– PURIFIER !!! Voilà ce qu’un fou tel que vous peut faire de son temps sur ce monde. Maintenant arrivé au firmament du pouvoir, après avoir bâti un empire et y avoir placé un empereur, il vous est facile de contrôler une seule frontière. Tout ça, pour mieux la vider de ses keymés. Les mi-bêtes comme vous les insultez en les nommant dans le Sud. Ici, dans le Nord, on les nomme les mi-hommes et les cités les considèrent en égal. Certaines même sont dirigées par des keymés, comme Akaïr la splendide où son actuel conseil est sous le pouvoir d’une panthérès. Mais vous, vous êtes venu persifler à mes oreilles des histoires de tombeaux et de spectres, croyant peut-être que mon âme d’enfant allait avoir peur. Durant ma vie, j’en ai visité des cimetières et des tombeaux maudits, mais ce qui me terrifie le plus, ce sont les puissants cinglés comme vous. Vous êtes venu ici rechercher mon alliance pour PURIFIER votre Empire avec tout le crédit des prétoriens de Kisadyn.
– Non, non, non et non, il accompagnait ses paroles du geste d’un doigt qui se balance. Je ne vous donnerai pas de soldats de la Vérité pour valider votre politique raciale. Ce que je vais vous donner, c’est l’absolution. Ça, je le peux. L’ABSOLUTION. Je vais faire ce que j’aurai dû faire il y a longtemps, quand j’étais encore non loin des terres du Sud, auprès de mon maître de guerre.
Dreik Varagone se leva lentement, figeant le devin sur sa chaise qui voyait dans ses yeux son horrible dessein.
– Je vous remercie, Votre honneur, d’avoir bien voulu parcourir les 693 lieues pour venir ici, mourir entre mes mains !
Il était maintenant debout, dominant de tout son corps le frêle devin des Trilunes. Chèl Mosasteh se maudissait d’avoir fait abstraction des signes prophétiques que cette journée avait bien voulu laisser entrevoir. Il chercha à lui échapper, mais le dossier de sa lourde chaise lui interdit de reculer. Le prétorien avait repris de sa superbe et, l’instant de sa dernière tirade, était redevenu la figure légendaire de ses souvenirs. Dreik Varagone saisit le cou fripé d’une seule main et débuta de l’étrangler.
– Je vous absous de tous vos péchés… Vous allez pouvoir accéder au paradis, où plus jamais vous n’aurez d’emprise sur ce bas monde, immonde créature que les enfers ont vomie.
Dominé par la haine, incapable de réfléchir aux répercussions de son geste, Dreik Varagone serrait.
D’abord, Chèl Mosasteh saisit des deux mains l’étau qui s’était emparé de son cou. La poigne d’un guerrier, qui a manié des dizaines de sillons le double fauchard, était impossible à desserrer. Alors, se soumettant à son sort, il attrapa sa robe violine pour s’assurer qu’elle était toujours sur son dos. Le prétorien avait de jolis yeux dorés, exactement les mêmes que ceux de son souvenir. Ceux portés par celui qui l’avait protégé au cœur de l’ineffable lieu, celui qui l’avait convaincu de revenir ici, chercher l’aide dont il avait besoin.
Doucement, un voile brumeux envahissait sa vue. Et alors qu’il regardait pour la dernière fois la lumière se reflétant sur la tête blonde du laquais dans le couloir, il vit une gerbe écarlate zébrer l’horizon. Le blondinet s’effaça, comme s’il s’enfonçait dans des sables mouvants et… derrière apparut la Faucheuse, toute vêtue de noir, sans visage, tenant des crochets à la main.
Dans un dernier geste, pour montrer qu’elle était bien là venue le chercher, Chèl Mosasteh releva le bras et la montra du doigt à son bourreau. La mort devait se terminer dans un terrible fracas qui résonnera, des sillons encore, dans le cœur des deux ennemis.