L’eau était froide, mais cela ne représentait pas le plus grand obstacle à cette exploration. Kwo n’était pas très frileux. Et le temps passé sur le pont, en plein soleil, avait été assez long pour faire le plein de calories. Le plus grand obstacle, c’était cette angoisse qui le gagnait. Cerné par les ténèbres, obligé de retenir son air et de l’économiser le plus possible, l’angoisse prenait place dans son esprit.
Pour se rassurer, il jeta un coup d’œil en arrière. La faible lumière de la flamme se reflétait sur les parois noires et brillantes de la braie durcie, éclairant ainsi l’imposante stature de son ami barbare. Il était là, immobile, surement les dents crispées sur le bois de l’anse de la lanterne, à souffler par saccades, exprimant ainsi sa peur d’être seul.
Alors rasséréné, Kwo reprit sa plongée. D’instinct, il choisit la porte à sa droite. Ses yeux s’étaient habitués à la noirceur des cales englouties. Les faibles brillances de luminosité, maintenant, il les percevait. Chaque matière renvoyait la lumière réfléchie de la lanterne à sa manière. C’est ainsi qu’il reconnut le fer de la serrure de la porte.
Machinalement, il tira de sa chemise le passe-partout que lui avait donné Narwal. Il en existait deux à bord et lui en possédait un, ainsi que le défunt capitaine. Une seule clef ouvrait toutes les portes de la Squale, pour simplifier. La clef trouva la serrure aussi facilement que dans la vie aérienne. Kwo s’en félicita d’un sourire maîtrisé, pour ne pas laisser une bulle d’air précieuse s’échapper.
Dans son souvenir, la porte était simple à ouvrir. Malheureusement, là, elle coinçait, sûrement gênée par le bois gonflé d’eau. Elle était si difficile à ouvrir qu’il ne put qu’y passer le bras. Des réserves d’air, il en avait encore, alors il força. Et dans son effort qui n’était point couronné de succès, il croisa du regard la forme d’une caisse. Même si la pièce était noire comme une nuit sans lune, il en était convaincu : c’étaient là les outils qu’il cherchait.
Il lui restait suffisamment d’air pour tenter de l’attraper. Alors, il contorsionna son bras pour avancer sa main plus en profondeur. De doigt en doigt, il avançait par terre, gagnant peu à peu de précieux centimètres qui devaient le rapprocher de son but. Sa main finalement toucha le semblant d’une caisse. Remontant le rebord à l’aide de ses ongles, il n’était qu’à quelques centimètres de pouvoir la saisir. Mais, la porte ne voulait pas plus s’ouvrir.
Battant des pieds pour s’engouffrer plus encore, vrillant son corps comme un asticot prisonnier, il parvint finalement à avancer son épaule un peu plus à l’intérieur. Alors qu’il saisissait la caisse lourde d’être remplie d’outils, une tête blanche aux yeux exorbités et à la peau gonflée comme une outre pleine, s’interposa entre lui et son bras.
Elle prenait toute la lumière du peu que ses yeux en percevaient. Elle était terrible, flottant tel un fantôme, terrible, au point de lui soutirer d’importantes bouffées d’air. Paniqué, Kwo bougea en tous sens et s’emprisonna, se bloqua l’épaule dans la maigre ouverture de la porte. Il avait déjà consommé plus de la moitié de son air et sentait son ventre tirer sur ses côtes. La tête flottait toujours là, à le regarder de ses gros yeux gonflés, prêts à exploser. Kwo se débattait, espérant que la porte s’entrouvre un peu plus, qu’elle le libère. Bien qu’il soit coincé, il put tourner le cou pour voir son ami toujours debout, à quelques mètres de lui, indifférent à son calvaire.
– Yuuurlh ! cria-t-il dans la panique.
Mais, cette erreur lui coûta d’avaler de l’eau qui lui brûla les entrailles. Yurlh n’entendrait rien. Il resterait là à attendre qu’il se noie, telle était la loi des profondeurs.
Kwo finalement lâcha la caisse à outils et saisit ce qui devait être le bras de l’infortuné noyé. Même s’il l’invitait à partager son destin, Kwo n’était pas de cet avis et gardait encore l’espoir de se libérer. On n’oublie pas les métiers qu’on a longtemps pratiqués. Il glissa le bras de l’inconnu dans l’embrasure de la porte et tira dessus, de la façon qu’on utilise un pied-de-biche. Si la peau se déchira sous l’effort, l’os eut un meilleur résultat puisqu’il ne céda pas et débloqua la porte. Le nuage de sang libéré épaissit plus encore les limbes et obscurcit les yeux de Kwo. Malgré l’aveuglement et les très faibles réserves d’air qu’il lui restait, il termina sans réfléchir ce pourquoi il avait risqué sa vie. Et, tout en expirant le reste d’air que contenaient encore ses poumons, il remonta vers la lumière, le bras tendu de porter un lourd butin.