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Toute la journée, ils avaient sauté en braillant sur le plancher de la poupe, où pour elle, en dessous, ce n’était autre que le plafond de la cabine. Au lieu de s’y lamenter, Kaïsha descendit plus bas aux cuisines et, sans en demander la permission, elle réchauffa le ragoût. Sa place, sur la Squale, n’était plus aux côtés du capitaine, en dominante. Aujourd’hui, elle se sentait plus proche de celles et ceux enchaînés. Et, en ces jours difficiles, où certains donnaient leurs dernières forces, elle voulait être à leurs côtés. Sur le visage des nouveaux, elle voyait bien que ce pourrait être leur dernier repas.


Et pourtant, elle en avait vu tellement mourir. Elle en avait tellement fouetté afin d’être sure de garder son statut auprès du maître de ce navire. Mais le jour était enfin venu d’expier. Pouvait-elle demander le pardon aux morts, auprès de ceux ici encore vivants ? Enfin elle le tentait, même si l’espoir était peut-être vain.


Priesse, le dieu des opprimés qu’elle avait prié accroupie dans sa cage d’esclave à patienter qu’on l’achète, il y a cinq sillons, lui avait souri. Mais à voir quelle maîtresse elle était devenue, son enfant, il lui avait ravi. Pour Kaïsha, c’était aussi simple que cela. Les dieux les observaient. Ce qu’ils pouvaient donner un jour, ils étaient tout aussi capables de le reprendre un autre, se disait-elle en remuant à deux mains, avec une grosse cuillère, le contenu de la marmite.


Elle avait laissé la porte entrouverte pour mieux le voir. Était-ce le fumet du délicieux ragoût de têtes de thon préparé la veille par Narwal ou juste l’envie de croiser ses yeux de panthérès qu’il recherchait ? Yurlh ne la lâchait plus des yeux chaque fois qu’elle était à portée. Seul lui parvenait encore à la faire sourire.


Et quand elle sortit pour donner les louches fumantes aux esclaves fourbus, lui gardait la tête haute et le regard droit. La fixant, jusqu’à ce qu’elle arrive, genoux contre genoux, pour lui donner la louchée, il ouvrit grand sa bouche. Et elle ne put que se sentir en sécurité auprès de ces joues gonflées et de ce large cou bardé de muscles.


Il n’avait plus peur de rien ni de personne. Esclave de sa rame, il était néanmoins devenu le maître de ce navire. À son biceps, une blessure terminait de se refermer. Elle la lui effleura. Et alors qu’il avalait goulument sa portion, elle apposa ses doigts sur la plaie dans son dos. Découvrant les contours qui déjà se déchiraient sous les efforts du forçat, Kaïsha comprit que ce soir, elle le consacrerait à refaire son ouvrage. Même s’il devait toute la journée en souffrir, Kaïsha patientait d’envie de revenir. Mais, lui ne le montrait pas. Seuls ses yeux de prédateur brulaient de la garder à ses côtés.


Tous deux attendirent qu’enfin le ciel se voile de nuages rougeoyants. Le crépuscule tomba. Et, à la lueur de la lampe à huile, attachée au mât, Kaïsha entama de le recoudre. Alors que leurs peaux vibraient au contact l’une de l’autre, qu’ils se délectaient de ses caresses entrecoupées de piqures, le capitaine donna l’ordre d’éteindre tous les feux sur la galère. Comme si, enfin, soumis à la volonté de sa belle, il donnait son assentiment.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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