Londres, le dimanche treize juillet 1890
Ma chère Marguerite,
Comme je comprends tes sentiments, tandis que tu faisais ta valise ! Ce sont les mêmes que j'ai ressentis lorsque j'ai, moi-même, fait ma valise avant de quitter Saint Cyr au Mont d'Or, il y a trois ans de cela... J'espère que ton arrivée chez tes parents s'est bien passée et que l'ambiance n'est pas aussi lourde que ce que tu me disais dans ta lettre.
De mon côté, je suis sur un petit nuage... Comme tu le sais, j'ai cherché une solution pour continuer à étudier après le College Green Meadows et j'ai reçu, enfin, la réponse de la London School of Medicine for Women. Figure-toi qu'elle est positive ! Dès la rentrée prochaine, je vais apprendre la médecine, Marguerite, est-ce que tu te rends compte ?
Je suis tellement heureuse ! Je pense que les cours de Sunder, qu'il me laissait lire régulièrement, m'ont bien aidée pendant l'entretien que j'ai passé avec la directrice et deux des professeurs. Elles ont semblé satisfaites par les connaissances que j'ai déjà. J'aimerais pouvoir faire passer le temps plus vite, pour démarrer enfin les cours !
Papa et Maman sont surpris par mon choix. Ils m'ont demandé de bien y réfléchir, même si je pense qu'ils me soutiendront quand ils comprendront à quel point je suis déterminée.
Par contre... Je ne pense pas te surprendre en te disant que Grand-Mère a envoyé une lettre dans laquelle elle explique méthodiquement à quel point me laisser devenir médecin est une folie. Elle reprend quasiment point par point les argumentaires que j'ai déjà entendus tant de fois à propos de l'incapacité des femmes à apprendre ! J'ai laissé Papa lui répondre. Je refuse même de savoir ce qu'il lui a répondu.
De toute façon, il me semble qu'il existe un adage qui dit que les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais, non ? Et si je ne tente pas ces études, alors là, oui, j'aurai des regrets.
Je préfère encore te raconter ce que je vais faire ces prochaines années. Je vais d'abord étudier le corps humain pendant deux ans. J'ai déjà commencé à me procurer des livres sur la question. Je sais que concernant le matériel, il y en a à disposition à l'école et que l'ensemble de nos connaissances viendront des livres. Et puis comme ça, je peux prendre un peu d'avance pendant l'été.
Après quoi, il faudra que je trouve un médecin qui me prenne en apprentissage pour que je puisse me perfectionner. Cela pourrait sembler de prime abord rédhibitoire pour finir notre formation, la plupart des hommes refusant de croire en notre potentiel. Mais comme l'école existe depuis plus de quinze ans, la plupart des anciennes élèves deviennent Maîtresses d'apprentissage pour celles qui sortent de l'école.
En fait, j'ai tellement de choses à te raconter sur les années qui m'attendent ! Je crois que je vais en rester là pour cette fois-ci, en attendant de savoir si l'on peut venir te voir à Lyon cet été. J'espère que ça ira, j'ai tellement hâte de te revoir et de tout te raconter !
À bientôt,
Louise.