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Le palais écarlate d’Élinéa, tel était le nom dont il avait été baptisé par le Magnus Kéol, était depuis son avènement toujours en construction. Même s’il y mettait énormément de moyens, et si l’or n’avait pour Khalaman pas de limite, ses rêves d’enfant restaient encore inassouvis. Sa mémoire était bercée par les châteaux des riches marchands de Culsha. Et, ce que ses yeux d’enfant avaient vu, ses yeux de demi-dieu voulaient en être ici émerveillés.


C’est pourquoi, à chaque retour d’un voyage diplomatique, sa demeure grandissait, ajoutant à son œuvre une nouvelle aile, une autre tour ou encore un jardin suspendu. La récente visite auprès du rahazyr de Daïkama, visant à annoncer la paix et le retour aux joies du commerce, s’était malheureusement ombragée à la vue de la magnifique coupole couverte de feuilles d’or. Et ce qui était, à première vue, une traversée pour resserrer les liens d’amitié, n’avait qu’accentué le sentiment d’infériorité de l’empereur vis-à-vis du roi daïkan. La jalousie, tare dont l’empereur était, pour le malheur des autres, doté, s’était exacerbée devant les mille feux de la coupole.


Aussi, depuis le pont des astres, reliant la cour haute à la tour céleste, Khalaman prenait une pause en observant les fondations et toutes les petites mains travaillant à faire sortir de terre sa nouvelle obsession. Sa démesure, si elle satisfaisait, en de rares moments, son amour-propre, commençait sérieusement à lui chauffer la plante des pieds. Car au fil des sillons, le palais écarlate avait fort grandi, éloignant, un peu plus, chacune de ces splendides bâtisses. 


Puis, l’activité inhabituelle sur le pont et au bas de l’escalier de la tour céleste piqua son intérêt. En effet, des serviteurs et servantes y montaient des chaises, des chevets, un matelas, un grand lit et beaucoup d’autres meubles au préalable défaits de leurs chevilles. Un de ses sujets emménageait surement ailleurs ou dans une pièce nouvellement commandée.


La tour des comptes, restant encore éloignée d’au moins cent marches et de pas moins du double de pas pour traverser le jardin carré, Khalaman prit fin de se distraire. Finalement, l’empereur sourit de cette course pour retrouver celui qui avait donné vie à ses rêves les plus fous et repartit d’un bon pas sans même répondre au salut d’un torénor croisant son chemin.


Devant lui, les portes s’ouvraient, sans qu’il ait à les pousser. Le millier de gens employés entre autres à les ouvrir se devait d’anticiper la direction des pas du maître absolu de tout l’Empire. Celle de l’étroite salle dans laquelle s’était enterré son médecin ne fit pas exception. Un serviteur était là pour la pousser tout en annonçant à celui qui gratouillait encore sa plume sur un papyrus, la venue du Magnus Kéol, empereur des neuf Cités Rouges.


– Leik Var. Enfin, vous voilà ! souffla l’empereur, soulagé que son médecin se trouvât bien en lieu et place, où il se devait d’être.


L’homme qui tenait sa plume, d’une main couverte d’un gant blanc, releva aussitôt les yeux et ne termina point le nombre qu’il grattait dans un livre épais. La page en était couverte de haut en bas et de long en large. L’empereur fronça les yeux, comprenant qu’il venait d’interrompre un calcul. Et quand bien même il se savait au-dessus de tout, il respectait les gens de savoir.


– Terminez d’écrire votre nombre. À en voir votre noire feuille de chiffres, il n’a pas été simple à calculer.


L’homme au visage émacié se réjouit de cette clémence et reprit en main sa plume. Sans mot dire, il inscrivit, en colonne, le nombre qu’il avait en mémoire et couvrit sa face d’un sourire pour remercier son maître.


– Je suis à vous, annonça-t-il, soulagé de ne pas avoir perdu le long calcul qui lui avait coûté.


Car Leik Var, même s’il avait réclamé ce poste, semblable à celui d’un comptable, n’était pas un homme de chiffres. Il savait calculer, mais cela ne le passionnait pas pour autant.


