L’inspection de la tapisserie n’était pas sans intérêt. Mais Tahiriana y cherchait l’étrier à la pierre de rubis sur laquelle elle appuya. Derrière, un morceau du mur s’enfonça, sous le poids de la main de la prétorienne en armure. Elle entendit alors un cliquetis au niveau du cavalier et souleva l’angle de la tenture. Un passage s’était ouvert dans le mur. Un passage qui, selon Chèl Mosasteh, était resté fermé depuis le début de sa construction. Mais de ça, Tahiriana était ici pour en juger.
La flamme allongée du cierge révélait un escalier peu large, bâti dans l’épaisseur même du mur de la tour. Ses petites marches étroites en pierre descendaient profondément dans un sous-sol à l’atmosphère agréablement fraiche. Trop étroites, d’ailleurs, pour qu’elle s’y risque avec ses solerets. Sa première tentative fut très vite avortée, contrainte de remonter pour les enlever.
Tout en tirant sur les courroies de cuir, elle se souvint de cette conversation, comme si elle avait eu lieu ici même. Celle où Chèl Mosasteh soulignait, d’un trait d’esprit, que dans ce lieu, où seuls les saints reposent, d’armure, vous n’en aurez point besoin. C’était évident. L’escalier n’était pas fait pour être emprunté par un chevalier. Elle décida alors d’enlever ses brassards, jusqu’aux spalières, réduisant fortement la largeur de ses épaules. Ainsi, il lui serait plus simple de s’engager dans ce corridor dérobé dont elle ne connaissait même pas la profondeur.
Alors qu’elle avait aussi retiré ses grèves et ses cuissots, des tibias jusqu’aux cuisses, elle tirait sur la première sangle qui devait la délivrer de son plastron. Mais, le récent souvenir de la noirceur du secret passage la convainquit de le garder. Elle frappa de ses deux gants de cuir dessus, manière de s’encourager par sa dureté, et se releva. Les chausses de mailles aux semelles de cuir tressé, plus souples, permettaient une descente en sécurité et de cela elle en fut assurée dès les premières marches.
La pierre sur les côtés était celle, ocre-rouge, de la tour, mais elle changea au bout d’une dizaine de mètres de profondeur en une pierre blanche aux reflets de nacre. C’était là la limite indiquant qu’elle pénétrait dans le saint sépulcre, comme l’avait indiqué Chèl Mosasteh. Quel drôle de nom, saint sépulcre ! avait-elle rétorqué. Car si, selon ses dires, c’était ici que devait se réveiller un être maléfique, de lieu saint, ça n’en était pas un.
Elle descendait toujours les marches, en restant concentrée sur ses pas, craignant la chute dans cet escalier qui semblait s’enfoncer jusqu’au centre de la Terre. Elle finit par voir la voute blanche s’arrondir, annonçant la fin de son périple. Se retournant sur ses pas, en espérant apercevoir la lumière d’en haut, elle n’observa que les ténèbres. Elle était définitivement seule à découvrir la chambre de la renaissance et cela ne lui inspirait que de la peur.
L’escalier devint plat. Tahiriana marchait sur la pierre blanche, soulevant de petits nuages de poussière. Lentement, elle avançait dans le silence, priant qu’aucune créature ne se terrait ici-bas. N’ayez crainte, vous serez heureuse même de découvrir l’un de vos ancêtres, avait ajouté le devin, suivi d’un sourire qui en disait long sur l’étendue de ce qu’il savait. Si cet être, vieux et dégarni, avait eu le cran de le visiter, pourquoi pas elle, tenta de se rassurer la prétorienne en serrant plus fermement le cierge dans sa main.
Le couloir obliqua à angle droit et ses murs blancs, peu à peu, se parsemèrent d’ombres inquiétantes. Ils étaient toujours lisses, mais on aurait dit que, derrière, des têtes sculptées cherchaient à sortir. En effet, au fur et à mesure de son avancée, les visages se faisaient plus présents et affichaient des rictus de souffrance ; comme s’ils étouffaient d’être ainsi incrustés dans la pierre. Au bout de quelques mètres, un nez était creusé, puis un autre, une joue, un menton, et encore un autre. Au-dessus, deux fronts. Les têtes se multipliaient et couvraient désormais l’ensemble de la surface des murs. Cette atmosphère, plus qu’oppressante, l’enjoignait d’interrompre ses pas. Elle déglutit, tout en les regardant de près avec la lumière de la flamme. Quel être torturé avait donc commandé pareille décoration ? C’était digne d’un fou !
Puis, ses yeux se portèrent sur ses pieds qui sentaient que le plat n’était plus. Même au sol, les sculptures sortaient pour couvrir le plancher de visages en souffrance. Tahiriana décida de ne regarder qu’en face d’elle et de ne plus se laisser distraire par l’horrible tapisserie de pierre. L’épreuve ne faisait que débuter. Et ce que ses yeux ne regardaient plus, ses pieds, aux semelles souples, en devinaient les formes. Des formes infernales, plus saillantes à chaque pas, la faisant regretter d’avoir abandonné ses solerets de bronze.
Enfin, une arche formée de têtes, qui jamais ne parviendraient à s’en échapper, donnait sur une salle de taille modeste. Ici aussi, le sol, les murs et le plafond étaient entièrement couverts de visages, exprimant pour certains le plaisir, mais pour la plupart la douleur. Le blanc omniprésent aurait donné à cette pièce un côté reposant, s’il n’y avait eu tous ces regards de pierre.
Au centre, sortait du plancher, comme un chou, une sorte de bénitier de la taille d’une baignoire. Il avait la forme d’un œuf et était entouré de cinq trônes, eux aussi sculptés dans la même pierre blanche et nacrée. Aussi bien que peuvent être assis depuis des sillons des squelettes, cinq, encore vêtus d’apparats propres à leur culte siégeaient sur chacun des fauteuils. Et, c’est vers celui qui portait une armure au heaume marqué de la croix de Kisadyn qu’elle se rapprocha en premier. Même si elle n’était pas venue jusqu’ici retrouver un frère, ou peut-être une sœur, à en croire les longs cheveux en filasse blanche qui dépassaient de son heaume, d’être à ses côtés, l’apaisait. Non, ce n’était pas pour venir prier à ses côtés qu’elle était ici, mais plutôt pour s’assurer que nul n’avait profané cette étrange crypte où seuls des gardiens veillaient en silence sur un sépulcre vide.