Dépité de voir ainsi son avant-bras se balancer au rythme de ses pas, Kwo faillit en oublier la pince. Pince sur laquelle le marchand avait déjà mis un pied, pour la tirer derrière lui. Mais quand Kwo s’agenouilla pour la reprendre, ce dernier, en bon négociant daïkan, leva les lèvres et les yeux d’une façon agréable pour faire oublier son geste.
– Hiin ! ajouta de rage l’aomen, montrant la pince, tout en emboitant les pas de l’orkaim qui se dirigeait vers l’escalier devant les mener au second étage.
Il n’était plus question de le coller dans sa course. Car l’échelle, qu’il trimbalait sous son bras gauche, dépassait largement derrière et devant. Certes, ils avaient récupéré une échelle, mais le temps passé devant la cage du vieillard avait été profitable aux soldats pour progresser. Quand Kwo se pencha par-dessus la balustrade, pour s’enquérir des mouvements ennemis, il fut étonné de voir une unité d’archers en poste, prête à tirer. Néanmoins, ils attendaient encore un signal et, à en croire l’orientation du regard de leur chef, il devait venir de la grosse barrique du dessus.
– Écarte-toi de la rambarde, Yurlh. Des archers vont tirer ! cria Kwo.
Mais le mot rambarde ou écarter ne devait pas résonner de la même manière dans la tête de l’orkaim. La volée de flèches partit et fut aussitôt suivie d’un râle guttural. Sous les yeux de Kwo, qui s’était mis à couvert le long des cellules, une flèche se planta dans le biceps de son ami. Deux autres n’eurent pas cette chance, puisque l’hydre s’anima pour en déjouer leur pouvoir perçant. Dès lors, Yurlh se ramassa sur lui-même et copia d’instinct la cache de l’aomen.
– Comme des goumbasses dans une nasse… Ils vont faire pleuvoir des flèches jusqu’à temps que tout soit en place pour nous cueillir fraichement, désespéra Kwo.
De rage, Yurlh brisa la flèche enchâssée dans son bras, affichant un rictus exhibant ses canines. Et ce qu’avait prédit l’aomen plut à nouveau sur la zone où ils se terraient. Une seconde volée de flèches s’abattit, certaines parvenant même à traverser les barreaux contre lesquels ils s’accolaient tous deux.
– Suffit de tirer légèrement en cloche, bande de Daïkans de malheur, rumina Kwo, en fin archer qu’il avait été, se gardant bien de le crier à ses ennemis.
Mais Yurlh n’était pas de cette espèce. Se terrer ne faisait pas partie de ses gènes. Il vida ses bras de l’échelle et de son panier de pains grillés et bondit par-dessus l’aomen qui ne manqua pas de se recroqueviller plus encore. Tel un guépard chassant sa proie, il retourna auprès du marchand qui s’était mis à genoux devant sa table pour reconstituer la pyramide de cubes en bois. Quand il la tira pour la lui saisir, l’esclavagiste vit dans ses yeux toute la détermination d’un être traqué qui n’avait nulle envie de se voir ravir sa liberté. Les dizaines de cubes tombèrent au sol, certains passant au travers des lames constituant le plancher du premier étage. Et, aussi vite qu’il s’en était venu, il repartit dans la direction opposée, avec sur l’épaule, la lourde table du marchand, servant normalement aux négociations.
Pour taire les mouvements de l’orkaim, une troisième volée de flèches fut lancée, sur ordre de Bomboyoyo qui se trouvait sur le balcon juste au-dessus. Kwo avait repéré, au travers, la masse blanche de ses atours. Il baissa la tête en la recouvrant de sa seule main valide. L’autre ne faisait rien de ce qu’il lui commandait. Le son des projectiles s’enchâssant dans le bois lui glaça le sang. Néanmoins, il fut heureux de l’entendre. Yurlh, à l’ordre donné par le chef à ses archers, s’était arrêté pour se tapir derrière la large table qu’il portait dans sa longueur.
– Un bouclier, c’est ça. T’es l’meilleur, Yurlh ! lança Kwo.