Lien Facebook



En savoir plus sur cette bannière

- Taille du texte +

La mer colorée de rose, sous le soleil plongeant, apportait le calme nécessaire après l’affrontement. Kumba, ou l’homme au tambourin, avait reçu l’ordre de freiner la cadence. Commençaient les tiers, où un rameur par ramée embrassait un repos mérité. Ce fut le moment choisi par Kaïsha pour se rapprocher. Korshac ne le lui avait pas demandé, mais c’était là sa volonté. Il ne l’avait pas fait évader pour le perdre d’une blessure mal soignée.


Descendant les marches menant à la fosse aux embruns de sueur, Kaïsha portait un plateau garant de ses ustensiles de soigneuse. Plus qu’heureuse d’enfin le revoir, elle craignait néanmoins de s’en approcher. Car Narwal ne lui avait-il pas dit qu’il était mort, écrasé sous la Squale, dans le marais ? Moult légendes faisaient étrangement écho à sa préférée. Alors, comme dans l’histoire qu’elle appréciait entendre conter, avait-il changé ? Car on ne revient pas du royaume des morts sans perdre des pans entiers de son humanité. De surcroît, il ne portait plus son casque voilant la moitié de son visage, dévoilant ses yeux sombres et enivrants, qu’elle redoutait d’aussi près croiser.


Elle était pieds nus et avançait en faisant le moins de bruit possible. Mais lui, la sentit approcher. Il ralentit son mouvement de balancier. Fixant son aviron, il attendit. Hésitante mais attirée, elle posa la main sur l’épaule blessée en prenant soin d’éviter la plaie. Un soupir de soulagement profond traversa l’orkaim. Un soupir dont la chaleur devait se propager jusqu’à sa fine main de panthérès.


Personne ne dit mot, pas même Kwo qui reprit la rame, percevant qu’entre eux, un tourbillon naissait. Yurlh ne tourna pas la tête. Lui aussi vivait cet intense moment, avec toute la peur de l’inconnu qui lui nouait le ventre. Du bout des doigts qui glissaient sur son dos, contournant ses chairs meurtries, elle percevait ses tremblements intérieurs. Des tremblements qui gagnèrent les doigts de Kaïsha, sa main, son bras, pour descendre le long de son échine et envahir son corps.


La peur était grandement partagée. Mais quelle peur ? La peur d’être à ce moment sous les yeux haineux de Korshac et d’enfin libérer son courroux qui devrait tous deux les emporter dans la mort ? Ou plutôt était-ce la peur d’ouvrir la porte d’un monde inconnu ? À n’en pas douter, le revenant avait changé.


Enfin submergée par la joie d’avoir de ses doigts ressenti les sentiments qu’elle recherchait depuis si longtemps, Kaïsha sourit. Elle glissa sa main jusqu’au plateau pour attraper le linge propre. Puis, elle déboucha la bouteille d’alcool dont le parfum de poisson noir s’évada. Elle imbiba le linge, sous la lumière de la lanterne accrochée au mât, sérieuse dans ses gestes mais néanmoins perturbée par cette déferlante d’émotions. Et enfin, elle le caressa. Ce n’était pas sa paume contre sa peau, mais un linge sur ses muscles à vif.


Kaïsha connaissait la répulsion des blessés pour la brulure de l’alcool. Mais lui l’apprécia, enfin presque. Car ses muscles autour se contractaient par saccades, piqués de douleur. Par compassion, elle souffla doucement l’air le plus chaud, espérant aider à faire disparaitre ces maux qu’elle venait lui prodiguer. À ses joues, elle vit qu’il se détendait.


Le soin ne venait que de commencer. Allait suivre, tout autre supplice. Prenant dans son plateau le mouchoir blanc dans lequel elle avait piqué l’aiguille courbe du chirurgien, elle tressaillit à l’idée de la lui enfoncer dans la peau. Mais c’était plus que nécessaire. Les vingt centimètres de chairs séparées devaient être rassemblé. Pour l’occasion, elle avait choisi un joli fil blanc nacré, brillant à la lumière de la lampe. Un joli fil blanc qu’elle pourrait voir de loin sur son dos ocre-rouge, chaque jour qu’il ramerait.


Afin de lui transmettre du courage ou peut-être de lui en pomper, elle empoigna, de toute sa main, son biceps de barbare. À ce moment, il tourna la tête, pointant le menton vers ses épaules de femme-panthère. Puis, sure de son assentiment, elle le piqua. Les premiers points furent suivis d’à-coups qu’eux seuls ressentaient. Des sursauts en symbiose, que l’un et l’autre vivaient intensément, jusqu’au cœur de leur être. Cette danse intérieure d’infimes tremblements, c’était leur secret, leur bonheur naissant. Entre chaque piqure, elle soufflait, approchant ses lèvres au point presque de l’embrasser. Kwo en détournait le regard, gêné par leurs respirations montantes.


Elle piquait, lui se retenant en serrant les dents, elle en contractant les cuisses sur le banc. Puis, elle tirait le fil glissant dans le fin trou, soufflant pour accompagner la douleur d’un intime plaisir. Une danse charnelle qui dura pour tous deux une éternité. Une danse, qui arrivée à son terme, obligerait à tous deux d’attendre une éternité.


Comme dans son conte préféré, le revenant avait changé. Il avait abandonné sous le navire ses yeux d’enfant et la convoitait maintenant comme un homme.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

Vous devez vous connecter (vous enregistrer) pour laisser un commentaire.