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– Sortez des cuisines ! gueula Narwal de sa voix de perruche, le hachoir du capitaine à la main. Si l’homme était peu impressionnant, l’arme avait une tout autre aura. Il répéta une fois, deux fois et, à la troisième, planta le hachoir sur la porte pour faire résonner le son de la lame du capitaine. Car il n’avait de hachoir que le nom. La lame était aussi longue qu’un avant-bras, s’allongeant jusqu’à la base du manche pour garder la main qui le tenait.


Des deux mains, Narwal tira sur l’arme pour la déloger du bois épais qu’elle venait de fendre aussi simplement qu’un citron. En même temps, sortait l’imposant taurus qui tentait, en vain, de cacher son butin dans son dos. Le Narvalo l’interpella.


– Pas toi, Kiarh. Non, pas toi…


Le minotaure fit une mine désolée, mais sincère.


– On a faim, Narwal. Nous faut des forces.


Kumba acquiesça. Il était assis dans la dernière rangée, le long de la paroi des cuisines et mâchait, une tranche de thon à la main, les joues déjà gonflées d’en avoir plein la bouche.


Le temps qu’il aille chercher l’arme du capitaine, tous s’étaient servis. D’abord Narwal se vouta et souffla, affligé par ce manque de lucidité.


« Qu’est-ce que le Grand Blanc aurait fait ? se mit-il à réfléchir. »


Il regarda autour de lui. Yurlh était à sa place. Il avalait ses tranches comme un morfale, sous les yeux hagards des rameurs prisonniers de leurs chaînes. Aucun n’osait lui en demander, mais certains cherchaient déjà à se défaire de leur joug.


« On court à la catastrophe… pensait toujours Narwal. »


Et, il eut une illumination.


– Mange ta tranche Kiarh, prends des forces. Tu vas en avoir besoin.


L’un des rameurs, tout près d’eux, cria alors :


– J’ai faim !


Narwal lui lança des yeux noirs. Mais, de suite, un autre enchaîna :


– J’ai faim aussi ! Où est le capitaine ? On veut manger, capitaine !


Au fil des voix qui s’élevaient, les rameurs se tournaient vers Narwal, en clamant la douleur de leur ventre vide. Sous le brouhaha, Narwal tendit le hachoir à Kiarh et lui leva le bras en l’air.


– Allez, gueule maintenant.


– Meuhah !!! hurla Kiarh vers le ciel, puis abaissa sa tête vers le Narvalo.


– C’est bien, comme ça ?


Le second acquiesça et prit la parole, maintenant que les esclaves étaient à nouveau frappés de mutisme, sous la peur du cri tonitruant du taurus. Même Yurlh s’était tourné vers son compagnon à la tête de vache et était surpris de la puissance de ses cordes vocales. Mais cela ne l’empêcha pas de mordre une nouvelle bouchée.


– Vous allez manger. Mais avant, tous ceux qui ont pris des provisions, vous allez les ramener, sinon…


Alors qu’il allait désigner le fil de la lame du hachoir encore dressé comme un mât, une voix le coupa.


– Sinon quoi ?


C’était Kwo. Il était monté sur le pont supérieur et s’était assis, contre la rambarde protégeant de tomber dans la fosse, les jambes pendantes. Narwal le fixa et pointa son doigt vers lui.


– Sinon Kiarh vous tranche la main !


À cette menace, que tous prenaient au sérieux, au point que Kumba levait ses grosses fesses pour tirer sur les tranches qu’il avait cachées dessous, Kwo mordit dans son sandwich dégoulinant d’huile.


– Et après, comment on rame sans les mains ? Parce qu’il va falloir ramer maintenant qu’on n’a plus d’mât.


Les yeux du Narvalo se noircirent de rage. Il allait répondre mais finalement reprit ce qu’il avait débuté de dire. En criant haut et fort ses ordres pour que tous les entendent :


– Kiarh récupère la nourriture que tous ont volée. Quant à moi, je prépare une soupe.


– Comment j’fais ?


Il est vrai que Kiarh avait des muscles mais parfois, il lui manquait la jugeote suffisante pour exécuter des ordres complexes. Alors, comme une leçon vaut mieux que maintes explications, Narwal s’adressa à Kumba.


