Détrompez-vous, je ne suis pas celle à blâmer dans cette histoire. Maïwenn est responsable pour avoir délaissé notre amitié et Carla est coupable pour ne pas être restée fidèle à son engagement. Chacun ses défauts. Et moi j’aime en jouer.
DING DONG. C’était le premier rendez-vous secret officiel auquel Carla se rendait. Comme lui avait gentiment imposé Blandine, elle sonnait chez elle. Les secondes d’attente qui défilaient la rendait nerveuse. Trop nerveuse à en voir ses mains tremblotantes. Dans un élan de courage, en espérant se débarrasser vite fait de cette affaire, l’hispanique enfonça la poignée de la porte, la nuque baissée, et poussa lentement ce qui entraîna une léger grincement du bois. Personne n’était là pour l’accueillir. Pas même une Blandine scandaleusement rayonnante. Juste un silence effroyable qui lui soufflait de filer pendant qu’il en était encore temps. Alors qu’elle allait obéir à son mal de ventre grandissant, elle baissa la tête. Cet étrange paillasson la fit froncer les sourcils. Peut-être parce qu’il ne s’agissait pas d’un paillasson mais d’une simple feuille de papier qu’elle s’empressa de saisir, intriguée par la petite écriture calquée dessus.
Le faux paillasson avait parlé. Sûrement une farce, ou bien Blandine s’amusait à la faire tourner en rond. Les deux options étaient possibles, il suffisait de la connaître ne serait-ce qu’un peu pour le savoir. Elle avait toujours été excentriquement insaisissable sur le plan intellectuel, même avant sa séparation d’avec Marc. D’après Carla, c’était sans doute ce qui avait tué leur couple trois ans auparavant.
D’un pas mal assuré, la brune entra dans la maison tout en lâchant la poignée de la porte qu’elle poussa derrière elle sans y mettre la moindre force. Le claquement se fit à peine entendre contrairement au bruit redondant qui provenait de l’intérieur. La cause de se frottement irrégulièrement incessant était dû à tout autre chose. On aurait dit le glissement d’un crayon sur une feuille de papier. Et en fait Carla avait plutôt une bonne ouïe. En passant l’encadrement du sas d’entrée, elle fut légèrement surprise par la vue d’une petite tête blonde. Aussitôt ces cheveux courts laissèrent place à un visage impassible et lunaire. La blancheur de sa peau en était presque éblouissante.
« Ah, c’est toi la partenaire de jeu de maman ? Tiens, j’ai terminé. »
Le petit ne savait pas si bien dire. " Partenaire de jeu " oui, mais pas n’importe quel jeu. Le genre de jeu que tu apprécieras bien plus que le coloriage gamin… Le petit Julien, que Carla voyait pour la toute première fois, se leva, ou plutôt sauta de sa chaise, et tendit une feuille à la nouvelle arrivée.
« Merci... »
L’Ange venait donc de délivrer son message. Le dessin représentait une pièce : ce n’était pas difficile de deviner qu’il s’agissait d’une chambre. Carla leva les yeux de la feuille pour regarder le garçon mais celui-ci était déjà remonté sur sa chaise, l’air ailleurs.
