Tapant de sa petite canne de bois noir, le haut chambellan traversait péniblement la cour, en prenant bien soin de rester à l’ombre, sous la galerie de pierre. Il mit un temps insupportablement long pour enfin arriver à portée de voix. Et ce fut par ces quelques mots qu’il se présenta :
– Vous allez cuire à rester en plein soleil.
Une phrase qui aurait pu sortir de la bouche du devin lui-même. À croire que les vieilles personnes se plaisaient à donner des leçons. Tahiriana démontra son impatience en soufflant, tout en avançant vers le vieillard. Mais, le voyant peiner de juste tenir un trousseau de grosses clefs en fer, sa compassion naturelle refit surface.
– L’ombre a de plus la vertu de mieux disposer les gens en les rendant plus aimables, ajouta-t-il, à demi essoufflé.
Tahiriana sourit à cette réflexion. Et elle approcha pour lui apporter, en aide, son bras. De ses vieux yeux aux paupières toutes plissées, il la remercia, tout en attrapant son avant-bras après avoir glissé le trousseau de clefs dans le sien.
– Alors, vous avez dans l’idée de visiter le cimetière… continua le vieil homme dont elle ne connaissait même pas le nom.
Mais, sa phrase était suffisamment surprenante pour éluder toutes présentations et Tahiriana enchaîna.
– Un cimetière ? Non ! J’ai demandé à accéder à la coupole des Trilunes.
– Héhé… ricana le haut chambellan, tout en soulevant une large clef dont l’anneau de fer plein était ciselé de trois têtes de mort hurlant d’avoir leur front fusionné.
– Quelle tour étrange, alors, puisque ses propriétaires ont souhaité que leur clef soit ainsi ouvragée, continua le vieil homme.
La remarque avait de quoi questionner. Car jusqu’à maintenant, le devin lui avait à chaque fois souligné que tout se devait d’être fait dans le plus grand secret. Versée dans ses pensées, ils arrivèrent bras dessus, bras dessous devant une haute porte gardée par deux soldats. Sur un geste du haut chambellan, mais sans un mot, l’un d’eux débuta de l’ouvrir.
Derrière, elle découvrit un corridor bâti. Le plancher était de bois et révélait, selon elle, un pont-levis dont elle ne tarda pas à voir les chaînes de relevage. Cela menait à une arche de pierre, fendue d’une herse cachée dans son recoin sombre, ne laissant voir que les pointes brillantes de ses extrémités. Là encore, une autre porte au bois pétrifié, tant il était ancien, fermait l’accès. Et le vieil homme tendit une clef, elle aussi gravée d’un crâne, cette fois solitaire. Enfin, cette dernière s’ouvrit sur un jardin circulaire, entouré de hauts murs. Et en son centre, s’élevait l’impressionnante tour, au sommet de laquelle scintillait, sous le soleil, la coupole des Trilunes.
– Rien à voir avec un cimetière. Je ne vois ici aucune tombe, reprit enfin de parler Tahiriana qui s’était retenue, craignant de découvrir un lieu macabre.
– C’est parce qu’elles ont toutes été déconstruites, pour en rebâtir une plus grande, plus haute, plus majestueuse… ne cessait d’insister le vieillard qui semblait aujourd’hui heureux de délier sa langue devant une étrangère de l’Empire.
Sans doute parlait-il de la coupole des Trilunes. Mais pourquoi lui raconter toutes ces sornettes ? Prenait-il un malin plaisir à tenter de lui faire peur ? Tahiriana le regarda de côté et hésita à fouler l’herbe haute du jardin non entretenu depuis plusieurs lunes.
– Assez d’histoires. Venez m’ouvrir la porte de la tour. J’ai encore beaucoup à faire ! protesta la prétorienne qui tentait de reprendre du courage en élevant le ton.
Seuls eux deux semblaient être en droit de marcher dans le jardin, ou alors, les gardes derrière préféraient rester à l’écart de cet endroit décrit, par l’ancien, comme malsain. Elle les regarda en s’éloignant, cherchant, dans l’expression de leur visage, à décrypter leurs peurs.
Une fois traversé, le haut chambellan inséra, en tremblant, la grosse clef à l’anneau si étrangement ciselé. Puis, redoutant quelques maléfices, il tourna sans trop insister.
– Encore et encore, elle fonctionne à merveille. Ni le temps ni la rouille ne l’entrave, comme si elle voulait rester toujours ouverte, pesta le vieil homme contre la serrure.
– Vous y voilà. La crypte est à vous, madame. Veuillez maintenant me laisser retourner à l’extérieur de cette cour maudite.
Mais, avant de le laisser partir, elle l’empoigna sans trop de force par le bras, espérant une phrase réconfortante. Le vieillard d’abord observa sa main, puis leva les yeux jusqu’aux siens.
– Regardez mon âge vénérable, prétorienne. J’ai vu ce que j’ai vu. D’un champ de tombes, ils ont bâti cette tour. Et personne ne me fera croire que ces trois crânes sont la représentation ancienne des trois lunes vénérées par… ce devin.
Tahiriana resta pantoise devant cet aveu, fronçant les sourcils de lire, en lui, la vérité.