Le coup fulgurant qu’il avait asséné à son ennemi, Bomboyoyo n’en était pas peu fier. Car l’orkaim avait une silhouette plus impressionnante que la sienne. Fait d’une montagne de muscles entrelacés, il l’avait vu se déplacer, tel un lion cyclopéphale, avec facilité et sans appuyer ses pas pesants sur le sol. Sa vitesse aussi l’avait surpris. Comment une telle masse pouvait-elle ainsi se mouvoir si rapidement ? Cet ennemi n’était pas à sous-estimer.
Dans l’échange qu’ils venaient d’avoir, c’est l’expérience qui l’avait sauvé d’être surpassé par l’orkaim. Il aurait pu, et cela venait de se jouer à moins d’une seconde, il aurait pu dépasser la lame et se retrouver au corps à corps avec ce monstre. Dans ses yeux, Bomboyoyo avait perçu la rage du combattant, une rage tellement intense qu’il savourait la douleur de sa blessure. Et, au corps à corps, l’orkaim aurait pris le dessus. Pire encore, il aurait pu s’emparer du daïka et faire un massacre.
Mais, le sort en avait décidé autrement. Et les deux esclaves en fuite venaient de rebrousser chemin. Pour l’instant, le lion était contenu dans la cage qu’était le marché. Il fallait s’assurer qu’il n’en sorte jamais.
– Va me siffler une unité d’archers et une autre à mettre en faction ici, ordonna, de sa voix de soprano, l’énorme Bomboyoyo.
– Et attends…, réfléchissait-il.
– Fais venir aussi des attrapeurs avec leur filet et leur bâton. Cela nous sera utile.
Pour l’instant, Bomboyoyo se cantonnait devant la porte du marché aux esclaves, seule sortie exploitable pour les deux fuyards. Il espérait que le coup porté resterait en mémoire dans le crâne du sauvage déambulant entre les étals et qu’ainsi il se refuserait à revenir l’affronter.
De toute façon, il n’était pas en mesure de le poursuivre. Chaque petit pain aux pépites de cacao s’était comme attaché à sa personne, sous la forme d’une épaisse couche de graisse. Et l’assaut du barbare lui avait rappelé à quel point l’exercice lui manquait. Son cœur battait encore de fatigue ou de stress.
Il envoya ses unités de soldats les poursuivre dans les allées du marché, avec pour consigne de les acculer, en évitant de les tuer. L’orkaim devait valoir fort cher. Le marchand ne manquerait pas de réclamer un dédommagement pour la perte de sa propriété.
Bomboyoyo les observa et reconnut qu’ils n’étaient pas assoiffés de sang. Ils laissaient vivants, sur leur passage, les marchands cachés derrière leur table. Hormis quelques vols de nourriture, ils ne causaient pas plus de dégâts que cela. Et quand ils gravirent l’escalier central, à côté de l’estrade des ventes aux enchères, il regarda le dédale de balcons, d’échelles et d’escaliers attachés aux murs du marché.
– Seul un Daïkan peut s’y retrouver dans ce labyrinthe, pensa-t-il, enserrant plus fort la garde de son arme.
D’un pas assuré, il entreprit de gravir le premier escalier sur sa gauche, avec en tête un plan échafaudé durant les longs jours passés à ruminer, sans un petit pain de pépites en bouche, dans ce marché puant.