« Dépêche-toi, Maman n’aime pas attendre. »
Paradoxalement, Carla hocha la tête. Blandine détestait qu’on la fasse attendre !? Mais c’est elle qui plaçait son fils entre elles. C’était presque malsain qu’il fasse parti de ce « jeu » qu’elle avait initié. Le malaise envahi la jeune femme qui finit par faire quelques pas en direction des chambres. Elle n’était pas venue souvent ici, malgré le fait que Blandine les avait invité de nombreuses fois elle et Maïwenn. Pourtant elle se souvenait parfaitement de la disposition des pièces. Elle lança un dernier regard dans son dos, vers Julien, comme pour être sûre qu’elle avait la permission de s’aventurer dans les salles de sa maison. Il était concentré sur sa nouvelle feuille blanche. Toutes les portes étaient ouvertes, sauf une. Étant donné qu’elle n’avait pas reconnu le lit double du dessin jusqu’à ce qu’elle arrive devant cette porte fermée, elle la poussa instinctivement. Il s’agissait de la chambre d’ami. Elle avait l’air de ne pas avoir été visitée depuis un long moment. Le seul détail qui attira son attention c’était ce plan déplié sur la couverture impeccablement tirée. En s’approchant, Carla pu confirmer que c’était la ville de Rennes que représentaient ces traits de différentes couleurs. A part ça, la chambre était vide. Décidément, Blandine avait organisé une sorte de course d’orientation, une chasse au trésor dont elle était l’objet. Carla passa une main nerveuse dans ses cheveux et la laissa s’accrocher à sa nuque dans un soupire qui en disait long sur ce qu’elle pensait de ces enfantillages. Comme si elle avait du temps à perdre. A propos du temps, elle leva le bras droit pour lire l’heure. Déjà 16h00… et Maïwenn rentrerait trois heures plus tard. Le coup de pression que lui mit la grande aiguille la fit saisir le plan. C’est seulement à ce moment là qu’une croix rouge au feutre lui apparu de façon évidente sur le papier glacé. Elle couvrait une partie de l’avenue Jean Janvier de la ville. Alors ce devait être l’endroit où le « maître chanteur » l’attendait. Carla replia la carte en moins de deux et l’enfourna dans la poche arrière de son jean avant de faire demi-tour pour quitter la chambre.
Julien ne leva même pas la tête lorsque la brune passa devant lui et claqua la porte d’entrée en envoyant un poli « Au revoir, petit ». L’air frais breton s’écrasa aussitôt sur son visage, comme pour la réveiller. Le temps passait, il valait mieux pour elle qu’elle se dépêche d’honorer sa promesse. Pourquoi diable Blandine avait-elle besoin d’autant d’excentricité ?! Un coup d’oeil des deux côtés de la route, Carla traversa les voies pour regagner l’arrêt de bus le plus proche en espérant que le prochain ferait rapidement son apparition.
Au bout de cinq minutes et un mal de poignet intense dû à la répétition du même mouvement : regarder l’heure sur sa montre, Carla pu monter dans le C3, bus qui la déposa moins de quinze minutes plus tard aux abords de l’esplanade Charles de Gaule. La grande place de Rennes où les plus grands événements en plein air avaient lieu. Aujourd’hui elle était aussi dépourvue de monde que l’esprit de Carla était dépourvu de volonté. C’est sans conviction qu’elle marchait d’un pas rapide en direction de cette fameuse croix rouge. Elle passa devant le cinéma Gaumont, puis cette immense médiathèque municipale et sur sa droite enfin, elle arriva à destination : Novotel. Évidemment, Blandine avait pris une chambre d’hôtel. Un peu classique pour une femme aussi dévergondée que cette blonde là.
« La chambre de Blandine Guillet, s’il vous plait… ? »
C’est la voix légèrement tremblante qu’elle s’était adressé au jeune hôte d’accueil. Le sourcil droit de ce dernier se leva un instant. Une grimace indescriptible déforma son visage pomponné alors qu’il observait Carla d’un oeil curieux. Il finit par faire glisser la souris de son ordinateur avant de taper sur quelques touches.
« Vous avez le mot de passe ? »
Étrangement, son visage arborait un sourire forcé éclatant qui contrastait avec sa première attitude. Carla avala sa salive, comme pour se donner du temps. En temps normal elle n’aurait pas pensé une seconde que le jeune homme était sérieux mais puisqu’il s’agissait d’un coup de Blandine…
« Je plaisante ! Mademoiselle Guillet vous attend au deuxième étage, dans la chambre 207. »
Il lui adressa un clin d’oeil obscène qui la découragea à le remercier. Elle qui voulait se faire discrète… Une oppressante impression d’avoir mis tout le monde au courant lui comprimait la poitrine.
« L’ascenseur est juste derrière vous... »
Ni une, ni deux, Carla se retourna un peu honteuse, et comme pour cacher cette honte, elle appuya presque rageusement sur l’interrupteur permettant d’appeler l’escalier mouvant. Les portes automatiques s’ouvrirent immédiatement et elle ne se fit pas prier pour entrer dans la cage de métal. Alors que le jeune homme la fixait toujours, elle fit mine de regarder son propre reflet dans le miroir latéral. Elle poussa un soupire quand les portes furent enfin fermées et que l’ascenseur grimpa les deux étages.
