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Aucun doute, c’était bien une prétorienne de Kisadyn qui sommeillait ici depuis plus de cent sillons. La forme des heaumes n’avait pour ainsi dire pas changé depuis tout ce temps. Et la croix, ressemblant à un trident aux trois lames aplaties, figurait toujours en visière. Elle avait été dorée à la feuille d’or, surement pour honorer ses faits d’armes. Sur ses genoux, à plat, le brand d’arçon des prétoriens, l’arme emblématique des chevaliers de la Vérité. Tahiriana en avait oublié que c’était un squelette qui la tenait.


Glissant sur la lame dont elle appréciait l’étrange métal épaissi de vaguelettes bleutées, son doigt toucha la main grisâtre où la peau parcheminée suivait les contours des phalanges osseuses. Un frisson la traversa, lui rappelant qu’elle seule, ici, était rattachée au fin fil de la vie. Elle retira vite son doigt de cuir, espérant n’avoir aucunement offensé sa propriétaire et prit le temps de lui adresser un dernier signe de respect.


Soudain, un vif éclat lumineux piqua le fond de sa pupille. Il provenait d’autour du cou d’un autre de ces êtres éteints. Rapprochant sa flamme et sa personne de ce second défunt, elle put admirer le bijou qui brillait, même après cent sillons de sommeil. Pour lui redonner un peu plus de vie, elle souffla dessus, le libérant de sa poussière blanche. C’était un médaillon en forme de larme. Une larme d’or, avec enchâssé en son centre, un bel éclat de diamant.


Si visiter une crypte, habitée par cinq squelettes fièrement disposés pour imiter un conciliabule, n’était pas des plus réjouissant, de découvrir une prêtresse d’Anhouryn, lui apporta un certain réconfort. C’était une prêtresse, elle en était sure. Sa chevelure tombant sur ses épaules s’était battue contre le temps pour garder les restes d’une coiffure. Une guérisseuse de vie avait donc parcouru tout ce chemin jusqu’en ces terres inhospitalières pour tomber ici. Ou peut-être était-elle morte bien avant ? Tahiriana n’en savait rien.


Le devin était resté muet quant à lui expliquer ce qu’elle allait ici découvrir. Il fallait juste vérifier que tout était en place, qu’aucun gardien n’avait été jeté hors de son siège, pour que s’asseyent, à leur place, les prêtres d’un culte interdit, voués à une messe obscure.


Après un signe de croix, ses yeux se portèrent sur un troisième, un guerrier vêtu d’un harnois d’acier. Il en était tant couvert, du bout des doigts et des pieds jusqu’à la tête, que Tahiriana hésitait même à penser, qu’à l’intérieur, pouvaient se trouver les restes d’un prêtre. Sur le heaume, les spalières, les genouillères, les brassards, et même jusque dans les paumes de ses gantelets, était embouti, en relief, l’œil grand ouvert du culte de Chalhangar. Assurément, celui-ci était bien un gardien, car tel était le nom qu’on donnait aux membres de cette croyance, encore aujourd’hui respectée de tous. Derrière, reposant sur le dossier de son trône blanc-nacré, un grand marteau d’arme complétait la panoplie des gardiens de Chalhangar. Tahiriana fit en respect, avec sa main, le signe de la croix zébrée de trois traits verticaux dans le vide, avant de passer en revue le quatrième.


Quant à lui, cela ne faisait aucun doute, son appartenance au culte de Tulham s’affichait en une flamme vive d’or sur un tabar noir au demeurant. Tahiriana la connaissait en bleu et or, mais le fond noir lui était inconnu. Peut-être faisait-il partie des flammes noires de Tulham, une branche ancestrale aujourd’hui éteinte au dire du culte. Il portait, en travers de ses genoux, une arme faite d’un manche de bois et d’une chaîne avec, en son bout, une boule hérissée de petites pointes, mais aussi percées de nombreux trous. Une charnière, sur le côté, donnait la possibilité de l’ouvrir. Tahiriana sourit quant à croire que c’était une arme. Elle remua la tête en guise de négation comprenant qu’elle ne regardait qu’un encensoir aux allures guerrières. Pour la quatrième fois, elle agita ses mains dans le vide pour se signer devant lui.


Enfin, elle se tourna vers la cinquième et dernière sentinelle immortelle. De loin, elle était la plus inquiétante. Et ce n’était pas un hasard si elle avait choisi de la dévisager en dernier. Car de squelette, elle n’en semblait pas un. Sa peau sur les os paraissait plus claire que celle des autres. Sa mâchoire ouverte, toujours ornée de dents couvertes d’or, entourait le trou sinistre de sa bouche où une langue séchée restait encore discernable. Et ses yeux, car elle avait encore des yeux, devant la flamme du cierge, se révélèrent être des yeux de verre. Mais un crâne avec un regard, cela lui glaçait le sang. Tahiriana s’en détourna un instant afin de reprendre son calme.


