Se frottant les mains sur son ventre rebondi et distendu, Bomboyoyo appréciait fort ces matinées ensoleillées, surtout quand, entre ses dents, il mâchait une bouchée de pain chaud aux pépites de cacao.
Finalement, le blocus, ce n’était pas si mal. Cela avait eu pour conséquence de le faire sortir de cet endroit sordide qu’était le marché aux esclaves de Daïkama. Mais, le blocus imposé par les galères de l’Empire des neuf Cités Rouges, stationnant au large, laissait présager une invasion imminente.
Le rahazyr avait donc ordonné que les meilleures unités soient postées sur le front de mer, patrouillant dans le port. Les tensions perceptibles par la population et lui-même devaient ainsi en être apaisées. Que de voir circuler le costaud Bomboyoyo, à la silhouette d’ogre, rassurerait tout le monde, surtout quand brillait, au soleil, la lame de son imposant daïka, une sorte de cimeterre à deux mains, dont la technique de fabrication demeurait propre à ce royaume. Son daïka lui avait été taillé sur mesure, pour être proportionnel à sa hauteur surprenante de deux mètres quarante. Son poids non plus n’était pas en reste, il avoisinait les deux-cents kilos. Peut-être plus, car après deux lunes vertes de blocus, les viennoiseries commençaient à entourer, d’une épaisse couche molletonnée, ses muscles.
Bomboyoyo dominait le ponton de sa hauteur, à observer la baie et le soleil se lever pour venir frapper ses joues généreuses. Son teint mat en disait long sur l’agenda de ses journées, ainsi que la couleur de son turban. Le blanc était la teinte des vêtements du rahazyr et de sa garde rapprochée. Celui de Bomboyoyo portait de nombreux mouchetis et taches de chocolat fondu. En plus de sa carrure, on ne pouvait le confondre avec personne.
Posté là, à savourer son troisième pain chaud aux pépites fondantes, Bomboyoyo espérait que ce blocus n’en finisse pas. Les affaires politiques étaient pour lui des idées bien confuses qu’il n’arrivait nullement à mettre en perspective. Des affaires qui l’avaient jeté, les dernières lunes d’avant le blocus, au fin fond du marché aux esclaves. Le rahazyr montrait ainsi son profond respect pour l’azyr du quartier du port possédant le marché. C’était ponctuel mais avait la fâcheuse habitude de trainer en longueur pour Bomboyoyo qui préférait les odeurs de pétales de rose du palais à la sueur des esclaves.
Aussi, cette matinée ne devait pas en finir, pas avant d’en avoir terminé avec son panier rempli de pains au chocolat encore chauds. Il saisit le quatrième, regarda la fine feuille de pâte dorée qui s’était détachée de celle du dessous sous l’effet de la cuisson, huma l’odeur particulière qui faisait vibrer en lui toutes ses papilles et… Alors qu’il ouvrait grand la bouche pour enfourner le tiers de son pain, sonna le sifflet caractéristique de l’alarme du marché.
On ne pouvait pas se tromper. Une fois que l’un d’eux retentissait, d’autres prenaient le relais pour alerter le quartier tout entier. En plus de lui couper l’appétit, cette alarme l’obligeait à se trainer dans ce lieu dont l’odeur même le repoussait. Il reposa son pain non entamé à côté des six autres qui attendaient d’être mangés et releva ses énormes fesses du coussin qu’il avait posé sur une caisse en guise de fauteuil. Il s’assura d’avoir en bandoulière toujours son daïka, dont sa graisse ne ressentait même plus le contact, et partit d’un pas lent vers le marché dont il avait toujours la garde.