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Son torse se bomba, soulevant Kwo aussi facilement qu’une feuille d’arbre. Brièvement, il pensa à une créature tapie dans les profondeurs sombres du marais. Mais, l’inspiration caverneuse de l’orkaim balaya immédiatement cette hypothèse. Kwo, traversé par la joie de le retrouver, saisit des deux mains sa grosse tête, couvrant par là même les oreilles de Yurlh. En réponse à cette explosion d’amitié, l’aomen reçut un violent coup sur l’épaule, le projetant hors de sa monture.


Yurlh battit des bras et des jambes, croyant qu’il allait se noyer avant que ses pieds ne touchent le fond mou du marécage. La scène se passait sous les yeux de Kwo, encore meurtri du choc de la main dure du barbare. Ne souhaitant pas se prendre un autre coup, il attendit que la brute se calme en ayant à nouveau pied.


– Calmos, Yurlh ! T’as de l’eau que jusqu’au torse, lui cria-t-il. Une réflexion aisée pour un aomen qui venait tout juste d’apprivoiser la nage. 


Mais Yurlh ne connaissait l’eau qu’en la traversant à pied. Après une bonne tasse, l’orkaim se remit debout et attendit un certain temps avant de reprendre ses esprits.


– Je... de l’air... dehors... la lune, termina-t-il en souriant de sa large mâchoire.


– T’es vivant ! Vivant, Yurlh ! s’exclama Kwo, tout en se rapprochant du colosse pour l’enserrer de ses deux bras, afin de lui transmettre un long câlin, comme un grand frère voulant rassurer son plus petit.


Yurlh restait debout à observer alentour, heureux de revoir les lumières chaudes de la nuit. Et puis, un frisson le traversa. Il se mit à chercher quelque chose en tournant le buste.


– Le... la Squale... Où est ? questionna dans l’air l’orkaim.


Kwo, enfoncé dans l’eau jusqu’au cou, lui attrapa la main pour pointer du doigt la direction par laquelle la galère s’était évaporée.


– Oui, ils nous ont laissé tomber, Yurlh... toi et moi et... bien d’autres, ajouta Kwo en montrant les corps disséminés.


Un instant le barbare resta figé en tentant de la discerner dans les brumes montantes des eaux de marais. Mais le sol mouvant le dissuada de rester plus longtemps sur place. La récente expérience d’avoir été presque avalé par la boue était maintenant gravée en lui.


– Maître ne m’a pas sauvé... dit-il pensivement, se souvenant du dernier regard que Korshac lui avait porté.


– Ah ça non ! Il t’a même condamné comme tous les autres. Regarde, insista Kwo avec de la haine dans les paroles.


Le théâtre était éloquent puisque, devant comme derrière, là où la Squale était passée, les corps flottaient sans une once de vie. Ils se regardèrent et partagèrent soudain la même idée d’aller retourner les plus proches, voir s’ils avaient eu aussi la chance d’avoir vaincu la noyade. Mais en vain, seulement des cadavres ils découvrirent.


La nuit les cernait et rendait le marécage infini, sans la silhouette d’un arbre ou d’une colline pour observer l’espoir de la terre ferme. La galère avait écarté les petites algues typiques des marais, créant une trace facile à suivre. Kwo commença à nager, allant dans la direction de la Squale. Yurlh, n’ayant rien d’autre à faire que de lui emboiter la nage, suivit en marchant, les jambes pliées, seule façon qu’il avait trouvée pour être mieux porté par les eaux.


– On suit la Squale, dit Yurlh, s’imaginant qu’ils la rejoindraient.


Mais, à seulement quelques brasses plus loin, Kwo s’arrêta. Et avec le sourire de prochainement retrouver son dû, annonça   :


– Elle est ici. Y a juste à chercher un peu et on sera riches, mon ami.


Yurlh ne comprenait nullement quelle idée avait l’aomen en tête. Mais visiblement, il en semblait convaincu. La première fois, quand il le vit disparaitre sous la surface opaque, Yurlh se raidit. En lui rejaillissaient les impressions de la noyade, très loin d’être oubliées.


– Pas facile... C’est tout noir là-dessous, ponctua Kwo en recrachant de l’eau.


La seconde fois, il fronça les sourcils, impatient qu’il fasse surface. La troisième fois, il se demandait où il allait bien pouvoir sortir la tête.


– Pourtant, j’étais sûr d’être tombé à côté de lui, dit-il, montrant le cadavre d’un rameur moins chanceux.


Et Yurlh l’observa jusqu’à la fin de la nuit, chercher tout autour, plongeant sous l’eau, dans l’espoir d’y retrouver une sacoche pleine d’or. Il s’était habitué à rester sur place, les jambes repliées, faisant des moulinets avec ses mains pour flotter. Kwo, épuisé, prit pour la énième fois une pause. Le visage déconfit de toujours être bredouille, il contemplait le marais, qui à la lumière de l’aube, avait effacé les traces de la galère. Çà et là, flottaient encore les corps, derniers indices visibles du drame.


