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– Quoi ? Deux pérennes et quatre loches, juste pour une fièvre ! cria de surprise Narwal en brandissant son poing refermant les cinq dernières loches qui lui restaient.


Sa voix se répercutait sur les murs blancs de la Basilique du Soleil, résonnant dans toute la nef de l’édifice, dédié à la déesse Anhouryn. La petite prêtresse, à la peau tannée et épaisse, l’observait d’un regard presque désolé.


– Les onguents ne sont pas donnés et mes bras ne serviront pas dans nos cultures si je soigne votre amie, tenta-t-elle d’articuler dans la langue de Narwal qu’elle maîtrisait mal.


Il est vrai que cela ne valait même pas le prix d’un demi-saucisson. Malheureusement, Narwal se trouvait dans une impasse qui risquait de lui coûter fort cher. Comment allait-il expliquer au capitaine Korshac qu’il avait tété tout l’argent dans la nuit aux pis d’une taverne daïkane ?


Le voyant déconfit, et voulant qu’il cesse de gêner ses sœurs et ses frères dans la prière au soleil levant, elle s’approcha et lui prit lentement l’autre main.


– Juste en face, vous trouverez une petite chapelle de la Main-Ouverte. Ils prodiguent des soins à moindre coût, dit-elle d’une voix rassurante.


Narwal en fut presque gêné, tant il avait que trop rarement de contacts avec des femmes. Ses beaux yeux marron lui apparurent de suite plus brillants. Comprenant qu’il était perturbé, elle dut lui répéter une seconde fois ce qu’elle venait de lui dire. Narwal esquissa un grand sourire qui n’était pas pour le mettre en valeur, avec le vide sombre que formaient ses dents disparues.


– En face... J’y vais de suite... merci, lui répondit-il, troublé, en passant de ses yeux à la larme de cristal, cerclée de cuivre, qui pendait au bout de son collier de tissu tressé.


Il fallait sortir de la basilique car la chaleur lui était montée à la tête un peu trop vite pour la maîtriser. En effet, juste en face, au-dessus d’une porte d’un bâtiment qui avait dû être autrefois une bâtisse quelconque, trônait la Main-Ouverte. Le symbole était peint sur un panneau de bois et avait souffert des rayons du soleil, estompant ses couleurs. Narwal se remettait encore de ses émotions. Trop timide pour se retourner, voir si d’aventure elle était encore à l’observer, il se concentra sur la mission.


« Elle aurait déjà dû être remplie depuis hier, cette mission, se flagella-t-il en pensées. »


Devant l’entrée, un cul-de-jatte faisait l’aumône. Narwal observa un instant ses cinq loches et pria Xyle. Étreignant l’espoir que cela soit suffisant, il s’élança.


À l’intérieur, tout était sobre, propre et étrangement lumineux en comparaison de la façade terne et en tous points désuète. Il était clair que ce culte n’était pas aussi riche et puissant que celui d’Anhouryn. En effet, la croyance de la Main-Ouverte datait depuis moins d’une vie d’homme. Les adeptes n’avaient pas eu le temps d’ériger partout leurs propres temples. Aussi, ils achetaient des bâtiments vétustes et les transformaient, à l’aide de tentures et de panneaux habilement peints, en lieu de culte. La première chapelle qu’il avait vue s’ériger, c’était à Ildebée, se souvenait Narwal. Le culte s’était peu à peu étendu, au fil des épidémies qu’il se glorifiait de savoir combattre. Les guerres de conquête et plus tard les guerres fratricides leur avaient sans aucun doute, été bénéfiques.


Ici, dans le pays daïkan, le culte de la Main-Ouverte n’avait pas rassemblé autant d’adeptes qu’en les terres des Cités Rouges, surement par manque de conflit. À Ildebée, la chapelle était devenue, au fil des sillons, un impressionnant temple doté de cinq tours rassemblées autour d’un dôme, comme les cinq doigts de la main relevés, entourant la paume. Rien à voir avec cette bâtisse qui avait l’allure d’une ancienne fabrique de tissus.


Personne n’était là pour l’accueillir. Au fond de la salle commune et rectangulaire, marmonnait une personne qui devait être un homme, à entendre sa voix grave. D’abord, d’un pas sûr, Narwal avança, mais les mots incompréhensibles que le prêtre prononçait à lui-même eurent pour étrange effet de casser son élan. Il était maintenant derrière les épaules du prêcheur et n’osait l’interrompre. Ce ne fut qu’après un long moment de silence que Narwal eut assez de courage pour avancer la main dans le but de le sortir de sa prière. Mais alors qu’il était prêt à le toucher, ce dernier se retourna lentement, obligeant le Narvalo à se rétracter.


Ses cheveux noirs se confondaient avec sa robe sombre d’aspect. Narwal, qui n’était pas le plus beau des hommes, loin de là, eut un mal fou à retenir un rictus de dégoût. Cet humain avait dû vaincre une maladie qui lui avait rongé les joues et le reste du visage, épargnant le contour de ses yeux. Malheureusement, sur les deux, il ne lui en restait plus qu’un, assez beau, d’un marron piqué d’or. Le globe de l’autre restait horriblement vide et semblait le regarder du blanc de la mort.


Timidement, Narwal ouvrit sa main pleine des cinq pièces, les lui montrant, sans préciser d’abord pourquoi. Le prêtre qui avait l’habitude du dégoût de ses interlocuteurs exprima l’interrogation devant les pièces que le cuisinier lui tendait.


À cela, Narwal répondit :


– C’est pour un soin. Pour soigner une...


– Quel genre de soin souhaitez-vous que je vous prodigue, monsieur ? tout en se révélant parler dans un parfait élinéen.


L’homme était de simple stature, mais jouait de son charisme pour paraitre plus grand.


– C’est pour une amie, là-bas au port. Elle a de la fièvre, ajouta le Narvalo, d’une façon mal assurée.


– Bien voilà, une fièvre. Il fallait commencer par cela, conclut le prêtre au visage disgracieux.


Il s’empressa de ramasser, dans la main même de son visiteur, les cinq piécettes. À croire qu’il devait manquer de travail, se disait Narwal, rassuré qu’il accepte pour cinq pauvres loches de soigner Kaïsha.


– Les maladies, ça me connaît. Vous êtes venu frapper à la bonne porte, mon ami, continua le prêtre qui se déplaçait vers un coffre en fond de salle.


Surtout Narwal s’abstint de lui dire qu’il se trouvait ici pour une question purement pécuniaire. À peine le prêtre avait-il sorti une cassette en bois, avec sur le dessus une poignée de fer, qu’il prit le chemin de la sortie. Narwal, quelque peu décontenancé d’avoir réussi sa mission si rapidement, le regarda dans l’embrasure de la porte sans le suivre. Le prêtre se retourna et d’un ton assuré, lança :


– Allons, il faut y aller sans plus attendre, mon ami. Une fièvre, ça se répand comme la peste si on ne l’endigue pas de suite !

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

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