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Depuis son voyage à Kisadyn, les nuits d’orage réveillaient en lui les pires craintes. Ces nuits sombres, où pouvaient se mouvoir les êtres vils qui en avaient après sa personne, le faisaient tressaillir. Toute la journée, il avait redouté ce moment en regardant les nuages s’amonceler et noircir dans le ciel.


Au premier coup de tonnerre, Chèl Mosasteh ouvrit les yeux. La veille encore il se tenait en haut, dans le laboratoire, discutant avec son empereur, de choses et d’autres, lui cachant la dangereuse vérité sur la tentative d’assassinat dont il avait été l’objet. Tant que les mots ne sortiraient pas de sa bouche, l’empereur n’aurait aucune raison de s’emporter dans une vendetta contre Kisadyn.


Ils n’étaient pas nombreux à détenir la vérité à ce sujet. Le ventripotent capitaine Rulaskys était l’un d’eux. Mais il avait prouvé, par son mutisme concernant le secret de l’île de l’Expiation, qu’il ne parlerait pas. Le Saint Juste, Dreik Varagone, n’avait aucune raison d’envoyer une missive à ce sujet, sinon l’envie de déclarer une guerre. Restait Tahiriana. Mais, elle rejoignait les idéaux de son mentor et n’aurait, de toute façon, aucune envie d’aller à son encontre. Toute cette sombre histoire allait bientôt appartenir au passé, pensait le devin des Trilunes et il referma les yeux. Mais un second éclair illumina le plafond de bois de sa chambre. Il plissa les paupières jusqu’à ce que le tonnerre retentisse.


« Décidément, cette nuit ne sera pas celle où je me reposerai. »


Aussitôt, un troisième éclair transperça les rideaux, dessinant des silhouettes sur les murs et dans les coins de la chambre. Chèl Mosasteh se redressa.


– Qui-va-là ! Montrez-vous, vil gredin ! cria-t-il dans la direction où il avait cru voir quelqu’un se cacher.


Serrant fort sa robe violine contre son poitrail, il se leva. L’éclair suivant trainait à venir éclairer la chambre. Et Chèl Mosasteh longeait son lit, le gardant derrière son mollet pour ne pas tomber. Un quatrième trait de lumière fendit le rideau, lui montrant le chemin de la porte dérobée qui devait le ramener jusqu’à l’escalier de son laboratoire.


– Là-haut, je serai plus en sécurité, marmonnait le devin en avançant, tout en tenant la corde qui était enchâssée contre le mur en guise de rambarde.


Dans l’escalier, d’autres éclairs zébrèrent le ciel, cette fois éclairant parfaitement ses pas. Mais ici encore, Chèl Mosasteh voyait partout sur les murs et le dos des marches se dessiner des mains crochues armées de krys. Des krys à deux pointes, comme les crochets abjects d’un serpent. Il activa son ascension, manquant même une marche et se rattrapant de justesse à la corde.


Il entra dans le vestibule et, au moment où il refermait la porte derrière lui, il sentit comme un soulagement. Un soulagement de courte durée car un autre éclair illumina le dessous des deux portes, devant et derrière. Écoutant ce que le noir de cet endroit avait à lui dire, il entendit le souffle saccadé d’une âme qui était surement prête à l’occire.


La mort n’était qu’un passage douloureux. Il le savait mieux que quiconque. Alors, il se cramponna à sa robe et attendit que les crochets s’enfoncent dans ses vieilles chairs. Au lieu de ressentir une lame froide engourdir sa colonne, il tressaillit à nouveau sous le tonnerre qui frappa presqu’en même temps que la foudre. Son souffle se coupa et il n’entendit plus celui ou celle qui attendait dans l’ombre, prêt à le frapper.


Rassuré d’avoir confondu sa respiration avec celle d’un assassin, il ouvrit la porte du laboratoire et la referma derrière lui. À peine entré, il fut accueilli par une lumière jaillissant du dehors, suivie encore d’une violente explosion. Mais ici, dans son havre, l’orage semblait bien moins menaçant. Enfin, Chèl Mosasteh s’assit dans son fauteuil regardant par la fenêtre le ciel criblé d’éclairs lointains. Il ne faisait pas bon être en ce moment même sur l’océan. Alors, le devin des Trilunes se réjouit d’être rentré à Élinéa, juste avant la saison des orages.


Un magnifique éclair illumina la nuit, pile devant sa fenêtre, lui rappelant au passage la présence des barreaux scellés. Le vent qui soufflait à cette hauteur faisait vibrer les cadres, comme si une main les poussait pour entrer. Mais, ce n’était que le vent.


Dans le fauteuil confortable, son esprit s’apaisa et ne put s’empêcher de vagabonder dans les méandres du labyrinthe qu’il arpentait depuis de longs sillons maintenant. Ainsi, flottant, il vit les parois de chair qui ondulaient brillant du sang visqueux tombant du plafond, des pavés de crânes noircis par les flammes des braseros d’acier qui se balançaient au-dessus, tenus par des prêtres aux toges noires, arborant une flamme dorée. Et son esprit continua son long voyage jusque devant une gigantesque clepsydre en verre où les lunes qui s’écoulaient en son cœur n’avaient d’autre couleur que celle, écarlate, du sang de ses veines.


Chèl Mosasteh remua la tête, luttant quelque peu pour ne pas sombrer, plus encore, au fin fond de ce labyrinthe horrible dont il était devenu le maître. Son âme s’égara alors dans une salle blanche, comme la nacre, ornée d’un plafond de visages emprisonnés, cherchant en vain à se libérer de ce drap de pierre. Bercé, il se retourna et la vit, allongée dans le creux du tombeau. Elle était si belle dans son harnois de bronze brillant, presque comme de l’or.


– Non, non, murmura-t-il.


Mais il restait coincé dans son rêve aux étranges parfums de prémonition.


– Tahiriana, non, pas… elle, non !


Déchirant la pierre, la brisant en mille morceaux, virevoltant dans l’absolu vide de l’espace, il revint soudain sur terre. Aussi brusquement que l’on tombe d’un marchepied, il était maintenant à genoux, faisant face à une foule déchaînée, comme les eaux de la mer hurlante. Abaissant ses yeux pour bien comprendre ce à quoi il était destiné, il toucha du menton le billot de pierre blanche et immaculée. Ses mains dans son dos, attachées, ne pouvaient savoir s’il était toujours habillé de sa robe d’apparat.


Était-ce la fin de la fin ? Celle-là même qui devait mettre un terme à cette interminable histoire ?


D’un coup, sa tête fut tranchée et roula pour tomber au fin fond d’un panier. Il aurait dû sentir l’apaisement d’enterrer enfin tous ces sillons de guerre. Mais, pourquoi tremblait-il encore ? Pourquoi ses yeux étaient-ils encore en vie ? Que cherchaient-ils à voir ?

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

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