Tout l’équipage sur le pont de la Squale était à couvert, tous sauf Korshac, debout au milieu de la poupe. Tirant sur la corde d’une arbalète légère, il toisait sa proie, impatient de s’y frotter.

– Abritez-vous, capitaine ! appelait Narwal, accroupi en dessous, contre la rambarde donnant sur la fosse, néanmoins en vue de Korshac pour transmettre les ordres aux rameurs.

– Ne sens-tu pas ce goût monter dans ton gosier ? C’est celui de la victoire, Narwal. Et quand un mets aussi savoureux se présente dans ton écuelle, il est indécent de le manger plié par terre comme un crabe. Je dirais même que c’est mauvais pour le ventre. Ça donne le pet bruyant.

– Leurs arbalétriers vont tirer. Ils sont en poste, capitaine. Venez ! insistait sincèrement Narwal.

– Une coque nous sépare de leur tir, sois-en sûr.

Il pointa une dernière fois la longue-vue à son visage, afin d’observer la sarénor, au casque orné de deux pointes horizontales qu’elle venait d’enchâsser sur sa tête.

– Tu caches ton faciès de femme vaincue, tu…

Et la porte en dessous, de sa cabine, claqua. Quelque chose lui disait que Kaïsha avait entendu ses dernières paroles et les avait prises pour elle. Le court moment de déconcentration passé, il fixa à nouveau sa cible. En vieux requin des mers qu’il était, rien ne pouvait lui échapper. Désormais, la cadence de deux bordées de rames de l’arba-galéanne n’était plus coordonnée. Ils opéraient une esquive.

– On tire sur bâbord ! gueula-t-il, en direction du Narvalo.

Tout en restant ventre à terre, le coq transmit à l’homme au tambourin, pour ajuster la manœuvre. Mais le bref moment de distraction de Kaïsha avait suffi pour sauver la petite galère impériale d’un éperonnage certain.

– Dès qu’elle s’en mêle, tout va d’travers, jura-t-il dans son bouc.

– Forcez sur vos pinces, les crabes. On n’aura pas une seconde chance de bouffer l’derrière de l’Empire ! hurla-t-il, pour être sûr d’être entendu par l’hortator lui-même.