Après que la galère se fut échouée sur les boues épaisses du marécage, formant les côtes nord de Daïkama, tout le monde à bord se tut. On entendit alors les cris et les révélations de la seconde et femme du capitaine. Korshac aussi les entendit, faisant, en lui, doucement monter une rage bien connue de tous.
Quand le brouhaha des rameurs et autres marins reprit, en discutant du bourbier dans lequel ils venaient tous de se fourrer, Korshac, lui, décida de marcher de la proue jusqu’à la poupe. Enfin arrivé devant la porte entrouverte de sa cabine, il la franchit, la tête rouge de colère. Et là, il la vit, la tête tombée en arrière. La croyant sans vie, il retomba, de suite, dans le désarroi.
– Elle… Elle est morte ? questionna Korshac, les yeux tremblant d’entendre une réponse positive.
Kwo se retourna. Il avait les mains couvertes de sang, rendant tout espoir impossible.
– Non… Non, je ne crois pas… Elle est épuisée.
Korshac semblait incapable de le croire et pourtant, il le voulait, malgré tout ce qu’il venait d’entendre.
– Son cœur bat encore… Elle va revenir… Mais elle ne tiendra pas longtemps, ajouta Kwo.
Korshac s’attendrit encore plus en la voyant ainsi allongée par terre, se disant qu’il pouvait tout lui pardonner.
– Débrouille-toi pour la sauver. Si l’enfant n’est pas de moi, alors tue-le, mais sors-le-lui du ventre… T’as compris ! lança Korshac, à la manière d’un ordre.
Kwo hésita à répondre quelque chose dans le genre : elle ne pensait pas ce qu’elle disait. Mais finalement, il opina du chef, voyant que le capitaine avait déjà dépassé les révélations.
– T’es dans les lunes ou quoi ? Trouve un moyen de la réveiller. Moi, je vais m’occuper de nous sortir de la mélasse, insista le capitaine, avec un regard décidé.
Il ressortit aussitôt, en criant :
– Hé, va falloir remuer vos gros culs d’hippopotames. Faut se sortir d’ici avant la nuit. Sinon… faudra qu’j’en tranche un dans la longueur.
Korshac descendait l’escalier menant au pont des rameurs, résolu à les bouger de leur banc où ils n’étaient d’aucune utilité.
– Toi… toi… toi, toi et toi… disait-il en touchant des rameurs sur l’épaule, les désignant pour une tâche qui s’annonçait difficile, à voir les grands gaillards qu’il choisissait.
– NARWAAAL !!! gueula-t-il ensuite, façon d’être sûr d’être entendu où qu’il soit.
Le second d’intérim se pencha par-dessus le pont, lui souriant comme à son habitude.
– Capitaiiine ? répondit le coq de sa voix de soprano.
– Avec des hommes, allez chercher les longs cordages, lui ordonna clairement le capitaine.
Puis, Korshac revint auprès de sa belle, revoir si le sort ou les dieux avaient décidé de lui donner du répit. Kwo lui tenait la tête, manière de lui faire sentir les effluves d’une bolée remplie d’un liquide translucide. Afin d’accentuer l’efficacité de son remède, il lui en appliquait sur les lèvres.
– C’est quoi ? demanda le capitaine très intrigué.
– Du poisson noir… de l’alcool. J’ai rien de mieux que ça, répondit Kwo en sentant qu’il avait le dessus sur le capitaine, tout du moins pour gérer cette situation.
Il ajouta sur ce, d’un ton pressé :
– Il m’en faut d’autres. Et il faut aussi faire chauffer de l’eau et m’apporter des tissus… Je crois pouvoir la sauver… Allez vite !
Avant de repartir, Korshac ne put s’empêcher de regarder ce qui, d’entre les jambes de sa moitié, tentait de sortir. C’était un amas de chairs sanguinolentes qui ne pouvait ressembler à un enfant. Peut-être que Kwo avait commencé à charcuter le nouveau-né, se dit-il, encore dominé par la colère d’avoir été dupé. Il repartit sur le pont réclamer l’eau chaude, l’alcool et les tissus à un autre de ses hommes.
Là étaient alignés, sur deux rangs, les dix rameurs qu’il avait désignés. Yurlh, le premier, il l’attrapa par le bras et le tira jusqu’au bastingage afin de le pencher par-dessus bord. Le barbare s’était laissé trainer en sautillant maladroitement, ne parvenant pas à suivre la nervosité de celui jusqu’alors gentil avec lui.
– Tu vas sauter dans l’eau avec tes copains. Vous allez nous sortir la galère en la tirant avec des cordes. T’as compris ?