Le moment fatidique arriva. Qu’elle se sentait idiote et monstrueuse de se tenir devant la porte de cette chambre d’hôtel alors que Maïwenn travaillait dur aux côtés de gens stressés, exigeants, désagréables et autres. Avant même de toquer sur le bois impeccable de cette fichue porte, elle se sentait déjà comme la pire des traîtresses et pourtant…
Toc toc. Le martèlement de talons se fit entendre, suivit d’un cliqueti métallique, puis la poignée s’enfonça et la porte s’ouvrit vers l’intérieur.
« Enfin te voilà… Tu sais te faire désirer, n’est ce pas Carla ? »
Inimaginable mais vrai. Cette femme était littéralement moulée dans un costume érotique de vilaine fliquette. Pantalon en cuir noir brillant, soutien gorge à piquants, une matraque dans une main, des menottes attachée à une ceinture fermement serrée autour de sa taille. Elle avait tout l’attirail. Et Carla ne su quoi dire. Son rôle à elle c’était la coupable, et Blandine comptait bien l’interpeller. Un bref sourire ambiguë s’afficha sur les lèvres sèches de l’hispanique. Puis elle franchit le pas de la porte, porte que Blandine referma aussitôt.
« Je m’attendais à un peu plus d’enthousiasme de ta part… Je pensais que ça te plairait. Maïwenn me dit tout tu sais. »
Quoi ?! Non seulement elle couchait avec Carla dans le dos de sa meilleure amie, mais en plus elle utilisait les confidences de celle-ci pour réaliser les fantasmes de sa proie ? C’était tellement vicieux.
« Un peu plus d’enthousiasme ? Tu te fiches de moi ?! J’ai choisi de ne rien dire à Maïwenn parce que je ne veux pas lui faire du mal. Ça ne veut pas dire que je suis ravie de remettre ça avec toi... »
Pourtant c’était bien elle qui avait sauté sur Blandine l’autre soir, dans la chambre qu’elle partage avec Maïwenn. Dans un geste de rejet, Carla tira le plan de Rennes de sa poche et le lâcha au-dessus de la tablette en bois, à droite de la porte. Il ne fallait surtout pas qu’elle garde la moindre trace de son passage ici.
« Je vois…, dis Blandine dans un souffle triste qui aurait pu attendrir n’importe qu’elle coeur d’artichaut. Tu veux boire quelque chose ?
- Non merci, je n’ai pas beaucoup de temps, tu t’en doutes. »
Carla était sèche, dure même. Pas étonnant. Elle rendait Blandine responsable de son faux pas, mais cette dernière n’était pas d’accord pour être la seule inculpée. Et elle comptait bien prouver à la brune qu’elle était bien coupable d’adultère de manière consentante. Dans une démarche faussement innocente, la blonde disparu derrière Carla qui n’avait pas bougé de sa place.
« Qu’est-ce que tu fais… ? »
Pour toute réponse, Blandine referma solidement les menottes autour du poignet gauche de la responsable. Une sorte de frisson incontrôlable traversa le corps chaud de Carla, tandis qu’elle penchait la tête légèrement en arrière. Son autre poignet fut très vite pris en otage par les mains gantées de Blandine qui serra l’autre partie des menottes sans aucune douceur. Sûre d’elle, la policière avança son visage près de celui de Carla jusqu’à frôler son oreille de ses lèvres pulpeuses.
« Tais-toi Carla… Je sais que tu aimes ça. »
Cette fois la brune ressenti cette intense chaleur piquante entre ses cuisses. Rien de plus facile à décrypter. Carla désirait Blandine, là tout de suite. Même si son esprit n’était pas tout à fait en accord avec son corps. C’est peut-être pour cela qu’elle se mordait les lèvres maintenant : pour faire taire sa libido grandissante. Ça ne l'empêcha pas de craquer. Les dés étaient donc lancés.