Londres, le premier avril 1888
Joyeuses Pâques, Marguerite !
J'espère que les cloches sont bien passées à Sainte Ursule, cette année encore. Figure toi qu'ici, ce ne sont pas les cloches qui apportent les oeufs mais... Des lapins ! LE lapin de Pâque, même... Je trouve cela fort amusant d'imaginer un lapin avec des oeufs. Ne trouves-tu pas plus logique que ce soient les cloches de nos églises qui aillent chercher les oeufs à Rome, plutôt que d'attendre un lapin ?
Je pense très fort à vous quatre en ce moment. Ludivine, Sophie, Marie et toi. Vous me manquez terriblement. J'aimerais tellement être avec vous pour cette célébration !
Dis-moi, est-ce que vous avez commencé à prévoir quelque chose pour le dernier jour des cours, en juin ? Je me souviens de notre première année, quand nous avions convaincu toutes nos camarades de toutes se coiffer avec des couettes, plutôt qu'avec des chignons... La tête de Sœur Marie-Céline quand elle a vu toutes ces couettes s'aligner devant elle était parfaite, non ?
Et cette fois où nous avons dessiné sur les tableaux des classes des scènes plus ou moins réussies de la Bible. Sœur Marie-Euphrosine n'avait pas su si elle devait nous gronder ou nous féliciter...
J'espère vraiment que vous avez prévu quelque chose et que vous me le raconterez dans vos lettres !
Ici, mes camarades sont adorables, mais pas très enthousiastes à l'idée de faire une blague de ce genre à nos professeurs. Je me dis, quand je les écoute chercher des excuses, que tu es vraiment très forte pour encourager nos camarades à suivre mes idées. Si tu étais avec moi, je ne doute pas une minute que tu rallierais tout le monde à notre cause et que nous pourrions faire de vraies farces amusantes et intelligentes...
Et puis, le programme n'est pas des plus intéressants à mon goût. C'est là que toute la cruauté de ton absence se fait ressentir, ma chère Marguerite. Notre complicité qui faisait passer le temps pendant les plus longues heures de cours me manque tellement.
Aucune de mes nouvelles amies n'est à la hauteur de ton amitié, crois moi !
Concernant les cours, j'ai droit à de la danse, pour le maintien. C'est mon cours préféré. Ou le moins détesté, selon mon humeur. Autrement, les travaux d'aiguille sont légion, ici. Encore plus qu'à Saint Cyr aux Monts d'Or ! Moi qui ne croyais pas cela possible...
Nous avons aussi des matières comme les mathématiques, l'anglais ou les sciences, mais... Sincèrement, Marguerite. Apprendre à se servir d'un thermomètre pour vérifier la température du bain pour nos futurs bébés, je n'appelle pas ça de la science !
La matière que j'exècre le plus, dans tout ça, c'est la Musique.
Nous devons apprendre à jouer d'un instrument. Du piano pour le moment, mais j'aurai aussi droit à la harpe l'année prochaine. Ceci dit, hors de question de faire de nous des virtuoses. Si je me laisse emporter par la musique, si je cherche le bon moment pour amorcer la touche afin que la note s'envole avec les autres dans une farandole sonore, je me fais rappeler à l'ordre. Une femme doit se tenir droite devant son piano et ne pas donner l'impression qu'elle aime la musique qu'elle produit.
À quoi ça sert, dis-moi ? Apprendre quelque chose pour ne surtout pas le faire correctement ? Ça me dépasse.
Avec notre instrument que nous devons jouer avec le plus de platitude possible, nous devons également chanter. J'ai cru comprendre qu'avoir des facilités en chant permettait de mieux attirer les hommes.
Il ne nous manque plus que la queue de poisson et ce sera parfait.
Moi qui étais heureuse de venir en Angleterre pour apprendre autre chose que devenir une parfaite épouse, je suis quand même fort déçue...
J'entends Sebastian qui commence à mettre la table, dans le salon. Je cachète donc vite cette lettre, afin de la poster au plus tôt.
Je t'en raconterai plus dans une prochaine lettre.
Ta dévouée,
Louise