Londres, le vendredi vingt-trois novembre 1888
Ma très chère Marguerite
Cela fait déjà deux mois que les cours ont repris et je n'ai pas réellement pris le temps de te raconter, tellement le sujet m'ennuie... Comme tu le sais, je suis toujours au Green Meadows College, en demi-pension. Et les cours sont toujours aussi peu intéressants. Tu te souviens comme j'ai pu râler que nous n'allions jamais à fond dans les sujets étudiés, à Sainte Ursule ? Eh bien ici, c'est pareil, en pire.
Et mes professeurs ont le culot de dire que nous allons jusqu'au bout de ce que nous pouvons savoir ! Les pires sont nos professeurs masculins. L'un d'eux m'a même très sérieusement expliqué que les femmes ont le cerveau mou et ne sont pas capables de concevoir des concepts comme les mathématiques, la physique ou autre. Je me suis évidemment faite remarquer en disant que si personne ne nous apprend rien, forcément, nous ne saurons jamais rien. Et que s'il voulait bien essayer, il verrait que nous sommes tout autant capables que n'importe quel garçon du College d'à côté.
Il a ri et m'a donné une heure de détention. C'est l'équivalent des prières que nous recevions régulièrement à Sainte Ursule. Enfin... Surtout moi, je sais, Marguerite ! Ici, il s'agit d'une heure pendant laquelle je dois faire le travail qui m'est assigné. Évidemment, j'ai eu droit à des travaux d'aiguille. En l'occurrence repriser des chaussettes. Je le soupçonne de m'avoir donné ses propres chaussettes... Du coup, j'ai fait un travail lamentable.
Mais laissons ça de côté. Rions de ces professeurs à l'esprit étriqué. Il m'arrive quelque chose d'extraordinaire grâce à Kalyani, une de mes nouvelles amies. Tu sais que, depuis mon arrivée, j'aide de temps en temps mes camarades de classe avec les devoirs de français.
Eh bien figure-toi que le mois passé, Kalyani m'a présenté son frère, Sunder. Il voudrait faire de la politique et, pour cela, il a besoin de parler français de manière impeccable. Jusque là, il avait un répétiteur qui faisait du mauvais travail et lui coûtait trop de livres sterling à son goût. C'est donc moi qui remplace le répétiteur et je lui demande beaucoup moins d'argent que ce qu'il payait jusque là.
Cette différence de paiement s'explique par un certain compromis, qui devrait t'amuser... Imagine un peu le tableau.
Les deux enfants d'un Maharadjah indien qui viennent chez moi, deux soirs par semaine. Nous parlons beaucoup français et je les aide à corriger leurs devoirs. Quand Papa est là, il ne dédaigne pas de converser un peu avec Sunder. Ils parlent évidemment politique, tu penses bien !
Le troisième soir de travail, c'est très différent.
Kalyani joue les chaperons pour moi parce qu'il n'y a personne d'autre chez eux à ce moment-là. Le plus souvent, elle prend un travail d'aiguille quelconque, pendant que Sunder et moi pratiquons le français... de l'escrime !
Hé oui ! J'ai trouvé mon gentleman pour continuer mes entraînements à l'épée !
Kalyani ne pense pas qu'on se fera prendre de sitôt, du coup, elle estime que la façon dont son frère règle leurs cours est mon problème, pas le sien.
Et de la même façon, elle regarde ailleurs quand je consulte les cours de son frère, qui sont autrement plus passionnants que les nôtres ! Ça au moins, c'est de la vraie science ! C'est fascinant, passionnant !
D'ailleurs, en parlant de science, j'ai entendu parler d'une formation en médecine qui serait réservée aux femmes. Je vais me renseigner. Peut-être que je m'engagerai. Qui sait... ?
Autrement, mes amies anglaises sont adorables, mais aussi très réservées et très soucieuses de l'étiquette. Ce qui m'agace régulièrement. J'aimerais tant pouvoir oublier les recommandations de certains de nos professeurs, de temps en temps...
Je t'imagine en train de faire les yeux ronds, tandis que tu me lis... Ne t'en fais pas, je ne fais rien de pire que ce que je faisais à Sainte Ursule. Je me contente de dire ce que je pense et d'agir en accord avec moi-même...
À bientôt,
Louise l'escrimeuse