– Hey toi, l’archer ! lança Morgoth vers un Conquérant vêtu d’un tabar bleu, la couleur des Kairn.
– Ton chef a besoin de toi !
Kwo n’était pas un imbécile. D’ailleurs, il ne s’était pas engagé dans l’armée de sa propre volonté. C’était plutôt un concours de circonstances. Étant plus intelligent que la moyenne, il avait opté pour l’arc comme arme. Car l’arc lui garantissait d’être posté en arrière, loin des combats au corps à corps.
– Quand tu dis mon chef, c’est toi qui as besoin de moi ? répondit Kwo.
– Pas que. Suis-moi, on n’a pas toute la matinée.
Cette nuit avait été l’une des plus longues qu’il avait vécue, car il avait fallu se rapprocher pour combattre les Hurleurs. Les archers avaient été utilisés à de nombreuses reprises et avaient dû suivre la piétaille. Cette nuit, il avait vu la mort de très près. Une prêtresse de Cybès, déesse de la mort, aurait pu la lui décrire qu’il ne l’aurait pas crue. Kwo l’avait vue, et elle avait l’apparence d’un Hurleur.
Il se battait depuis sept sillons déjà aux côtés des Conquérants, sept sillons qu’il s’était fait embarquer dans cette armée, à contrecœur. Kwo n’aspirait qu’à une seule chose, devenir riche. Et ce sont les soldes des Conquérants qui le menèrent jusqu’à eux, ce triste jour où il n’aurait jamais dû pleuvoir. Ça, Kwo s’en souvenait comme si c’était hier. De la pluie à Taranthérunis, la cité la plus au sud des Conquérants ! Enfin, il s’en était tiré finalement puisque sa tête était toujours sur ses épaules.
Ces souvenirs ressurgirent au moment où l’homme-lézard lui demanda d’aller chercher un charriot. Ce que voulait faire cet officier n’était pas très clair. Pourtant, cela convenait parfaitement à Kwo. Naviguer dans les eaux troubles des mauvais coups, c’était toute une partie de sa vie, celle qu’il avait vécue avant de devenir soldat ou plutôt archer.
Il revint avec le charriot auprès du zèlrayd qui tenait d’un côté une couverture en toile de jute et de l’autre, deux tabars rouges des armées de l’Empire. Il avait vu juste. Le komodor avait des intentions qui étaient loin d’être saines. Kwo se rapprocha de lui, une fois le charriot déposé.
– Toi, t’as dans l’idée de te faire la malle. Hein, c’est ça ? questionna Kwo.
– T’es futé pour un aomen. On t’l’a déjà dit ?
Kwo était de la race des aomens, une race aussi répandue que les humains sur les terres du Nord, mais bien moins nombreuse qu’eux dans le Sud. Il avait la tête allongée si caractéristique, avec les yeux en forme d’amande. Sa peau était gris foncé et non jaune parcheminé comme ceux du Nord. C’était dû aux longues journées ensoleillées du Sud. Kwo n’était pas du tout massif, mais élancé avec des membres assez fins. Toutefois, il n’était pas en mal de muscles. Tirer à l’arc avait développé son torse, ses épaules et ses bras.
– Très bien, tu ne veux pas me répondre. Mais, ces tabars rouges ne m’enchantent guère.
– Écoute, je te demande juste de me transporter jusque derrière les portes de la cité. Là-bas, tu feras ce que bon te semble.
– C’est risqué ton histoire, lui répondit Kwo qui s’était habitué à l’illusion de la sécurité du camp de l’armée, perdu dans la masse des soldats.
– On n’a rien sans rien, l’ami.
Cela éveilla la curiosité de l’aomen, celle qui avait mené toute sa jeune vie d’escroc jusqu’au jour où il avait croisé les maudits galonds d’or des Conquérants.
« Rien sans rien, cela veut dire qu’il court après quelque chose, réfléchit rapidement Kwo. »
– J’en suis. Mais ça ira mieux sans ça, dit-il en se déshabillant de son tabar bleu.
En dessous, une simple broigne de cuir le protégeait.
– C’est trop… guerrier, ton armure. Enlève-la, lui demanda Morgoth.
– Bien sûr, toi tu t’en fiches. T’as des écailles. Mais moi, c’est que d’la peau qu’un couteau tranche comme un jambon tendre.
– Enlève-la, sinon autant se livrer à l’Empire.
– Très bien, très bien, ajouta Kwo tout en détachant les sangles de côté de l’armure.
– Elle est toute belle ton armure. Tu n’as jamais pris un seul coup ? questionna Morgoth.
– C’est pourquoi tu peux m’embarquer dans ton affaire de brigands.
L’homme-lézard sourit, se disant qu’il avait bien choisi son comparse.
– Je la pose sous ma tente et je reviens de suite.
– Pas l’temps. Mets-la ici, sur cette pierre. À peine le soleil à son zénith, qu’on sera revenu.
– De toute façon, t’es un gradé alors t’as les moyens de me la rembourser si je la perds.
Morgoth lui sourit en signe d’assentiment. Il plaça l’arc de Kwo dans le charriot et son sabre de Kyrlog dans un étui à côté. Une fois prêt, l’homme-lézard s’allongea dans le charriot et se recouvrit de la couverture, en prenant soin auparavant de mettre les tabars rouges sous sa tête.
– Allez, roule mon ami !
– Normal, le gradé dort pendant que le soldat trime.
– Un zèlrayd, ça se remarque, lui dit Morgoth.
– J’avais compris, c’était manière de parler.
– Tu parles trop. On a déjà dû te le dire.
Kwo répéta en murmurant ces paroles tout en bougeant la tête à la manière du komodor pour le singer. Et tous deux, ils partirent traverser le vallon sanglant qui les séparait des portes de la cité.