La dépouille portait une armure de cuir noir, comme le jais, s’arrêtant aux épaules et à la moitié des cuisses. Sur les bras et les jambes découvertes, des boursoufflures de peau marquaient d’anciennes cicatrices faites de son vivant, en hommage à sa déesse. Cybès, la déesse de la mort, sans doute en était-ce une prêtresse. Curieuse de pouvoir en voir une de si près, elle se rasséréna pour se rapprocher d’elle. Elle voulait pouvoir observer, en vrai, le symbole. Mais, il était recouvert de poussière blanche tombée sur elle depuis le plafond effrité.


Lentement, elle approcha sa main de la poitrine enfoncée du squelette desséché. Et, avec précaution, elle fit doucement tomber la poussière, libérant peu à peu le symbole en fer forgé, enroulé de lanières dans le cuir du plastron. Il couvrait toute la poitrine, le plexus, jusqu’au bas des abdominaux. Il représentait un crâne, mais pas celui d’un humain, ni même celui d’un aomen ou d’un taurus. Non, c’était le crâne d’un être cornu à la tête serpentiforme, presque démoniaque. Il avait la gueule grande ouverte pour faire profiter à tous de ses longs crocs. Et ses yeux, enchâssés de rubis, lui donnaient un regard de braise. C’était là le crâne d’un imark. Les plus impressionnants dragons que le monde des Trilunes eut jamais portés avant l’avènement de l’homme.


Sa représentation, même en acier, fascina Tahiriana. Rien que pour cette découverte, le voyage valait toutes les peurs subies jusqu’ici. Et, à ce moment, elle aurait pu remercier Chèl Mosasteh de lui avoir confié cette mission. Aussi, lui revint en tête de terminer ce qu’elle était, ici, venue faire. Elle inspecta le fond du bénitier géant. Rien ni personne n’y avait été déposé. La poussière sur tous les pourtours était gage que le lieu était resté inviolé.


Alors qu’elle reprenait le chemin du retour, elle se souvint avoir omis de se signer en respect devant la prêtresse de la mort. Dos à la prétorienne, qui toujours reposait sans souffler mot, Tahiriana leva la main afin de réaliser, pour la cinquième fois, le signe de prière de Kisadyn. Cette fois, c’était en regardant, avec le plus grand respect, la prêtresse de Cybès. Même si pour elle, elle n’avait pas sa place auprès des autres cultes, elle était pourtant là. Et quand elle termina de fendre l’air de ses doigts, déshabillés de leur gant cette fois, la tête de la prêtresse aux yeux de verre bougea.


Quelle ne fut pas sa surprise ! Tahiriana recula d’effroi, s’empêtrant du coup dans les grèves de la prétorienne assise. Tentant de maîtriser son équilibre mis à rude épreuve par le croche-patte de sa consœur morte, Tahiriana trébucha. Elle finit par s’affaler de tout son poids, dos contre le mur, frappant, avec son plastron, la pierre. Le choc étonnamment résonna, faisant tomber à plusieurs endroits des filets de poussière. Son cierge roula sur le sol, échappé de sa main qu’elle avait ouverte grande pour se rattraper.


Dans la lumière à demi éteinte, Tahiriana gardait les yeux rivés sur la prêtresse, attendant qu’elle s’anime. La tête fit un signe, encore une fois, mais juste pour se détacher de son corps et rebondir à plusieurs reprises sur la pierre nacrée. Sous l’impact, l’un des yeux de verre sortit de son orbite et roula comme une bille, affrontant toutes les aspérités formées par les têtes sculptées du plancher. Il finit sa course non loin du cierge, à se balancer, léché par la flamme.


Pendant un moment, Tahiriana le regarda ses yeux grands ouverts, priant pour qu’il termine son va-et-vient incessant à l’intérieur du creux dans lequel il était piégé. Il s’approchait de la flamme puis reculait, sans vouloir s’arrêter. Écoutant son cœur battre à tout rompre, elle sourit d’avoir eu si peur. Pour affronter des vivants, elle était prête, mais des morts, peut-être pas encore.


Alors qu’elle allait se relever, elle remarqua que la flamme du cierge faisait d’étranges étirements en direction du mur, comme s’il voulait l’aspirer. Cela l’intrigua. Alors, elle l’en approcha. Et à son grand étonnement, la petite flamme semblait vouloir passer à l’intérieur, par la commissure du mur et du plancher, qui ne paraissaient pourtant ne faire qu’un. Mais c’était là une belle illusion d’optique. Et ce qu’avait révélé le crâne de la prêtresse de la mort, aidé du pied squelettique de la prétorienne de la vérité, n’était autre qu’un passage secret.

Note de fin de chapitre:

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