Quitter la grille en fer forgé pour rejoindre le toit du marché fut une gymnastique des plus simples, après ce qu’ils venaient d’endurer. Mais, une fois leur corps disparu de la toile métallique, les armées en dessous reprirent l’activité de les poursuivre. Un sifflet retentit, s’élevant vers la voute. Pourtant, les deux fuyards ne se sentaient plus concernés. Les soldats étaient loin en dessous et eux dominaient le ciel.
Ici le marché révélait toute sa splendeur. Culminant à vingt mètres de haut, c’était un gigantesque vaisseau de pierre de près de cent mètres de long pour cinquante de large. La voute de fer forgé couvrait la cour intérieure d’où venaient de s’échapper Yurlh et Kwo.
Maintenant, ils marchaient sur le toit circulaire qui entourait la voute. Un toit de pierre qui était un peu moins large que les murs mais avoisinait les huit mètres. C’était bien assez pour se faire submerger, si tant est que les soldats parviennent à y accéder. Malheureusement, en l’une des extrémités, Kwo vit une petite tourelle percée d’une porte.
– Ils arriveront par là, pointa du doigt l’aomen pour prévenir l’orkaim.
S’ils se sentaient, à ce moment même, libres, ils n’étaient pas moins prisonniers, mais cette fois, c’était du toit.
– Tout ça pour… ça.
Kwo se prit la tête avec les deux mains.
– Les toits des autres maisons sont si… bas. On va passer au travers et partir en miettes.
Il énumérait les possibilités, tout en se frottant le front.
– On peut aussi sauter dans le port, dans l’eau. C’est possible. On est juste au pied. Suffit de viser entre les bateaux.
Il tentait de se convaincre lui-même de l’énormité de ses mots. Yurlh observait, sachant que jamais, il ne s’élancerait dans le vide de si haut.
– Ou bien… purée d’moules en tarte, on est encore faits comme des gobs.
Yurlh commençait à connaître les expressions de Kwo, mais celle-là était nouvelle. Pointant le pavillon blanc à aileron de requin, Kwo râla :
– Tiens. Regarde, là-bas… le bougre de Korshac… il s’en va finalement. Crapule !
Yurlh s’approcha du bord et observa la Squale qui manœuvrait pour se mettre en position de quitter le port. Et, sur le pont, d’aussi loin, il ne reconnut qu’elle. Son pelage clair, presque doré au soleil et piqué de taches noires. C’était Kaïsha. Elle était vivante. Un sourire éclaira le visage du barbare. Vivante, mais elle partait pour l’étendue bleue, le vaste océan où son cœur savait qu’il ne la reverrait jamais. Yurlh soudain paniqua, tourna sa tête dans tous les sens.
– Là drapeau ! Courir… Sauter, disait-il, voulant illuminer son ami d’une idée qui les délivrerait.
À l’extrémité du toit, donnant sur la place, les drapeaux des maisons des marchands virevoltaient au vent. Il n’en fallut pas plus à Kwo pour en tirer un plan des plus saugrenus.