Chère Marie,
Voilà longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles. T’a-t-on privée de papier, dans l’horrible prison qui te sert de pension ? Je ne sais même pas si la sorcière dont tu avais annoncé l’arrivée – Sœur Lara ? Sœur Lauriane ? – est déjà entrée en fonction. Je m’inquiète, réponds-moi !
Ta petite Babette.
Chère Babette,
Sœur Laura est arrivée aujourd’hui. Bienveillante, et le cœur aimable, comme Mathilde l’avait dit. Réponds-moi, veux-tu ? Et garde l’œil bien ouvert, les oreilles alertes, chère Babette, et l’esprit attentif. Dis-toi cela, et bien : Lise m’a déjà bien prévenue : les lettres auraient été, si ça t’étonne, accaparées par Renée et Wanda, et après cela, Renée, cette sotte, idiote, bigleuse et libidineuse, en aurait ouvert bon nombre. Leur contenu aurait été glané, épié, apparemment rapporté, ma chère, et puis offert à Frère Antoine, très impunément, hélas ! Que rien d’oblique, Babette, ne t’échappe. Un sens dissimulé, comme un extraordinaire et secret trésor se trouve habilement caché à ces regards indiscrets. Regarde ! Il y a pourtant peu, ou pas tant, de tels lecteurs éclairés, qui retrouveraient facilement le chiffre extrêmement bien masqué ici. Et j’ignore si la signification latente t’est claire et évidente.
Une amie ravie,
Marie.
Chère Marie,
J’ai bien reçu ta lettre. Merci pour ton avertissement, je prendrai garde à mes propos, à l’avenir. Je ne sais pas si Renée et Wanda ont intercepté ta missive, et si son contenu a été épié et rapporté aux autorités du pensionnat, mais une chose est sûre, tout mon pensionnat, à moi, l’a eue entre les mains pour essayer d’en deviner le message caché. Peut-être n’aurais-tu pas dû tant le vanter, ma petite Marie, cela a mis la puce à l’oreille à bien des gens. J’ai compris, cela étant dit, et bien. Je suis trop habituée à tes petits tours de passe-passe. J’aurais tout à fait envie de crier mon désaccord et de vanter les mérites de mon auteur favori, dont l’auteur a quatre initiales dont les deux du milieu sont semblables et dont la dernière est la vingtième lettre de l’alphabet. Mais je devrais aussi, je suppose, coder mon message, de peur qu’on me reproche mes goûts profanes et vulgaires. Et je n’ai point ta patience.
Une amie fière d’avoir trouvé,
Ta petite Babette.