Narwal !!! criait haut et fort la voix du capitaine.
Ce dernier s’était caché dans le réduit qui lui servait de cuisine, au bout des bancs des rameurs, juste au-dessous de la cabine de Korshac. La dernière claque sur la tête lui résonnait encore dans le crâne.
« C’était mérité. C’est un imposteur, un charlatan. J’aurais dû l’voir, se répétait Narwal, marmonnant, tout en rangeant son espace de travail en vue de préparer, pour ce qui restait de l’équipage, le repas de la journée. »
NarwAL !!! La voix se rapprochait.
Narwal ferma un œil, se frotta la peau sèche entre la joue et le nez pour la faire tomber et de l’autre main, saisit un large couteau à dépecer.
– NARWAL !!!! Il était juste derrière la porte, à gueuler sur elle comme pour la faire s’ouvrir de son seul souffle.
Narwal serra fort le manche et plongea l’autre main dans un tonneau à moitié vide, à côté. Au moment même où Korshac tirait la porte en bois, la lame du couteau fendit l’air et s’abattit, de tout son poids, sur la tête du thon pour la lui détacher du corps.
– Les choses se précisent, mon ami, annonça Korshac. Pas l’temps de profiter du soleil sur le pont. Le plein d’herbe débutera demain, après la mangeaille. J’ai déjà scellé l’accord et il est plutôt juteux, héhé, termina Korshac avec un sourire montrant jusque les dents du fond.
Narwal salua la nouvelle avec soulagement. De ne pas se prendre une raclée avec la bourde qu’il avait faite, c’était inespéré. Car ces derniers temps, il était difficile de savoir sur quel pied danser.
– Déjà ! On remplit les cales et on jette les amarres ? répondit Narwal d’un ton incrédule.
– Ça n’va pas se passer tout à fait comme ça. Mais on s’tient prêt à partir au plus vite. Toi t’organises le transfert de l’herbe…
Korshac réfléchissait en humant le fumet de la soupe en préparation.
– Et côté ravitaillement ?
– Nous en reste. Faut aimer la tortue… J’ai fait l’plein à la halte de Mazkaï. Mais aujourd’hui, c’est soupe de thon. J’l’ai acheté au port, c’était donné ! accompagna Narwal d’un édenté sourire, espérant que cela effacerait sa dette de la nuit.
Korshac opina du chef, comme s’il répondait à lui-même à une question intérieure. Il jeta un œil à la bourse pendue au crochet à couteau. Narwal comprit qu’il avait des vues sur la cagnotte servant à l’achat des victuailles, surement pour se rembourser. Puis, le capitaine tourna le dos à cette faible économie qui ne recelait que quelques pérennes, à en croire le timide bombé de la bourse. Korshac leva l’index.
– Toi, tu gères l’herbe. Le marchand devrait commencer la livraison demain midi, devant l’navire. Ça n’manque pas d’bras pour travailler en ce moment. Tu l’presses, qu’il nous fasse pas le coup d’la dernière fois où on a mis une nostarée pour remplir le ventre de la Squale.
– C’était d’la faute des dockers, ajouta Narwal.
– Ouais, alors remercions l’Empire de leur avoir retiré le travail des bras, continuait à se satisfaire Korshac du plan qui prenait place peu à peu et semblait vouloir fonctionner.
Il leva le majeur, pour avoir un deuxième doigt en l’air.
– Moi, j’m’occupe du plein de rameurs. Ça sera difficile, mais j’ai ma p’tite idée.
Le capitaine anima ses deux doigts pour les faire se rencontrer.
– Ensemble, on va s’refaire et redorer le blason de ce beau navire !
Narwal accueillit les ordres avec l’espoir que cela vaudrait pour tous un nouveau départ, laissant, derrière eux, les erreurs du passé.
– J’voulais vous dire, capitaine.
Narwal allait lui raconter l’histoire des gars qui avaient fait fortune dans le marais, coïncidant étrangement avec leur passage.
– Alors, t’avais quoi sur la langue ?
Finalement, il lui tendit une bolée de soupe orangée.
– Goûtez-la-moi. Y a pas encore le poisson, mais… dit le cuistot, d’un air qui en disait long sur le fumet.
– Cinq jours, faut tout faire pour repartir dans cinq jours, dit le capitaine, tout en buvant une rasade de l’eau chaude et parfumée de curcuma.
Korshac allait quitter les appartements de Narwal, mais il se retourna.
– Y a pas, t’es p’tête pas doué pour trouver un prêtre, mais tu sais cuisiner.