– Rends-moi les tranches de thon, Kumba !


Le grassouillet Kumba les lui tendit et le Narvalo ajouta :


– Et celle-là sous ton cul, aussi.


– J’avais pas vu Narwal, pardon. Ne m’coupe pas la main, s’excusa Kumba, tout en gesticulant du bassin maladroitement pour décoller la tranche coincée dessous.


– Voilà, tu fais comme ça. Et si ça suffit pas, tu montres le hachoir…


Kiarh opina du menton et débuta le tour des rangs. Cependant, peu d’esclaves étaient libres de leur chaîne. Deux seulement avaient récupéré du poisson salé et le rendirent bien qu’entamé, mais sans rechigner. Le taurus arriva vite devant l’orkaim qui ne manquait pas d’appétit. Il avait déjà englouti plusieurs tranches, toutefois il en restait encore cinq entassées, à côté de sa cuisse.


– Rends le thon, Yurlh, annonça Kiarh sur le même ton qu’aux précédents.


Pour seule réponse, l’orkaim leva sa cuisse et la posa sur les cinq tranches empilées, les bloquant en dessous. Alors, en bon exécutant, Kiarh pointa le hachoir vers Yurlh.


– Rends-les, j’ai dit.


Depuis l’arche des cuisines, Narwal regardait la scène. Kiarh faisait plus de deux mètres de haut et avait des bras aussi larges que des cordes d’amarrage. Le hachoir lui donnait l’avantage. Le Narvalo espérait que Yurlh se soumette. Kwo, pendant ce temps, avait fait le tour pour s’assoir au-dessus de son ami.


– Rends-les ! insista le taurus, sortant de son air nonchalant habituel.


Cela changea l’attitude de l’orkaim qui semblait surpris et se pencha en arrière.


– Rends-les, Meuhah ! beugla cette fois Kiarh qui se trouvait investi par le pouvoir du hachoir, si tant est qu’il en avait un.


Yurlh semblait hésiter à cette invective. Il avait déjà le ventre presque plein, fort heureusement. Car s’il avait été encore vide, une rixe aurait déjà débuté.


– Ne lui donne pas, Yurlh, souffla Kwo.


Yurlh recula dans la rangée pour s’éloigner du menaçant taurus, tout en s’appliquant à faire glisser, sous sa cuisse, les tranches de thon salé. Mais l’une d’elles se délogea dans la manœuvre et tomba à ses pieds. Au ton qui montait, Narwal s’était rapproché. Il savait qu’ici et maintenant se jouait l’ordre sur le navire, d’où dépendrait le salut de tous.


– Prends-les, Kiarh. N’attends pas qu’il te les donne, ordonna Narwal qui sentait l’orkaim en position, non pas de faiblesse, mais de soumission.


Kiarh s’avança dans la rangée et dut poser un genou sur le banc pour se mettre à portée de la tranche tombée aux pieds de Yurlh.


– Non Yurlh. Rappelle-toi, nous sommes libres ! cria Kwo.


Il n’en fallut pas plus pour faire ressurgir les images de leur évasion des geôles de Daïkama.


L’orkaim plia sa jambe et donna un coup de pied dans le genou du taurus, qui déséquilibré, s’affaissa entre les deux bancs. Yurlh, aussitôt, s’appuya de tout son poids sur son dos et saisit le bras qui tenait l’arme. Tout en tirant en arrière, extirpant au taurus des râles de douleur, il récupéra le hachoir. Puis, il le leva comme pour trancher la main du bras de sa victime qu’il tendait vers l’arrière.


Kwo plissa les yeux, redoutant de voir encore le sang couler. Mais, c’était nécessaire s’il voulait prendre le commandement du navire. Quant au Narvalo, il vivait la scène avec horreur, sans aucune volonté d’affronter le barbare. Une fois son poing enserrant le manche du hachoir de Korshac, Yurlh ressentit cette sensation de toute puissance, qu’il avait eue en brandissant le daïka de Bomboyoyo. Il se dressa alors sur son séant et cria :


– À moi Yurlh !

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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