– Alors, le troisième étage de la tour des comptes vous sied-il ?


Les yeux vairons de l’ancien médecin semblaient, à cette question, tournoyer comme s’ils ne savaient plus où donner de la tête.


– Oui, mon empereur… à merveille ! tenta de feindre avec entrain Leik Var qui ne croyait pas un seul mot de ce qu’il répondait.


Le Magnus Kéol, qui n’avait pas mis les pieds à cet étage depuis des lustres, sillonna du regard les nombreux papiers entassés en piles, les unes supportant le poids des autres. Il émit une grimace qui en disait long sur l’étendue de la tâche que devait relever son ancien médecin.


– Kukuss n’était pas très ordonné, semble-t-il ? ajouta-t-il, tout en continuant d’admirer le capharnaüm dans lequel Leik Var s’était fourré.


La remarque soulagea un peu le poids du travail qu’il avait sur les épaules.


– Je crois qu’il passait plus de temps à jouer qu’à compter, sourit Leik Var, en déplaçant un jeu de plaks caché derrière la pile de papiers encombrant son bureau.


– Mes journées consistent à transcrire ces comptes, à la feuille volante, dans des livres que j’enverrai ensuite au kurskor Eich Naar. Cela évitera les pertes et les mauvais calculs. Dans mon malheur, la flemme de Kukuss lui avait simplement fait entasser chaque feuille du jour sur la précédente, au fil de leur arrivée. Il m’est donc plus simple d’être fidèle à l’historique.


– De quoi est-il mort déjà ? questionna le Magnus Kéol.


Leik Var hésita, mais finalement se prit au jeu de faire sourire son empereur.


– De la paresse d’aller jusqu’aux latrines. Il était constipé comme un crocodile.


– Haha ! émit l’empereur. Je ne me souviens même plus l’avoir nommé celui-là. Il était un reliquat de l’ancienne et sénile administration, souligna l’empereur, comprenant par sa seule observation, l’étendue des dégâts causés par la paresse de l’ex-ordonnator à la question keymée.


Leik Var inspira fort et ouvrit grand les yeux.


– J’ai bien peur de prendre du retard sur le travail du kurskor et malheureusement ralentir l’œuvre à laquelle je me suis attaché.


Bien que son médecin ne lui fût plus d’une grande utilité, maintenant qu’il était immortel, il se souvenait de l’importance de chacun des rouages mis en place, à l’origine, par son devin.


– S’il vous faut d’autres comptables pour vous épauler dans cette entreprise, vous n’avez qu’à me les demander, annonça, de sa verve impériale, le Magnus Kéol.


Les yeux de Leik Var pétillèrent à cette seule proposition et, de suite, il répondit :


– Ce serait là un geste de votre grandeur qui garantirait le succès de la question keymée.


Un œil plus grand ouvert que l’autre, l’empereur attendait la demande.


– Trois… deux comptables seraient parfaits, osa-t-il demander, mais avec la réticence de piquer à vif son seigneur.


– Fort bien. Vous qui côtoyez les servantes de ce palais, sauriez-vous où se trouve le devin de l’Empire des neuf Cités Rouges ?


L’empereur savait, par quelques mots bien sentis, remettre à sa place chacun de ses serviteurs car Leik Var n’était autre que l’un d’eux. Sans prendre aucunement la mouche, et se trouvant même flatté qu’il vienne jusqu’ici le lui demander, Leik Var répondit de sa voix nasillarde.


– Aussitôt rentré de son voyage, il a élu domicile dans les plus hauts étages de la tour céleste. Je crois même qu’il veut y emménager définitivement, renseigna Leik Var, avec le petit sourire de satisfaction de tout écouteur de portes.


Le Magnus Kéol n’ajouta pas plus de questions et tourna les talons à cette annonce. Leik Var espérait ne point l’avoir contrarié, car c’était à chaque fois le sentiment que l’empereur lui laissait en le quittant.

Note de fin de chapitre:

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