Portant ses deux lourds objets, dont un seul aurait donné du fil à retordre à un humain lambda, l’orkaim avançait d’un bon pas. Fléchissant les jambes pour avoir le moins de distance à parcourir afin de se mettre à couvert, ils se rapprochaient de l’escalier qui devait les mener au second étage du marché aux esclaves de Daïkama.
Kwo, handicapé par son avant-bras gesticulant en tous sens, ne pouvait que suivre sans pouvoir aider. Il portait toutefois, avec sa main gauche, le panier de pains grillés ainsi que la pince. Même ces pains, il ne pouvait que les regarder, faute d’avoir une autre main valide pour en manger.
Au-dessus, on entendait fulminer, avec des jurons de voix aiguë, l’énorme Bomboyoyo qui suivait chacun de leurs mouvements. Devant, les marchands fuyaient leur progression, de peur de se retrouver sous une volée de flèches. Mais étrangement, depuis quelques pas, les dangereux projectiles s’étaient tus. Le silence de la peur avait recouvert toutes les bouches du marché. Seuls les ordres des soldats perçaient parfois, assurant aux fuyards qu’ils en avaient toujours après eux.
Une dernière tenture traversée, et l’escalier, permettant d’accéder au second, apparut, tel un messie devant leurs yeux. Il était éclairé par un large rayon de soleil, maintenant un peu plus haut dans le ciel. Mais avant de s’y engager, une voix miaulante, que connaissait bien l’aomen, l’attira au bord de la rambarde. Leur ancien maître et marchand d’esclaves, le ratrid à la verve inextinguible, s’évertuait à convaincre le chef des archers d’arrêter de tirer. Il lui hurlait même dessus, à la manière d’un noble à qui on aurait volé sa cassette.
– Arrêtez ! Vous allez faire des trous dans mes propriétés ! criait le ratrid.
– Tirez… mais tirez !! gueulait en retour Bomboyoyo depuis son perchoir du dessus.
Kwo comprit qu’il n’y aurait pas meilleur moment pour s’élancer dans l’escalier, car Yurlh devait laisser ici la table trop encombrante pour monter les marches.
– Maintenant Yurlh, on monte.
L’orkaim répondit à l’ordre avec la vélocité d’un lion et gravit deux à deux les marches. La bombonne blanchâtre au-dessus décida alors de s’engouffrer sur le petit pont de bois amovible qui le séparait encore du palier de l’escalier. Or, d’un pas mal assuré, le colosse au tranchant redoutable, devait subir les affres du vertige. Yurlh le repéra, comprenant, qu’entre eux deux, avait débuté une course dont le gagnant siégerait au sommet de l’escalier. L’échelle que portait encore l’orkaim, par son encombrement, lui coûtait des longueurs. Mais, Bomboyoyo avançait avec cette crainte de tomber, propre aux souffrants des hauteurs.
Sous le regard de l’aomen, qui péniblement tentait de suivre la cadence, Bomboyoyo, cahotant sur le pont de bois et de corde, usa d’une ruse infâme pour gagner quelques distances. Il agita devant lui sa lame pour que les rayons du soleil ricochant, éblouissent les yeux du barbare. Privé de son casque porté depuis son enfance, la lumière était bien là la faiblesse de l’orkaim. Et les quelques secondes qu’il prit à se frotter les yeux, le colosse au daïka les mit à profit pour se tenir, en statue, devant la dernière marche.
Yurlh hésita mais reprit sa course. Soudain, soufflant comme la mort qui respire, le daïka se mit à tournoyer autour du colosse. Au lieu d’inspirer la crainte, le barbare resta planté béat d’admiration. Cette passe d’armes était sans pareil à ce qu’il avait croisé sur les champs de bataille. Majestueuse, elle résonnait comme le chant du massacre quand il tournoyait ses bras armés de lames, les nuits de pleine lune rouge.
– On n’passera jamais… Recule Yurlh. Plus loin, y en a un autre !