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– Trois jours qu’on rame à en mourir… râlait Kwo.


– Pas… encore… mort…, répondit Yurlh, comme s’il fallait justifier de cet état pourtant évident.


– Toi, peut-être. Mais l’autre nouveau là-bas, et ces deux-là aussi. Et derrière, c’est pour bientôt. On n’mange pas assez… pas assez, répéta par deux fois Kwo.


Mais au lieu que l’appétit naisse dans le ventre de son ami barbare, ce dernier restait indifférent, le regard accaparé par la silhouette de Kaïsha. Elle errait, comme chaque jour depuis leur départ, du pont supérieur aux cuisines.


– Toi, tu t’contentes d’amour et d’eau fraiche… pour l’instant.


Yurlh ne comprenait pas tous les mots qu’il disait.


– Amour ?


– L’amour, c’est… c’est quand on n’veut plus se séparer… quand on reste à côté de l’autre quoi qu’il arrive.


– Comme dans prisons, tous les deux ? cherchait à comprendre Yurlh.


– Oui, c’est un peu ça, mais y a autre chose… Un truc plus fort qui t’rend assez bête pour rigoler quand ta blessure se rouvre.


– Ah ah ! glapit l’orkaim la bouche grande ouverte.


Quatre rangs plus loin, l’un des nouveaux rameurs fraichement achetés à Daïkama se retourna. Il était épuisé et avant que son cœur ne lâche, il voulait savoir ce qui pouvait bien faire rire l’orkaim dans cet enfer.


– Tu sais, j’ai compris. T’es content qu’elle revienne te soigner. Hein, mon ami ? Mais, ça… va… nous coûter cher. Si Korshac l’apprend, il… te… jettera à la mer.


– Hein ? questionna Yurlh avec une grimace des plus interrogatives.


– Tu crois qu’il te laissera SA Kaïsha ? Oh que non ! Il nous balancera à la mer, une fois libéré de la galère qui nous poursuit.


Yurlh fronça les arcades de ses yeux et plissa le menton.


– Korshac… m’aime… Est content de revoir moi, énonça lentement le barbare en insistant bien sur chaque mot pour conjurer ce que venait de dire Kwo.


– Il t’a déjà jeté dans l’marais, comme les autres. Korshac n’aime que Korshac, insista Kwo.


– Non ! cria l’orkaim, malheureux d’entendre ces mots qui peu à peu prenaient des allures de vérité.


Kwo fut surpris de sa réaction. Mais quelque part, l’enfant était toujours tapi au fond du barbare. Il attendit, le temps que Narwal et Kiarh ramassent l’esclave mort et le trainent hors de la fosse. Quand il entendit le corps tombant dans l’eau, non loin de leur sabord, cela résonna étrangement avec ses dernières paroles. Kwo n’en rajouta pas. Son ami semblait maintenant perturbé. Cela le peinait même de lui avoir gâché l’idylle qu’il vivait. Il lui avait fait ressurgir des souvenirs ensevelis, presque oubliés.


La journée s’annonçait être une hécatombe. Les nouveaux rameurs, trop faibles de leur vie d’esclaves dans le marché de Daïkama, mouraient les uns après les autres. Car la cadence imposée par le capitaine ne cessait de monter, comme s’il avait Worh aux trousses. Et, en plus de devoir ramer plus vite, la mer grossissait. Les vaguelettes du matin devenaient des creux plus durs à surmonter. Au point que la salive de Kwo ne servait qu’à adoucir sa gorge asséchée par le souffle de l’effort. Heureusement, Yurlh ramait avec vigueur. Une vigueur presque nouvelle. Une vigueur qu’il puisait dans une colère naissante.


Kwo ne l’avait jamais vu ainsi, ramant les yeux tremblants, auréolés de larmes d’énervement. Heureusement, au moment du souper, Narwal était encore affairé à tirer un jeune mort et Kaïsha servit le repas. Sa seule présence eut pour vertu de l’apaiser. Quand elle s’approcha de lui, une pleine louche à la main et un sourire au visage, Yurlh tourna le cou pour la regarder et posa sa grosse main calleuse sur son ventre.


– Kaïsha a bébé ?


Aussitôt des larmes coulèrent des yeux de la panthérès, des larmes qui ne purent qu’abreuver de questions la sagefemme qu’avait été pour une nuit Kwo.


– Il va bien ton bébé… Dis-moi, il va bien ?


Mais c’était sorti trop vite. Car à peine terminait-il sa phrase que Kwo aurait préféré se taire. La réponse semblait évidente et Kaïsha d’abord accusa la souffrance que faisaient ressurgir les mots. Puis, elle tourna le dos, sa façon à elle de panser sa blessure. Tous furent envahis par un état de confusion dont aucun ne trouva la clef pour en sortir. Kwo et Yurlh, de la nuit, ne se reparlèrent pas. Et la plaie, dans le dos de l’orkaim, resta béante, sans aucune main féline pour venir la rapiécer.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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