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Si aucun rameur attaché n’avait encore eu vent des mauvaises nouvelles, la nappe d’eau sortant des cuisines et s’étalant entre leurs pieds allait vite élever les voix. Le premier qui céda à la panique, avant même que Kaïsha ne parvienne à l’atteindre pour le faire taire, ce fut le ventripotent Kumba. Au même titre que ses tambourins, résonnant dans tout le navire, ses cordes vocales portaient fort loin quand il s’agissait d’exprimer ses craintes.

– On coule Boungalow ! Ah, je crois qu’on coule ! hurla-t-il quand ses larges pieds, aux doigts boursouflés d’être toujours bien nourri, touchèrent l’eau froide s’infiltrant sous son banc accolé aux cuisines.

Kaïsha eut beau mettre les doigts devant sa bouche pour le convaincre d’arrêter, Kumba était un musicien dans l’âme et garder le silence, quand tout son être lui commandait de sonner l’alarme, était impossible. Avant même d’arriver à sa hauteur, toutes les têtes des esclaves enchaînés s’étaient tournées vers lui et plusieurs montraient du doigt l’eau inondant les cuisines.

– Détachez-nous ! cria un homme-rat, quand Kaïsha passa devant lui.

Les voix commençaient à s’élever en tous sens et les chaînes s’entrechoquaient, démontrant que certains déjà avaient fait le choix de tenter leur chance en tirant dessus.

La femme-panthère tenta en vain de se faire entendre dans cette rafale de protestations, mais ils étaient trop nombreux, les tripes empreintes de panique. Elle ne put qu’afficher sa mine de désapprobation et attendre qu’ils se rendent à l’évidence que ni le navire ni les chaînes ne céderaient. Korshac et tout son équipage passaient assez de temps à les couvrir de peinture pour les protéger des embruns. Le métal étant trop précieux pour les laisser se faire dévorer par le sel. 

Elle s’était assise aux côtés de Kumba et lui avait mis la main sur la bouche pour le museler. Et ce fut dans cette position qu’elle regarda le Narvalo qui tentait de se faire entendre, avec un total insuccès. Quand enfin autour d’elle, les premiers esclaves s’avouèrent vaincus et se turent, elle se leva en s’assurant bien que Kumba n’allait pas recommencer à braire.

– Tais-toi… Tais-toi, gros ventre vide. C’est à moi de parler ! haussa-t-elle le ton dans sa direction.

Kumba n’était pas très courageux et la seule autorité de Kaïsha lui suffisait.

– Écoutez-moi, bande d’oiseaux affolés ! cria Kaïsha alors que les plus vaillants tiraient encore sur leurs chaînes.

Le vent de panique avait eu le bienfait de concentrer toutes les oreilles sur le pont des rameurs.

– Tirer sur vos chaînes ne fera qu’épuiser vos forces ! Elles ne céderont pas, malheureusement… Le navire ne coule pas, il prend juste l’eau.

Et à cette semi-vérité, des râles de mécontentement recommencèrent à s’élever. Kaïsha leva les bras en abattant ses mains vers le bas.

– On peut écoper et sauver le navire, s’il vous reste encore des bras et des forces.

– Ça veut dire quoi, il prend l’eau ? J’vois les cuisines inondées ! dit le ratrid.

– Ouais, qu’est-ce que ça veut dire ? ajouta une femme à quatre bras, dont deux étaient libres et tiraient sur les chaînes des deux autres emprisonnés.

– Deux jours, facile. On a au moins deux jours devant nous avant qu’il ne sombre, répondit Kaïsha en fixant du regard Narwal qui buvait son mensonge, ouvrant grand les yeux dans l’espoir que tous l’avalent avec lui.

La nouvelle était terrible. Mais après l’horrible tempête qu’ils avaient vécue, la plupart l’acceptèrent. Peut-être que d’être asservis depuis plusieurs sillons leur avait retiré toute envie de penser par eux-mêmes. Ou peut-être que l’idée de la mort était leur seul espoir de délivrance, pensait Kaïsha qui avait, par le passé, vécu leur expérience et, sans se forcer, s’était mise à leur place.

Et naturellement, lui vinrent les mots. Ces mots qu’elle devrait, plus tard, ravaler amèrement sur ce radeau qu’était devenu la Squale.

– Moi capitaine, je vous délivrerai tous de vos chaînes. Je vous l’promets, proclama la femme-panthère, sous les oreilles jalouses du Narvalo qui ne put que se taire devant l’approbation des esclaves.

– On retrouve les outils. Et toi Riblius, dit-elle en pointant du doigt le ratrid qui menait souvent les voix de la rébellion, tu seras le premier libre. Ensemble, nous écoperons l’eau de la Squale et la remettrons à flot !

– Oui donc ! sourit l’homme-rat, heureux d’avoir gagné, en quelques mots, sa liberté.

Les autres lui emboitèrent la voix dans un ouais ! commun. Toutes ces paroles n’étaient que des promesses qui dépendaient des folles inventions de Kwo. Pour les dire, Kaïsha s’était grandie en montant sur le banc de Kumba. Depuis ce piédestal, elle regardait, avec espoir, l’animal à quatre pattes que formaient les deux compères, la tête cachée sous la caisse qui disparaissait en s’enfonçant dans les cales.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

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