Le marché était gigantesque et les étals multiples. Kwo courait entre eux, cherchant une autre issue que la porte principale. Yurlh l’avait suivi, tout en observant, derrière, son colossal adversaire qui ne prenait même pas la peine de courir. Ses hommes se déployaient, façon de prendre possession de chaque allée. Kwo s’arrêta vers le centre, avec en vue, l’estrade d’enchères aux esclaves. De là, il ne voyait, comme seule autre issue, que la porte le ramenant dans le corridor métallique des prisons. Bomboyoyo fit de même avec ses hommes. Il stoppa sa marche, afin de leur donner des ordres. L’un d’eux quitta la scène par la porte. Et l’on entendit, dehors, le sifflet strident de la garde retentir.
– On est fait comme des goumbasses, Yurlh ! balbutia Kwo d’un air essoufflé.
– Y a pas d’autre issue que cette porte où le gros lard au daïka est planté, ajouta-t-il en se tenant les mains sur les genoux d’avoir trop couru.
Jusqu’à maintenant, les marchands et leurs brutes ne participaient pas à la chasse. Ils les laissaient passer en se cachant pour la plupart, afin de se protéger d’un mauvais coup. Au-dessus, sur les balcons de bois surplombant le marché, les négociants d’esclaves les regardaient. C’était le grand spectacle de la journée, dans l’arène, qu’était devenu le marché.
La respiration de Yurlh reprenait de son calme. Mais elle lui faisait toujours sentir ses chairs meurtries dans son dos. Il jeta un coup d’œil à son adversaire qui trônait, en bon gros malin, dans l’encadrure intérieure de la porte principale. Un rayon de lumière, traversant la voute à ciel ouvert du marché, ricocha sur le daïka. De revoir la lame briller au soleil accentuait la douleur de sa blessure qui inflammait sa peau autour.
Pourtant, le soleil, était celui qu’il voulait rejoindre pour à nouveau être libre. Même si la pénombre des murs du marché aux esclaves était plus douce à ses yeux, le soleil était plus qu’une lumière. Il était celui qui avait éclairé, pour la première fois, le visage de Kaïsha. Sur la Squale, le jour où il avait fait ses premiers pas de marin.
– Comme des goumbasses, répéta l’aomen, tout en saisissant un pain torsadé grillé dans un panier de l’échoppe à côté.
Le petit vieux, aux rares cheveux mal coiffés, tira dessus pour ne pas se les faire voler. Kwo grogna en retour, inspirant la peur, et au passage, en prit un second qu’il tendit à son ami.
– Tiens, mange, pendant qu’on le peut encore, prononça Kwo, d’un air dépité.
Mais Yurlh ne saisit pas l’occasion de se remplir la panse, événement contraire à ses habitudes. Au lieu de cela, il regardait le ciel, visible au travers de la voute faite d’une seule grille forgée de fer.
– Mange… p’tête que ça te fera pousser des ailes, ajouta Kwo en voyant le pélican déployer les siennes, sa façon de se rééquilibrer sur son perchoir qu’était la coupole métallique.
– Là-haut… prononça simplement Yurlh, d’un air déterminé.
– Quoi, là-haut ? questionna Kwo, tout en reprenant un troisième pain dont la mie moelleuse caressait sa langue avec onctuosité, tout cela sous le regard énervé du vieillard qui n’en gagnerait pas un sou.
– Par là-haut… partir, continua l’orkaim.
Kwo observa la voute et ensuite chacun des balcons qui couraient sur les murs du marché, tel un labyrinthe d’escaliers et d’étages suspendus à la verticale.
– Par les toits, bonne idée. Allez, suis-moi !
L’aomen allait prendre son élan mais finalement s’arrêta. Il tourna la tête vers le petit vieux, montra les dents, et reprit trois pains au passage avant de se diriger, d’un bon pas, vers un escalier en face qui montait. Yurlh l’imita. Mais, il lui suffit juste de le toiser pour que le vieil homme, fatigué, tende le panier pour le voir se le faire emporter entier.
Les petits pas de course de l’aomen furent aussitôt entravés par un étal de larges colliers de cuir, qu’un marchand renversa afin de lui barrer le passage. Kwo enragea de voir, qu’en plus, ce dernier n’était autre que le ratrid qui avait volé sa sacoche. Il lui montra son poing, pour lui témoigner toute l’envie qu’il avait de le lui coller en pleine face. Or il comprit trop tard qu’il l’avait ralenti pour donner le temps à deux gardes enturbannés de blanc, de se placer en travers de leur chemin. Les deux avaient leur chimchir dégainé, des lames fines et courbes, aussi rapides que tranchantes.
Si Kwo recula de les voir se planter là, en faction, pour l’empêcher d’aller plus loin, Yurlh s’ébranla de tous ses muscles. L’orkaim plia les jambes pour se saisir de l’étal en bois, le prenant par les pieds. Il le tourna aussi aisément qu’une chaise, sa force lui permettant ce genre de prouesse. Et, tout en le faisant pivoter, il accéléra le pas pour charger.
Aucun des deux gardes n’eut le temps d’esquiver la charge surprenante, croyant que l’orkaim n’en aurait pas la force ou peut-être étant convaincu qu’à deux, ils pourraient résister. Mais, la puissance de l’assaut les renversa. L’un d’eux resta coincé sous la table et l’autre tomba à la renverse. Montant sur l’étal, craquant sous ses pieds, son poids écrasant le garde, Yurlh commençait à gravir le premier escalier. Il se retourna, s’assurant que son complice suivait. Kwo capta le regard du ratrid et lui cria en partant :
– Merci pour le bouclier… voleur !
Maintenant qu’ils avaient un but, Kwo priait Xyle pour se remémorer le chemin le plus court qui les y amènerait.