarme dans son crâne s’était tu, il l’entendit de nouveau, aussi clairement que si elle murmurait à son oreille.
– Ouvre les yeux, mon enfant.
Quand bien même l’eau salée lui piqua l’iris, il l’écouta. Elle était là, comme une image insaisissable, flottante entre les eaux sombres de la cale. Et derrière, la lumière illuminait.