En cette nuit du 863ème sillon, la bataille de la lune sang venait d’avoir lieu et l’Éternel allait naître. Affalé au fond de son trône, Khalaman attendait, observant la lumière du soleil percer le dôme de verre. Pour la troisième fois de son existence, il allait bientôt être envahi par des énergies qu’il commençait à connaître. Mais sur ce point, le devin avait été clair, rien ne pouvait le préparer à ce qui allait lui arriver.
D’abord, c’était la sueur qui coulait sur les tempes, à grosses gouttes, une sueur salée qu’il porta à ses lèvres machinalement. Hormis les vingt de sa garde écarlate, il n’y avait aucun sujet de son royaume, ici partageant la même salle que lui. Les instructions du devin avaient été suivies à la lettre. Personne ne devait l’approcher. Ses mains devenaient moites et il sentait dans son dos perler ce qui devait être aussi de la sueur. L’armure couverte de poudre de rubis qu’il portait, manière d’imposer plus encore sa marque de puissance, commençait à peser, à l’étouffer même.
D’un coup, il se leva pour marcher jusqu’au balcon y aspirer de grandes bouffées d’air. Là, l’étendue du charnier, couvrant les vallons devant les murs de la cité, l’apaisèrent un court instant. Et puis, les larmes coulèrent de ses yeux. Était-ce dû au sacrifice d’autant d’hommes qu’il venait cette nuit de perpétrer ? C’était la question qu’il se posait. En réponse, un grand sourire illumina son visage.
– NON ! hurla-t-il en direction des milliers de victimes jonchant le sol.
– Pour moi, rien que pour moi, vous êtes morts ! Oui, pour votre empereur. Je le sens. Quelque chose m’envahit comme par le passé.
La sueur coulait maintenant à n’en plus finir. Il saisit la rambarde en bois du balcon et fixa ce qu’il lui semblait être le devin. Ses mains commençaient à trembler alors, il la tint plus fort encore. C’était bien là le devin qui emportait, à sa suite, celui que cette bataille avait désigné. À ce moment, l’empereur sentit monter en lui une fureur insaisissable. Son instinct lui dicta de la retenir, car il la croyait capable de prendre possession de son corps. Il leva les yeux au ciel et hurla encore une fois.
– Oui ! C’est moi Thurl. J’arrive. Bientôt, je siégerai à tes côtés.
Cela lui permit de canaliser cette force juste le temps de hurler. À peine il se tut que son corps bouillonna plus encore. Il se pencha par-dessus la rambarde et fut pris de l’envie de se jeter dans le vide. Comme un fou, il se retourna et fonça dans la salle du trône.
– AAAHH !
Les gardes écarlates à l’entrée, qui ne devaient aucunement bouger de leur poste, reculèrent de peur. Comme une créature enragée, il se dirigea vers eux.
– Vite, retirez-moi cette armure.
Les hommes d’abord ne s’approchèrent pas. Le visage décomposé par la fureur de leur empereur les empêcha de le toucher.
– Alors ! Cette armure, retirez-la-moi !
À cette seconde invective, deux d’entre eux laissèrent tomber à terre leur lance et commencèrent à soulever les plaques d’acier protégeant les sangles. Mais l’empereur ne tenait plus. Le temps pour lui défilait trop lentement ou plutôt, c’était son corps qui était investi d’une énergie nouvelle, ravageuse.
– Mon sang !
Il attrapa l’épaule de l’un de ses gardes bataillant à tirer sur une sangle.
– Ça me brule !
Il le remua de tous ses nerfs, de toutes ses forces. Le soldat faillit en tomber à terre. Alors qu’il revenait à l’assaut pour aider son empereur à se défaire de son encombrante armure, Khalaman lui ordonna :
– Prends ta lance !
D’abord, le soldat resta incrédule devant l’ordre qui lui semblait inapproprié.
– Ta lance, prends-la !
Mais, il ne fallait pas désobéir à son empereur. Il saisit donc la lance.
– Pointe ton arme ! insistait le Magnus Kéol.
Le garde qui n’était pas un des plus jeunes de la troupe de vétérans, s’y refusa et jeta à terre sa lance.
– Harh ! hurla l’empereur.
Comme un fou, il scruta la salle dans l’espoir d’y trouver un autre. Son dévolu tomba sur le plus jeune, le dernier qui avait eu l’honneur d’entrer dans le cercle très fermé des gardes impériaux. Il s’approcha de lui en laissant échapper des râles d’énervement.
– Pointe ta lance, droit sur moi !
Tout jeune qu’il était, son for intérieur lui criait de ne pas faire ce que ses gestes exécutaient sous la pression des ordres du Magnus Kéol. En pointant la lance vers le ventre, encore couvert de l’armure impériale, même si c’était sous les ordres de Sa toute-puissance, il faisait un geste le condamnant normalement à la mort.
– Empale-moi ! Tu dois éteindre ce feu.
Le soldat restait paralysé d’effroi. Sous son casque, on l’entendait dire non, même si c’était à faible mot. Alors, sans aucune retenue, Khalaman s’élança de tout son poids vers la pointe d’acier de la lance et dessus s’embrocha.
– Arrrgh !