– Pourtant, elle ne doit pas être bien loin. Tu ne veux pas m’aider ? demanda Kwo, terriblement déçu et fatigué, prêt à abandonner l’or sous ses pieds.


L’orkaim répondit du va-et-vient de la tête qui veut dire non. Kwo n’insista pas. Yurlh était adossé à un corps et quelques bulles éclatant en surface, seul bruit perceptible, détendirent l’atmosphère.


– T’as pété, Yurlh !


Levant les sourcils, à en plisser de rides son front, l’orkaim appuya un autre non sur son visage.


– Si, si, t’as pété, continua Kwo, forçant sur son ventre pour en lâcher une plus grosse que le barbare.


La bulle ne fut pas des plus réussies, mais eut l’effet d’emporter un rire bienvenu. Le corps, derrière Yurlh, semblait participer à la franche rigolade, en libérant d’autres bulles d’air.


Se sachant à nouveau sans le sou, mais riche d’être libre, Kwo riait nerveusement. Yurlh était heureux de goûter aux joies de la liberté, même si ce lieu sinistre lui inspirait une sorte de crainte. Car nul ne savait quelle créature pouvait abriter ces eaux couvertes d’algues vertes. Distrait par l’euphorie du moment, l’orkaim ne se soucia pas des petites bulles, glissant entre ses jambes, qui se firent plus grosses.


Alors qu’il ouvrait la bouche pour rire plus fort que Kwo, une créature, à la gueule plus grande encore, surgit hors de l’eau. Un crocodile, dont c’était surement ici le territoire, venait d’être attiré par l’odeur alléchante des cadavres qui se répandait dans l’eau. Son museau allongé, percé de crocs blanc-ivoire semblait destiné à engouffrer la tête de l’orkaim. Aussi rapidement qu’il était apparu, Yurlh lança son bras de côté pour le frapper dans la mâchoire. Bien que la bête devait faire trois mètres de long, la force du barbare para la première attaque.


Mais le crocodilien n’était pas chez lui pour se laisser voler son repas par cet orkaim flottant. Il lança de suite un second assaut, tout aussi vif que le premier. On aurait dit qu’il marchait sur les algues tant son corps entier, couvert d’écailles, se détendait avec vélocité. L’orkaim, qui n’était pas dans son élément, ne put reculer assez vite. Et les mâchoires s’abattirent de toute leur longueur sur l’avant-bras, mis devant en protection.


Yurlh lâcha un hurlement de douleur car la bête mordait avec une pression à broyer les os. Un humain aurait déjà eu le bras arraché. Mais un orkaim de cent-soixante kilos pouvait résister, et qui plus est, recouvert d’une armure d’écailles tatouée. En réponse à la morsure, des mains jusqu’aux épaules, les écailles dessinées venaient aussitôt de prendre vie.


L’étau refermé, le crocodile commença à se ruer sur le côté, voulant tournoyer avec sa prise pour la démembrer dans l’eau. Le barbare ne put que se laisser tirer par la créature qui devait peser bien plus lourd que lui. Emporté dans une danse sauvage, Yurlh, en guerrier, d’instinct, se rapprocha du monstre alors que tout autre homme aurait tenté de s’en défaire.


Les mâchoires, aussi puissantes qu’une herse, n’avaient nulle envie de s’ouvrir. Avec un seul bras libre, le barbare n’escomptait point y parvenir. Maintenant accolé à lui, ventre à ventre, Yurlh fouillait la tête de son ennemi avec sa main valide pour y trouver les yeux. Il fallait faire vite car le crocodile était dans son élément alors que l’orkaim en souffrait.


Retenant son souffle sous l’eau, pour le reprendre quand le monstre le roulait à l’air, Yurlh grattait avec ses ongles la surface rugueuse des écailles épaisses du reptile. Quand il atteignit des orifices, semblant eux-mêmes protégés d’une membrane, le monstre du marais relâcha aussitôt prise. Il venait sans doute de comprendre que sa proie n’était pas de celles à se laisser manger sans lui en coûter.


Yurlh remercia son instinct qui avait vu juste. La créature repartit aussi violemment qu’elle avait chargé, disant dans sa fuite qu’elle n’avait subi aucune blessure. Kwo, encore pantois face à cet assaillant aussi furtif que monstrueux, fut presque surpris de le voir disparaitre.


– Ton bras. Montre ton bras, dit Kwo en s’avançant, horrifié d’examiner les plaies de son ami.


Mais, à sa grande stupeur, l’avant-bras tendu par l’orkaim n’était marqué que de trois petits trous. Alors qu’il l’observait, il vit les écailles bleutées de l’hydre, dépassant de sa peau comme une armure de métal, se dissoudre dans ses pores pour n’apparaitre plus qu’en dessin. Ce n’était pas là le fruit du hasard si son ami avait survécu à l’attaque du crocodile. Et par extension, il se dit que sa survie sous l’eau devait aussi revêtir les atours de la magie.

Note de fin de chapitre:

Depuis 2018, nous publions la saga YURLH sur HPF. Nous préparons un financement participatif en 2025. On a besoin de toi pour faire de ce rêve une réalité : un roman papier.

Joins-toi à nous sur www.yurlh.com

 

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