Londres, le vendredi huit mars 1901
Ma chère Marguerite,
J'ai quelque chose de très important à te raconter. Car ce qui m'arrive est vraiment incroyable... Moi-même, je n'en reviens pas.
C'est pour cela que j'ai tant tardé à t'en parler jusqu'à présent. J'espère que tu ne m'en voudras pas.
Je vais essayer de te raconter tout cela de manière cohérente et censée. J'ai l'impression que tout a commencé il y a quelques mois par un évément qui aurait pu sembler banal. John Turner, le cousin d'une des infirmières de l'hôpital, m'a proposé une sortie au cirque en sa compagnie. Tu sais comme j'aime les acrobates et les clowns, j'ai accepté sans méfiance. Ce fut une erreur... Effectivement, en guise de cirque, il s'agissait d'une exposition de phénomènes de foire. Oui, Marguerite, tu as bien lu ! Il m'a emmenée voir des êtres humains différents de nous, exposés dans des cages. Quand j'ai vu où nous étions, je me suis sentie très en colère. Mais John, lui, n'a strictement rien vu du malaise que j'éprouvais !
Et, pour parachever le ridicule de cette journée, ce triste sire m'a fait part de son intention de demander ma main à Papa. Soeur Marie-Clarence, qui me tançait tant pour mon attitude durant ses cours sur la Bienséance, serait fière de moi. Je n'ai même pas essayé de le frapper, malgré ma très forte envie. Au lieu de cela, je me suis lancée dans un discours duquel il ressortait que je ferai une bien piètre épouse. J'ai tellement bien fait qu'il est rentré chez lui persuadé d'avoir échappé au pire.
Et, même si j'étais débarrassée de lui, j'étais toujours en colère le lendemain. À tel point que Benedict a rapidement fait une pause dans ses consultations pour discuter avec moi et m'aider à me calmer.
Et nous avons, depuis, beaucoup discuté. De moi, principalement, mais aussi de cette règle implicite et totalement injuste qui veut qu'une femme soit forcément mariée. Et de toutes les conséquences pour une femme célibataire et heureuse de l'être comme moi. À commencer par les prétendants qui pensent régulièrement me rendre un grand service en me demandant en mariage !
À un moment, nous avons même abordé le genre de mari idéal pour moi. Benedict et moi en riions beaucoup. Quelles qualités feraient d'un homme un bon mari pour moi, Louise de Bois-Héraud, femme médecin et refusant le mariage ? Ah, Marguerite... Je t'entends déjà commencer une liste. Un homme qui me laisse exercer mon métier, un homme qui ne veut pas d'enfant, pour commencer, n'est-ce pas ?
Forcément, à un moment, nous en sommes venus à parler de la femme parfaite pour Benedict, qui est tout autant célibataire que moi, et tout aussi heureux de l'être. Contrairement à moi, il ne se bat pas contre une armée de prétendantes prêtes à lui passer la bague au doigt, mais contre ces vilains ragots, dont je t'ai déjà parlé, et qui causent malheureusement grand tort à son travail.
Et puis, il nous est venu une idée saugrenue et totalement folle. J'imagine que tu as déjà deviné, n'est-ce pas, ma chère Marguerite ?
Après tout, Benedict et moi nous entendons bien depuis toujours. Nous n'avons jamais cessé de travailler ensemble et nous sommes tous deux très contents de cette association. Ni l'un ni l'autre ne souhaite se marier, malgré les pressions de ceux qui nous entourent. Ni l'un ni l'autre ne souhaite avoir d'enfant.
Cela fait de chacun de nous le conjoint idéal de l'autre, finalement. Nous pourrons enfin nous consacrer pleinement à nos patients, sans avoir à gérer les réactions agaçantes de ceux qui ne comprennent pas nos choix de vie. Et comme nos salaires seront mis en commun, cela nous donnera plus de moyens pour développer nos idées pour améliorer nos consultations.
Contrairement à Charles et toi, ce sera un mariage de raison. Pour autant, je ne sais si je te fais sentir à quel point cette idée me convient réellement, et combien j'en suis heureuse.
La cérémonie aura lieu le cinq août prochain ; nous enverrons l'invitation une semaine après cette lettre.
J'aimerais que tu sois ma première demoiselle d'honneur. Kalyani a déjà accepté d'être la seconde, et elle a vraiment hâte de te rencontrer enfin !
Et Benedict et moi souhaitons que Faustine nous apporte les alliances lorsque nous serons devant l'autel. J'aurai confectionné un petit coussin sur lequel nos alliances seront fixées. Benedict se chargera de faire tomber la mienne avant de la passer à mon doigt. C'est une croyance, ici : l'alliance qui tombe fait fuir les mauvais esprits et cela porte chance aux époux.
À très bientôt,
Louise, future Mrs Harrington